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"Parures, objets d’art à porter" : à Roubaix, une exposition défend savoir-faire textile et mode engagée

Début septembre à la Manufacture de Roubaix, une exposition consacrée aux parures propose une réflexion sur la mode durable, tout en valorisant le talent de soixante artistes textiles. Explications avec la commissaire d'exposition, Isabelle Quéhé.

Article rédigé par Corinne Jeammet
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 14min
Création d' Amina Agueznay  pour l'exposition Parures, objets d’art à porter au Musée La Manufacture Roubaix. (ANTOINE GUILLOTEAU)

La mode engagée est d'actualité. Fin août au G7 à Biarritz, un Fashion Pact, signé par 32 marques de mode et visant à identifier des priorités et des actions liées à la durabilité de la planète, a été présenté. Dans le même esprit, l’exposition Parures, objets d’art à porter, au musée La Manufacture de Roubaixpropose une réflexion sur la mode engagée. Elle valorise en même temps le savoir-faire textile d'une soixantaine de designers locaux et internationaux au travers de parures simples ou ultra sophistiquéesCe travail, riche des savoir-faire du monde, utilise aussi bien des tissus que des éléments recyclés. Elle est complétée par Le Revers de mon look, une exposition pédagogique sur l’impact environnemental de nos vêtements. 

L'exposition Parures, objets d’art à porter a été créée à l’initiative de l’association Universal Love qui participe au mouvement Fashion Revolution en France et conçoit des outils pédagogiques sur la mode éthique. Sa fondatrice Isabelle Quéhé fait la promotion de designers engagés dans une démarche de bonnes pratiques. L’association Universal Love s’est fait connaître en créant le salon Ethical Fashion Show, première plate-forme d’une mode engagée en Europe et à l’international. Elle a aussi conçu Changer la Mode pour le Climat lors de la COP 21 et la COP 22.

Franceinfo culture : Pourquoi aborder le thème de la mode engagée via l’exposition Parures, objets d’art à porter ?

Isabelle Quéhé, commissaire de l'exposition Parures, objets d’art à porter, fondatrice et directrice de l'association Universal Love : grâce au salon de mode éthique Ethical Fashion Show, que j’ai créé il y a 15 ans, j’ai côtoyé de nombreux designers de mode engagés dans le respect de l’humain sur toute la chaîne de fabrication du vêtement, de l’environnement, ainsi que dans le soutien et la promotion des savoir-faire textiles et du travail de la main. J’ai constaté que les jeunes designers, dans tous les pays et notamment dans les pays émergents, étaient confrontés aux mêmes problèmes depuis les années 1990 : l'entrée dans une économie de marché allait toujours de pair avec l’essor de la fast fashion. Ensuite, le fait main dans le respect des savoir-faire qui font la richesse du monde et des cultures avait tendance à disparaître partout au détriment du fait vite, de moins bonne qualité et pas cher. Enfin, la délocalisation pour amoindrir les coûts de fabrication entraînait ainsi une diminution de la qualité de nos vêtements et des conditions de travail toujours plus insoutenables. De plus en plus, vêtements et êtres humains se séparaient !

Et l'exposition Parures, objets d'art à porter ?

L’exposition a pour but de reconnecter les individus aux savoir-faire textiles par le biais d’objets d’art à porter, proches de la haute couture. J’ai voulu interroger des designers sur une pièce intermédiaire entre vêtement et accessoire, qui puisse changer une tenue simple en une tenue plus habillée, sans avoir à acheter un énième vêtement. C'est un manifeste pour engager le public vers une mode plus durable, en montrant la richesse des métiers d’art liés au textile. Car si notre planète dispose de ressources épuisables, les êtres humains ont une créativité inépuisable. Ce qui m’a intéressée dans cette démarche c’est le côté pièce unique faite à la main. Une antithèse de la fast fashion qui propose les mêmes pièces et qui impacte trop fortement nos ressources et engendre dans les pays de production des problèmes de santé en raison de la pollution engendrée par la fabrication des vêtements.

L’exposition a pour but de donner une image des savoir-faire à la fois contemporaine, visionnaire et mode, à l’heure où il est si important de sauvegarder un travail de la main qui tend à disparaître partout dans le monde, et ainsi de contribuer à ranimer l’héritage artisanal textile.

