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Hubert Robert au Louvre : une rétrospective évènement

Hubert Robert, vous connaissez ? Ce grand artiste français du XVIIIe siècle fut en même temps peintre officiel du roi, conservateur du musée qui deviendrait le Louvre, peintre de ruines, paysagiste et artiste total visionnaire. Il n'avait pas eu de rétrospective depuis huit décennies. Celle que lui consacre le Louvre est donc un évènement (jusqu'au 30 mai 2016).
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Hubert Robert, "La Démolition des maisons du pont au Change", 1788, musée Carnavalet, Paris
 (Musée Carnavalet / Roger-Viollet)

Hubert Robert (1733-1808) est un artiste brillant et intelligent, doué pour le dessin, la peinture et aussi pour les relations humaines. Il traverse les époques et les régimes, de Louis XV au Ier Empire, en s'attirant toujours des sympathies. Son nom n'évoque pas forcément grand-chose au grand public, même si certaines de ses images, comme celle de la Bastille en démolition, sont célèbres. Et la dernière grande exposition monographique de son œuvre remonte à 1933. L'occasion de voir tout son parcours est donc unique.
 
Pourtant "l'artiste est très cher au cœur des historiens de l'art et a donné lieu à de très nombreuses études ces quarante dernières années", précise Guillaume Faroult, conservateur en chef du Patrimoine au département des Peintures du musée du Louvre et commissaire de l'exposition. De nombreuses expositions ont fait le point sur des aspects précis de son œuvre.
 
"On ne prétend pas du tout être les premiers, au contraire, on bénéficie de cette émulation scientifique autour de Robert, de cet intérêt autour de lui pour tirer le bilan et essayer de le faire mieux connaitre", dit-il. "L'idée, c'était d'embrasser cette œuvre immense et de donner des indications pour des pistes d'interprétation. C'est une œuvre très riche, très plaisante, très charmante, mais aussi avec beaucoup de profondeur, qui se prête au jeu de l'interprétation, qui se prête, de manière jamais pédante, à l'énigme, à l'exercice du décryptage."

Hubert Robert, "Jardin d'une villa italienne", 1764, Ottawa, musée des Beaux-Arts du Canada
 (Musée des Beaux-Arts du Canada, Ottawa)


Un personnage sociable et sympathique

19 auteurs ont travaillé pour le catalogue d'une exposition qui représente dix ans de travail et de recherches : 140 œuvres ont été sélectionnées parmi une œuvre abondante, tableaux, dessins, meubles, décors, jardins, sur lequel on a beaucoup de sources, d'écrits, de correspondances.
 
L'exposition s'ouvre sur deux portraits d'Hubert Robert à l'apogée de sa carrière, dans les années 1780 : un portrait peint par Elisabeth Vigée Le Brun et un buste sculpté par Augustin Pajou. Une manifestation de la sympathie qu'il attire chez les artistes, les politiques, les commanditaires.
 
Son côté sociable et sympathique l'aide dès le début de sa vie. Fils du valet de chambre du comte de Stainville (futur duc de Choiseul), il va à Rome quand son protecteur y est nommé ambassadeur du roi de France. Hubert Robert dessine bien mais il est un artiste très débutant, et le comte le fait admettre à l'Académie de France à Rome alors qu'il n'a pas passé les concours nécessaires. Des sanguines témoignent de son don pour le dessin.
Hubert Robert, "Personnages dans une baie à Saint-Pierre de Rome", 1763, Valence, Musée de Valence
 (Musée de Valence, photo Eric Caillet)


L'Antiquité et le petit peuple de Rome

A Rome, il travaille avec acharnement, se forme auprès des artistes italiens, étudie les œuvres d'art et l'architecture antique, le paysage. Il est à l'Acédémie de France en même temps que Fragonard et les deux jeunes artistes travaillent ensemble sur les mêmes motifs. A une lingère d'Hubert Robert répond une scène de "blanchisseuses" de Fragonard. Le premier apporte de la rigueur au second qui lui apprend le lâcher prise, le "far presto" (faire vite).
 
Hubert Robert reste onze ans à Rome, les monuments romains lui serviront de motifs pendant le reste de sa carrière. Mais s'il étudie l'art antique, la Renaissance, le baroque comme tout le monde, il adopte toujours un angle décalé, de côté, qui lui est très personnel, comme le montre une belle vue du "Jardin d'une villa italienne" de 1764. "Il choisit toujours le petit point de vue qui rend l'image qu'il représente intrigante, intéressante, stimulante", souligne Guillaume Faroult : "Sans doute est-ce en cela que Robert est typiquement des Lumières, c'est quelqu'un d'intelligent, érudit, qui a une très bonne éducation, mais jamais pédant."
 
