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Keith Haring, icône pop et artiste politique, exposé à Paris
La capitale française qu’il aimait tant rend hommage à Keith Haring, icône du pop art, mort du sida à 31 ans. Connu pour ses symboles au trait caractéristique et ses peintures aux couleurs flashy, il était un artiste très politique, ont voulu montrer les organisateurs de la grande exposition du Musée d'art moderne de la Ville de Paris. Le 104 expose ses grands formats (jusqu'au 18 août)
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Reportage : M.Berrurier, L.Simondet, J.Denoyelle La rétrospective parisienne s’intitule "Keith Haring, The political line", parce que Keith Haring est "clairement un artiste qui traite de politique", explique Dieter Buchhart, l’un des deux commissaires de l’exposition.
Le Musée d'art moderne de la ville de Paris expose quelque 220 oeuvres. Le Centquatre présente, lui, les grands formats. Une vingtaine de grandes peintures dont "Les Dix commandements", créés en 1985 pour le CAPC de Bordeaux, et de grandes sculptures.
On est accueilli dans le hall monumental du Musée d’art moderne de la Ville de Paris par des grandes peintures où un monstre porte un nuage atomique dans le ventre, où un ordinateur alerte contre les dangers des nouvelles technologies.
Tout de suite, un vocabulaire engagé
Dès ses premières œuvres, exposées au début de l’exposition, le langage de Keith Haring se met en place. Il s’agit d’un langage politique, souligne le commissaire. Le vocabulaire est déjà là : le chien, le bâton, les petites personnes sans visage, debout, la tête en bas, flottant dans l’espace, le bébé "rayonnant", autant de figures largement diffusées et immédiatement reconnaissables.
Les messages sont présents d’emblée, comme la dénonciation de la violence de la religion : un petit bonhomme tient une croix dans son dos alors qu’il attaque un autre personnage. L’artiste peint sur du papier, support facilement accessible alors que la toile a déjà une valeur avant qu’on ait travaillé dessus. Il adopte ensuite le vinyle.
Un homme engagé
Si Keith Haring "voulait transmettre un message, sa démarche n’est pas didactique", précise Julia Gruen, la directrice de la Keith Haring Foundation, qui a travaillé six ans avec lui. "Son œuvre est le reflet de ce qu’il était. Il était très engagé dans son époque, les questions que posent ses oeuvres sont toujours des questions qu’on se pose et ses messages sont toujours pertinents."
Dans sa vie comme dans son œuvre, Keith Haring était engagé contre le racisme, notamment l’apartheid en Afrique du Sud, l’homophobie, la guerre, le nucléaire.
Pour Fabrice Hergott, le directeur du musée, cette exposition est "la plus complète depuis sa disparition", en 1990. "Elle est la première à aller au fond des choses", estime-t-il. Elle veut montrer "un artiste qu’on croyait facile, commercial et qui est un artiste beaucoup plus profond". Avec Keith Haring, mort pourtant dix ans avant l’an 2000, "on entre dans l’art du XXIe siècle".
Des oeuvres ouvertes à l'interprétation
Keith Haring, né en 1958 en Pennsylvanie, est profondément marqué par les "comics" américains.
Ses grands "storyboards" à l’encre noire sur papier blanc sont pleins des symboles récurrents dans son œuvre. Les fameux chiens qui aboient, les bébés "rayonnants", renvoyant à l’"expérience la plus pure et la plus positive de l’existence humaine" selon Haring lui-même. Les pyramides, évoquant son intérêt pour les civilisations anciennes.
Pourtant, "il ne fait pas de BD", fait remarquer Dieter Buchhart. "Il combine des images qui sont ouvertes à l’interprétation. Les chiens, par exemple, peuvent représenter la menace policière mais peuvent aussi être les opprimés ("underdog" en anglais, littéralement les "sous-chiens", ndlr) en révolte contre le système". D’ailleurs, les œuvres de Keith Haring sont le plus souvent "sans titre", pour que chacun puisse les interpréter librement. Les subway drawings, l'art pour tous
Keith Haring dénonce le capitalisme et l’hégémonie américaine : un monstre en érection, à tête en forme de char, brûle des dollars au-dessus de petits personnages les bras en l’air. Une truie monstrueuse vomit un flot de biens de consommation, ordinateurs, montres, téléphones. Une multitude de petits bonshommes n’échappent à la noyade qu’en s’abreuvant à ses nombreux pis.
