À Argelès-sur-Mer, deux expositions de dessins réalisés en déportation rendent hommage aux "étrangers indésirables"
Comment raconter l'horreur de la guerre et laisser une trace aux survivants ? Comment ne pas se taire tout en se protégeant ? Comment vivre l'enfermement, la proximité et la peur ? Autant de questions bien souvent sans réponse, mais qui résonnent encore aujourd'hui.
Pour certains prisonniers des camps de concentration, le dessin et la création étaient un moyen de résistance et l'évasion. Ce sont ces peintures et dessins, dits concentrationnaires, que le Mémorial d’Argelès-sur-Mer et la Casa de l’Albera exposent actuellement. Ils ont été réalisés par une quinzaine d’artistes espagnols, appelés "étrangers Indésirables", internés dans le camp de concentration du Vernet d’Ariège de 1939 à 1944.
Durant la Seconde Guerre mondiale, 35 000 prisonniers de 72 nationalités différentes ont été enfermés dans le camp du Vernet. Séparés en deux catégories, il y avait les étrangers déclarés sains et aptes à travailler, et les "étrangers indésirables", qu’aucun pays ne voulait accueillir.
"Évidemment, c'est cette deuxième catégorie qui était visée et particulièrement surveillée jusqu'à la fin de la guerre", précise Emmanuelle Hospital, responsable du service culture à Argelès.
La vie d'un camp en dessins
Tous ces dessins et croquis créés en déportation nous enseignent sur le quotidien des réfugiés détenus au camp du Vernet d’Ariège. Plus d'une centaine d'œuvres retracent la vie au sein du camp. On y découvre l'intérieur des cellules, les baraquements, la cour, mais aussi de nombreux portraits poignants. Deux hommes de profil se regardent face à face, la mine grave. Un autre, pommettes enfoncées, les traits marqués et les sourcils froncés, nous fixe. Son regard insiste. Il semble vouloir nous transmettre l’horreur subie par les prisonniers.
Certains artistes conservaient malgré tout leur humour et dessinaient l'absurde de la situation. Parfois, le travail mémoriel est directement complété grâce aux témoignages des familles et de leurs proches. Les visages des dessinés ou les noms des artistes sont alors accompagnés de leur biographie.
Dans le camp, les conditions matérielles étaient précaires, les artistes devaient fréquemment se débrouiller pour se procurer des crayons ou du papier. "Ils recyclaient les supports comme des enveloppes et pour d'autres la Croix-Rouge a joué un grand rôle, car elle leur fournissait de quoi dessiner", rapporte encore Emmanuelle Hospital. Grâce à toutes ces œuvres, bien souvent réalisées en cachette, ces petits morceaux de vie permettent de ne pas oublier un pan de notre histoire commune.
Au travers des archives accompagnées de fiches d’internements, l’exposition montre aussi comment 6 226 personnes déportées ont été les victimes d’une articulation morbide entre le camp du Vernet et ceux d’Allemagne, d’Italie ou celui de Djelfa, en Algérie française.
Site mémoriel
Depuis 2014, le Mémorial du camp d’Argelès-sur-Mer rend hommage aux Républicains espagnols ayant fui le franquisme en 1939. Un événement dramatique historique plus connu sous le nom de "Retirada".
Plus de 160 000 hommes, femmes et enfants y séjourneront entre le mois de février 1939 et le début de l’année 1942. Ce sont majoritairement des réfugiés espagnols, mais aussi des anciens des brigades internationales, des nomades français ou des réfugiés de l'est de l'Europe dont des juifs étrangers. À travers des expositions, ce site documentaire revient sur les trois ans de fonctionnement du camp.
Exposition "Étrangers indésirables 1939-1944" au Mémorial et à la Casa de l’Albera d'Argelès-sur-Mer jusqu'au 6 avril 2024. Ouvert du mardi au samedi d'octobre à juin de 10h à 13h et de 14h à 18h. Tarif : 2 euros.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.