Parmi les pièces exposées, lesquelles méritent notre attention ?

Elles méritent toutes notre attention mais je citerai Amina Agueznay et ses constructions textiles réalisées en crochet avec de la laine naturelle teintée et des pierres semi-précieuses et argent. J’aime son travail car elle a un attachement particulier pour les matières traditionnelles de son pays, le Maroc. Elle travaille avec des maîtres artisans avec lesquels elle confronte sa vision créative à l’avant-garde de la création contemporaine marocaine. Au-delà de l'oeuvre en soi, ce que tisse Amina Agueznay c’est ce lien qui réunit les êtres amoureux du bel ouvrage. Ses oeuvres traduisent le potentiel des connexions de personnes autour d’un projet commun, la valeur de la communauté et du maillage social. Plus que tout, c’est un discours sur l’Homme qu’elle propose. Ces liens tracent la matrice des relations, par l’échange, l’apprentissage et la transmission en mariant assemblages modernes et tissages traditionnels, matière brute et raffinement des formes, mémoire du geste et oubli des usages prédéterminés. Amina Agueznay démontre aussi comment la relation entre art, artisanat et art populaire peut encore être maintenue et vivifiée. 

Création d' Amina Agueznay pour l'exposition Parures, objets d’art à porter au Musée La Manufacture Roubaix, du 7 septembre au 28 octobre 2019. (ANTOINE GUILLOTEAU)

D'autres exemples ? 

Itinérances, une pièce d'Anne-Laure Eustache évoque avant tout le voyage. Un voyage à la fois géographique et temporel, lointain mais aussi local et urbain ancré dans le territoire textile roubaisien. Sa pièce dénonce aussi une certaine industrie du vêtement contemporain, sa futilité ainsi que la course aux prix bas, si caractéristiques de la surconsommation, alors que la mode est aujourd’hui l’une des industries les plus dévastatrices tant au niveau environnemental qu’humain. Enfin, elle met en avant les démarches de récupération et de recyclage qui sont en train de se démocratiser pour devenir des nouveaux standards de la consommation raisonnée. Les matières utilisées pour créer cette parure sont les jacquards de La Manufacture à Roubaix (où se tient l'exposition, ndlr) tissés à des fins pédagogiques lors des visites guidées dans la salle des machines du musée. Ils ont eu une première vie, une première histoire puisqu'ils sont devenus des tentes utilisées dans le cadre du "Camping sur le toit", projet mené en 2018 en collaboration avec Yes we camp. Pour l’exposition Parures, objets d'art à porter les tentes ont été retaillées et les morceaux cousus en bandes pour constituer un nouveau matériau. Avec l'idée du voyage, ces bandes ont été modelées de manière à évoquer des coutumes textiles et costumes traditionnels.L'idée du voyage lointain, c’est aussi la provenance des vêtements de la fast fashion acquis via l'import et réalisés toujours plus vite et à moindre coût au détriment de l’usage et de la valorisation de vrais savoir-faire acquis et transmis, et donc forcément inscrits dans un processus de durabilité. Pour signifier cette course au prix, la pièce est ornée d’étiquettes de prix dont la surface et les attaches ont été teintes en doré. Enfin, l’accumulation dans la coiffe, faite de casquettes récupérées, suggère la surproduction ainsi que la surconsommation, fléaux du monde d’aujourd’hui.

Création d'Anne-Laure Eustache pour l'exposition Parures, objets d’art à porter au Musée La Manufacture Roubaix, du 7 septembre au 28 octobre 2019. (ANNE-LAURE EUSTACHE)

Enfin, je citerai les broderies de plumes et de fils de Léa Verdeguer. Elle met en avant le travail des métiers d’art de la broderie et du tissage. La série des deux parures présentée sur l’exposition s'articule autour d'un dialogue entre plume et tissage. Cette thématique est inspirée du roman Le Coeur cousu de Carole Martinez paru en 2007. L'intrigue se déroule au 19e siècle dans un village du Sud de l'Espagne où une lignée de femmes se transmet depuis la nuit des temps une boîte mystérieuse. Frasquita, l'héroine, y découvre des fils et des aiguilles et s'initie à la couture. Elle sublime les chiffons, coud les êtres ensemble, reprise les âmes effilochées. Ce talent lui donne une réputation de magicienne ou de sorcière. Elle se retrouve condamnée à l'errance à travers l'Andalousie. Ces parures sont inspirées par le personnage d'Angela, seconde fille de Frasquita : une femme oiseau ayant eu pour don un corbeau dont elle partage la vue.