Au-delà de l'aspect formel, il est aussi très personnel dans sa façon de mettre en scène les monuments et les ruines antiques, qu'il affectionne particulièrement : ils sont toujours peuplés de petits personnages, des femmes à la lessive, des enfants qui courent partout, des chiens, des chars à bœufs. Il convoque toujours le petit peuple romain comme pour montrer "que cette grande culture classique si valorisée dans les livres est vivante". Il y a souvent du linge qui sèche, dans des endroits parfois incongrus, pendus à un fil accrochés à la statue de Marc Aurèle, par exemple.

Diderot séduit par la "poésie des ruines"

Hubert Robert aime les vues de ponts en contre-plongée sous lesquels on découvre tout un monde, des paysages ou des architectures, il aime les perspectives d'architectures en cascade.
 
De retour à Paris, il devient très vite un artiste en vue : il se présente à l'Académie royale où il est remarqué par Diderot, séduit par sa "poésie des ruines". Il est admis avec un tableau, "Le port de Ripetta", un "morceau de bravoure" qui montre bien sa démarche, selon Guillaume Faroult : "Tous les détails sont vrais ou quasiment, mais la combinaison est complètement sienne et complètement géniale".
 
"Chez Robert, les images qui sont les plus convaincantes n'ont de vérité que celle de la beauté. Il n'est jamais exact, il est toujours beau. Les détails sont vrais et ce qui l'intéresse, c'est de les combiner", précise le commissaire.
 
Hubert Robert va exposer au Salon dès 1767, avec plus de vingt œuvres qui sont saluées par la critique.
Hubert Robert, "Projet pour la Transformation de la Grande Galerie", 1796, musée du Louvre
 (RMN Grand Palais (musée du Louvre) / Jean-Gilles Berizzi)


Garde des tableaux et concepteur des jardins du roi

Une salle est consacrée à des tableaux monumentaux et spectaculaires : à partir des années 1770, Hubert Robert peint des catastrophes. Ces œuvres relèvent du "sublime", une esthétique nouvelle qui va au-delà du "beau classique", expression de la sensation, du sentiment poussé à son paroxysme, jusqu'à l'horreur. Des précipices effrayants, des montagnes, les cascades impressionnantes de Tivoli, et surtout l'incendie de Rome qui met en scène la destruction de ce qu'il aime tant.
 
Très vite, il a travaillé pour les projets royaux, il a été nommé "garde des tableaux du roi" : il s'occupe de la collection royale. Il devient aussi concepteur des jardins royaux, des jardins "pittoresques", qu'on appellera jardins à l'anglaise, des jardins "décoiffés" : il dessinant des jardins à Versailles, Meudon (Hauts-de-Seine), Méréville (Essonne), Rambouillet.
 
A Rambouillet, c'est une œuvre d'art totale qu'il conçoit, puisque qu'il peint des décors, des meubles, des porcelaines réalisées à Sèvres (son fameux bol-sein destiné à la laiterie), les jardins. Méréville, son chef-d'oeuvre en matière de jardin, il l'a représenté dans un tableau, et même quand il peint sa propre œuvre de paysagiste, il n'est pas exact, il en réassemble les éléments selon son œil de peintre.

Paris, la Révolution et la prison

Hubert Robert a vécu toute sa vie à Paris et a pourtant peu incarné sa ville, quelques tableaux, quelques dessins. Et pourtant, quand il le fait, "il fait des images extrêmement fortes", souligne Guillaume Faroult. "Il représente Paris comme un corps mutant. Robert est un visionnaire, il joue avec les visions" : c'est la destruction des maisons sur le pont au Change, aspect médiéval de la ville, vue dans l'axe, qui donne l'impression d'être submergés sous un cataclysme. Ou au contraire la construction de l'école de chirurgie.
 
Et puis il y a la Révolution, qu'il voit plutôt avec sympathie au début. Il peint la démolition de la Bastille à ses débuts, sous un ciel d'orage, en contre-plongée, sous un angle oppressant pour symboliser ce que l'édifice représentait. Mais il était quand même un artiste officiel de la royauté, "suspect pour son incivisme reconnu, ses liaisons avec les aristocrates", il est arrêté et emprisonné à Sainte-Pélagie puis à Saint-Lazare. Il obtient du matériel de peinture, réalise des scènes émouvantes de captivité, avec ses codétenus dans un couloir sombre, sa cellule d'où l'on voit la Seine derrière les barreaux. Ne perdant pas le sens des affaires, il peint aussi des assiettes pour les vendre.

Une vision du Louvre

Hubert Robert échappe à la guillotine et, sorti au bout d'un an, retrouve ses fonctions : il devient en 1795 "conservateur du Muséum national des arts", le futur musée du Louvre, qui a ouvert en 1793 et qu'il va représenter dans ses tableaux. Une fois de plus, pas le musée réel mais le musée qu'il imagine, qu'il rêve, en visionnaire : la grande galerie est telle qu'elle sera plus tard, avec un éclairage zénithal, des niches et des colonnes "à l'époque où c'était une espèce de grand couloir où on essaie de mettre des tableaux sur des murs verts".
 
Sur une autre oeuvre, on voit la grande galerie en ruine, mais même au milieu des décombres un artiste est toujours au travail.

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