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Apollinaire défenseur de l'art moderne au musée de l'Orangerie

Guillaume Apollinaire, poète, était aussi un critique d’art et un grand ami des artistes de son temps qui a su apprécier et soutenir tout ce que la scène parisienne comptait de talents novateurs, de Picasso à Duchamp. Dans une exposition passionnante le musée de l’Orangerie à Paris nous fait découvrir cet aspect du personnage, à travers les œuvres qu’il a défendues (jusqu’au 18 juillet 2016).
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
A gauche, Marie Laurencin, "Apollinaire et ses amis", 1909, Paris, Centre Georges Pompidou, Musée national d'art moderne - A droite, Pablo Picasso, "L'Homme à la guitare", 1918, Hambourg, Hamburger Kinsthalle
 (A gauche © Marie Laurencin - Fondation Foujita © Centre Pompidou, MNAM-CCI, dist RMN-Grand Palais / Jean-Claude Planchet © ADAGP, Paris 2016 - A droite © BPK, Berlin, Dist. RMN-Grand Palais / image BPK © Succession Picasso 2016)

L’exposition du musée de l'Orangerie s’ouvre sur les deux aspects de la vie de Guillaume Apollinaire (1880-1918). On est accueilli par un enregistrement du "Pont Mirabeau" déclamé par le poète lui-même et par un de ses calligrammes : "La Colombe poignardée et le jet d’eau", reproduit au mur. Contraction de "calligraphie" et d’"idéogramme", le terme de "calligramme" a été inventé par Apollinaire. Il s'agit d'une sorte de poésie graphique, dont la disposition forme un dessin rappelant généralement le thème du texte. Cet exercice montre son intérêt pour les arts visuels. D'ailleurs toute sa vie, il a lui-même dessiné et on verra plus loin plusieurs de ses œuvres, au crayon ou à l'aquarelle.
 
Une statue-fétiche congolaise de sa propre collection nous dit qu'Apollinaire est un des premiers à s'intéresser aux arts non occidentaux. L'"Homme dans un café" de Juan Gris, présent dans l'exposition des cubistes de la Section d'or, illustre l'intérêt du poète pour leur mouvement et le soutien qu'il leur prodigue. "Les cubistes, à quelque tendance qu'ils appartiennent, apparaissent à tous ceux qui ont souci de l'avenir comme les artistes les plus sérieux et les plus intéressants de notre époque", écrit-il alors.

Guillaume Apollinaire, "La Mandoline, l'Oeillet et le Bambou", calligramme de la série "Etendards", 1914-1915, Paris, Musée national d'art moderne - Centre Georges Pompidou
 (Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Adam Rzepka)


Un critique d'art qui s'intéresse à tous les mouvements

Guillaume Apollinaire a été critique d'art entre 1902 et 1918, une époque d'effervescence et de bouleversements artistiques extrêmes. Il écrit dans le quotidien L'Intransigeant, fonde une revue (Les Soirées de Paris), donne des conférences ou publie un recueil de textes sur l'art, "Méditations esthétiques".
 
Il s'intéresse à tous les mouvements novateurs de son époque, du fauvisme au futurisme italien. De Cézanne, il dit qu'il est "l'honneur de la peinture au XIXe siècle et (…) un des génies indiscutables de la peinture française". Derain illustre sa nouvelle "L'enchanteur pourrissant". Il écrit la préface de l'exposition de 1908 de Georges Braque et s'enthousiasme pour Chagall et pour l'orphisme de Robert et Sonia Delaunay (c'est lui qui a inventé le terme).
 
Apollinaire se lie aussi avec Francis Picabia et Marcel Duchamp. C'est d'ailleurs lui le premier qui va parler de "sur-réalisme". "C'était un très grand personnage. Le Lyrisme en personne", dira de lui André Breton.
Fernand Léger, Esquisse pour "La Femme en bleu", 1912, Biot, musée Fernand Léger
 (RMN-Grand Palais (musée Fernand Léger) / Gérard Blot © ADAGP, Paris 2016)


Picasso, le plus grand

Mais pour Apollinaire, le plus grand c'est Pablo Picasso. Les deux hommes se rencontrent en 1905 et nourrissent une longue amitié. Ils échangent des œuvres, des cartes postales, des lettres, des dessins –notamment des dessins érotiques. Une photo montre le poète dans l'atelier de l'artiste.
 
Picasso lui présente la peintre Marie Laurencin avec qui il aura une relation passionnée pendant quelques années. Dans un grand tableau de son amie que le poète garde jusqu'à la fin de sa vie, "Apollinaire et ses amis" (1909), il est entouré entre autres de Picasso et de sa compagne Fernande Olivier et de l'écrivaine collectionneuse américaine Gertrude Stein.
 
 
Les très nombreux portraits que les artistes d'avant-garde du début du XXe siècle ont faits d'Apollinaire, de Picasso à Chagall en passant par Matisse, laissent imaginer la profondeur des liens entre eux. Les œuvres présentées à l'Orangerie, toiles, dessins, sculptures, illustrent ces liens croisés, qu'il s'agisse d'œuvres qui lui aient appartenu, qu'il ait contribué à faire exposer ou louées dans ses écrits.
Robert Delaunay, "Une Fenêtre", avril-décembre 1912, Paris, Musée national d'art moderne - Centre Georges Pompidou
 (Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Droits réservés)


Des intérêts éclectiques, de l'art africain au cinéma

L'éclectisme des goûts d'Apollinaire prend d'autres directions encore : une affiche de Fantomas et un placard publicitaire, des poupées de jeu de massacre ou des statuettes africaines qu'il avait dans son appartement nous montrent son goût pour des arts plus populaires.
 
Dans un petit film tourné pour la télévision en 1960, Jacqueline, la femme d'Apollinaire, fait visiter leur appartement du 202 boulevard Saint-Germain à Paris, qu'elle a conservé, quarante ans après la mort de son mari : on y voit aussi bien un tableau de Picasso, une tête de Brancusi qu'une collection de casquettes militaires ou des fétiches africains.
 
Apollinaire s'intéresse même au cinéma naissant, dont il pressent l'importance à venir et dont il dit : "J'avais prévu cet art qui serait à la peinture ce que la musique est à la littérature", un art qui pour lui sera tout à fait "autonome".
Giorgio De Chirico, "Portrait (prémonitoire) de Guillaume Apollinaire, 1914, Paris, Musée national d'art moderne - Centre Georges Pompidou © ADAGP, Paris 2016
 (Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Adam Rzepka)


Un "homme-époque"

Un tableau de Giorgio De Chirico sera baptisé a posteriori "Portrait (prémonitoire) de Guillaume Apollinaire" (1914) : il le montre de profil, un cercle blanc sur la tête qui fait penser à une cible. Le poète, qui s'est engagé en 1915, reçoit un éclat d'obus dans la tête l'année suivante et doit être trépané.
 
Son activité ne cesse pas pour autant : dans les mois qui suivent, il arrive à organiser une exposition Derain, à publier un recueil, "Le Poète assassiné", ainsi qu'un album sur les "Sculptures nègres" avec son ami le galeriste Paul Guillaume puis, en 1918, il convainc celui-ci d'organiser la première exposition confrontant des œuvres de Matisse et Picasso. Mais, il est tout de même affaibli et meurt de la grippe espagnole le 9 novembre de la même année.
 
"Vous êtes un homme-époque", lui écrivait le frère de Chirico, le compositeur Alberto Savinio. "L'homme-époque" n'aura vécu que 38 ans.

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