De Canaletto à Joan Mitchell, de Delacroix à Monet, les peintres et le paysage au Louvre-Lens
Dans une grande exposition très réussie, le Louvre-Lens explore la notion de paysage et sa représentation, en peinture essentiellement, depuis la création du monde jusqu'aux paysages abstraits imaginés par les artistes modernes et contemporains. En 170 œuvres, l'exposition Paysage, fenêtre sur la nature traverse l'histoire de l'art, d'un papyrus égyptien à une vidéo d'Anne-Charlotte Finel en passant par le Fontainebleau de Jean-Baptiste Corot, la campagne de John Constable ou la Venise de Canaletto.
Vincent Pomarède, ancien directeur des peintures du Louvre et commissaire de l'exposition, avait déjà pensé à une exposition sur le paysage, avant même la construction du Louvre-Lens. "Un musée qui est lui-même un musée paysage, dessiné en fonction de son contexte", construit sur un ancien carreau de mine, remarque Marie Gord, chargée de recherches et de documentation au Louvre-Lens et autre commissaire de l'exposition.
Un point de vue
Le paysage est envisagé comme "un morceau de territoire extérieur vu depuis un point de vue, et à partir du moment où il y a point de vue, il y a une interprétation de la part de l'artiste, il y a un jeu entre le réel et le construit", explique la commissaire. Il s'agit pour les artistes "de représenter ce qu'il est impossible de figer, la lumière qui bouge ou le son des oiseaux qui chantent", ce qui est assez paradoxal.
"Nous voulions aborder le sujet d'une manière inhabituelle, et provoquer des rencontres sensibles entre nos visiteurs et les œuvres", précise Marie Gord. C'est l'artiste contemporain Laurent Pernot qui a été chargé de la direction artistique de l'exposition, imaginant par exemple un environnement sonore.
Pour introduire l'exposition, il a créé dans un espace sombre comme une caverne une installation de cinq écrans sur lesquels sont projetés des extraits de films évoquant le temps d'avant la création du monde, où les paysages commencent à apparaître.
Les "ornements" de la nature
Une belle section évoque les "ornements" de la nature, les rochers, les arbres, le ciel et l'eau, quatre éléments avec lesquels le peintre est en rapport direct. Car, explique Marie Gord, "il y a déjà du travail sur le motif avant les impressionnistes, et assez tôt à l'huile, dès la fin du XVIIe siècle. Pendant longtemps le paysage est fait en atelier à partir d'esquisses sur le motif". On va alors "se distancier de la nature pour aller vers une idéalisation".
Il y a les arbres dessinés par Le Lorrain (1600-1682) ou Pierre-Henri de Valenciennes (1750-1819), de fascinants troncs d'arbres à l'huile sur papier du peintre animalier Alexandre-François Desportes (1661-1743), des Rochers à Capri à l'aquarelle et à la mine de plomb de Théodore Chassériau (1819-1856) ou les couleurs de rares rochers à Bagnoles-de-l'Orne d'Edgar Degas, à l'aquarelle.
Du côté du ciel et de l'eau, sans cesse en mouvement, on a de magnifiques études de nuages de Delacroix à l'aquarelle ou de Pierre-Henri de Valenciennes à l'huile, Les Rochers de Belle-Ile sur la Côte sauvage de Claude Monet, sur lesquels l'océan se déchaîne.
Des cimaises lumineuses pour simuler les variations naturelles
A partir d'un répertoire de motifs, qui sont parfois réunis dans des manuels pédagogiques, les artistes vont les assembler en atelier pour créer les décors de scènes où les figures humaines sont au premier plan, mais se fondent parfois dans le paysage comme dans cette œuvre de François Boucher (1703-1770), Les Charmes de la vie champêtre, où la ligne du buste d'une des bergères est prolongée par celle d'un arbre.
Les paysages peuvent avoir un caractère réaliste comme les "vedute" de la Venise de Canaletto ou de la démolition des maisons du pont Notre-Dame par Hubert Robert. Ou bien être fortement idéalisés comme les scènes de tempêtes ou de volcans en fusion.
Laurent Pernot a imaginé un système de "cimaises lumineuses" : plusieurs tableaux sont placés dans une sorte de fenêtre où la lumière varie, faisant changer les couleurs et l'intensité du paysage. "Cela permet de rappeler que la nature réelle est constamment en mouvement et que c'est un défi pour les artistes de retranscrire sur la toile ses permanentes métamorphoses", souligne Marie Gord. "Et puis les conditions d'exposition varient, un éclairage neutre n'existe pas, il y a toujours une prise de position de la part de celui qui expose l'œuvre." Le dispositif est particulièrement réussi pour La baie d'Along vue par Marie Anatole Gaston Roullet (1847-1925), peintre officiel de la marine. Une scène où quelques détails discrets comme les croix d'un cimetière marin viennent troubler un paysage grandiose et apparemment tranquille et rappeler un contexte colonial violent.
Paysages abstraits
Bien avant Monet, les artistes enregistrent dans leurs œuvres les variations des couleurs et de la lumière selon les saisons ou les heures du jour. Comme Hans Steiner dans son bouclier d'apparat de la fin du XVIe siècle, où il représente quatre types de chasse à quatre moments différents de l'année. Ou bien Louise-Joséphine Sarazin de Belmont (1890-1870) qui saisit la lumière d'un lever et d'un coucher de soleil sur le Forum à Rome.
Au XIXe siècle, les panoramas, pour la plupart disparus, séduisent les dirigeants et le public. Comme cet immense panorama de Constantinople de Pierre Prévost, dont il ne reste que l'esquisse, qui fait quand même 1,40 m sur 17 m. "Petit à petit, la présence humaine disparaît et le paysage va prendre en charge l'Histoire", note Marie Gord.
Et puis, au XXe siècle, le paysage se fera abstrait, comme ceux de Georgia O'Keiffe (1887-1986) qui peint le lac George (Etat de New York) dans des vagues d'orange et de rouge vif qui n'ont plus grand-chose à voir avec le visible mais plutôt avec l'énergie qu'elle perçoit. Ou bien Joan Mitchell (1925-1992) qui exprime dans d'extraordinaires couleurs l'émotion que suscite en elle le paysage.
Une dimension intérieure
"La plupart du temps, quand un artiste représente un paysage, il y met du sien : le paysage représente un espace extérieur mais il y a toujours une dimension intérieure, le regard, le point de vue de l'artiste. Et aux XIXe et au XXe on va prendre ses distances avec l'idée de décrire un espace visible", souligne Marie Gord.
La dernière œuvre, très contemporaine, est une vidéo onirique fascinante de la jeune artiste Anne-Charlotte Finel, qui a filmé, entre chien et loup, la lisière entre la ville et la campagne, peuplée de biches et de cerfs qui nous regardent.
"Paysage, fenêtre sur la nature"
Louvre-Lens
99 rue Paul Bert, 62300 Lens
Tous les jours sauf mardi, 10h-18h
Tarifs : 11 € / 5 €, gratuit pour les moins de 18 ans
Du 29 mars au 24 juillet 2023
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