Arrivé à New York en 1978, le jeune homme est fasciné par l’univers des graffitis et des tags. Il fréquente les milieux underground et travaille lui-même dans le métro, dessinant à la craie blanche sur les panneaux noirs qui couvrent les emplacements publicitaires vacants. Il s’agit d’un de ses grands projets, souligne Dieter Buchhart. Il veut produire de l’art pour tous, créer quelque chose qui n’a pas de valeur, en opposition au capitalisme. Plusieurs fois, il est arrêté. Un Pop Shop à Manhattan
Il dessine très vite, d’un trait continu, pour échapper à la police. Ces "subway drawings" sont un acte politique adressé à un large public. Par essence éphémères, certaines ont pourtant été préservées par des collectionneurs. C’est ainsi qu’on peut en voir une sélection au musée.
Des photos de son ami Tseng Kwong Chi nous montrent in situ cet aspect de son travail entre 1982 et 1984.
Pourtant, le rapport de Haring avec l’argent est ambigu puisqu’il a ouvert en 1985 à Manhattan un "Pop Shop" qui vend des objets dérivées de ses œuvres, passant ainsi pour un artiste commercial.
Un avertissement contre les nouvelles technologies
Le succès est fulgurant. "Il était une pop star, avec des amis et des admirateurs dans le monde entier. Il a été un des artistes les plus célébrés de son temps", rappelle Dieter Buchhart. En 1982 il participe à la Documenta de Cassel, il a 24 ans. Deux ans plus tard, il est à la Biennale de Venise.
Keith Haring, c’est la contre-culture, le hip-hop, la fête. Ses couleurs extrêmement vives traduisent toute l’énergie des années 1980, se faisant parfois fluorescentes
Très tôt, Keith Haring a mis en garde contre les médias et les nouvelles technologies : il représente tout le temps des personnages à tête en forme de téléviseur, grand laveur de cerveau, des ordinateurs dont sortent des mains étrangleuses… Keith Haring : "Je suis fier d'être homo"
La religion aussi, même s’il respecte les croyances individuelles, est meurtrière : des croix traversent des corps, sont brandies par des personnages agressifs.
Keith Haring exprime son combat contre le racisme quand il rend hommage au graffeur noir Michael Stewart, tué par la police : "Michael Stewart, USA for Africa" est une de ses rares œuvres où le personnage a un visage. Il est étranglé par des mains blanches alors que s’écoule d’une terre fracturée un flot de sang où se noient des gens aux mains de toutes les couleurs.
L’artiste vomit l’hégémonie blanche hétéro : "Je suis fier d’être homo. Je suis fier d’avoir des amis et des amants de toutes les couleurs", proclame-t-il.
Son dernier combat sera celui contre le sida. Il apprend qu’il est séropositif en 1988. Mais les homosexuels sont déjà frappés par la maladie depuis plusieurs années. Dès 1985, Keith Haring peint un monstre décharné marqué d’une croix rouge, signe de la maladie, et il se représente le visage plein de taches rouges.
Il se bat pour que les malades soient pris en considération. "Silence = Death" crie-t-il avec un triangle rose à l’envers, plein de petites figures qui se voilent la face.
Keith Haring, The Political Line, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 11 avenue du Président Wilson, 75116 Paris
Tous les jours sauf lundi et jours fériés, 10h-18h, nocturne le jeudi jusqu’à 22h
Tarifs : 11€ / 8€ / 5,50€
Le Centquatre, 5 rue Curial, 75019 Paris
Tous les jours sauf le lundi et le 1er mai, 13h-19h30
Tarifs : 8€ / 5€
Jusqu’au 18 août
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