Création de Léa Verdeguer pour l'exposition Parures, objets d’art à porter au Musée La Manufacture Roubaix, du 7 septembre au 28 octobre 2019. (LEA VERDEGUER)

Depuis la création du salon Ethical Fashion Show, comment a évolué l’engagement des créateurs de mode ?

Il a beaucoup progressé, poussé par la génération des millenials. Aujourd'hui celle-ci demande à savoir et ne veut plus être caution d’un esclavagisme moderne, et de même s’engage pour l’environnement. Pour les grandes marques de luxe et de la fast fashion, les millenials étant "leur marché" ils doivent faire face à cette demande d’informations et donc "cleaner" leur chaîne de valeur. De même, il me semble qu’on ne peut pas vivre dans un monde ultra connecté 24h sur 24 avec le monde sans se préoccuper de ces valeurs. Je pense qu’un étudiant qui sort d’une école de mode ne peut éviter de se poser toutes ces questions : quelles matières utiliser ? Comment rendre la chaîne de production plus transparente, respectueuse de l’humain qui la fabrique et de la planète ?

Quelles sont les bonnes pratiques ? 

Pour le producteur : produire moins dans le respect de l’humain et de la planète. Et dès la conception, penser son produit pour qu’il soit complètement circulaire, qu’il puisse repartir dans la chaîne de production en évitant d’être un déchet inutilisable. Pour le consommateur : faire durer nos vêtements, les aimer, les chérir, les réparer, moins acheter mais mieux des vêtements bien faits pour durer (de plus en plus de marques proposent de récupérer les vêtements usagés, de les réparer, comme 1083, Patagonia)… Apprendre à reconnaître les matières naturelles écologiques, les choses bien faites dans le respect de l’humain, des savoir-faire et de l’environnement me semble le premier pas à faire et cela passe par l’éducation.

Comment l’exposition Le revers de mon look peut-elle éduquer le public ?

Le Revers de mon look : quels impacts ont mes vêtements sur la planète ? Cette exposition vient en complément de Parures, objets d’art à porter, comme une initiation à la mode engagée. Elle sensibilise le public à l’industrie de la mode et de l’habillement et à l’envers de la fabrication d’un vêtement. Nous aimons la mode mais que savons-nous des vêtements que nous portons ? De leur cycle de vie ? De leur impact sur l’environnement ? Des inégalités sociales et des injustices économiques qui en découlent ? Comment apprendre à minimiser les dégâts de l’industrie vestimentaire sur la planète comme sur les hommes ? 

Tableau extrait de l'exposition Le revers de mon look qui se tient à la manufacture de Roubaix du 7 septembre au 28 octobre 2019 (LEONARD OLIVIERO.)

Cette exposition propose des réponses précises, pédagogiques et ludiques pour comprendre et agir. Elle est organisée autour de six panneaux en textiles et bois et trois silhouettes derrière lesquelles nous glisser et nous faire photographier. Nous découvrons des informations sur la conception des vêtements, à travers leurs cycles de vie, depuis la matière première jusqu’au recyclage. À chaque étape, les problèmes sont désignés (consommation d’eau, pollution, produits chimiques, émission de CO2, enjeux sanitaires, enjeux sociaux...) et les solutions sont proposées. Nous pensons que l’éducation peut être un vrai facteur de changement. Il faut que tout s’active en même temps, l’éducation vers les enfants, les citoyens, les politiques avec des lois interdisant les mauvaises pratiques.

Exposition Parures, objets d’art à porter du 7 septembre au 28 octobre 2019. Musée La Manufacture Roubaix. 29, avenue Julien Lagache. Roubaix. 

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