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Niki de Saint Phalle, une artiste tourmentée et joyeuse au Grand Palais

Niki de Saint Phalle, artiste rebelle, féministe, anticléricale, antiraciste et populaire, fait l'objet d'une rétrospective au Grand Palais. C'est sur les aspects contestataires de son travail que l'exposition veut mettre l'accent alors que ses œuvres gaies et colorées ont parfois fait oublier leur dimension politique (jusqu'au 2 février 2015).
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Les "Nanas" de Niki de Saint Phalle exposées au Grand Palais (septembre 2014)
 (Marlène Awad / IP3 PRESS / MAXPPP)

Niki de Saint Phalle (1930-2002) est une artiste très populaire, tout le monde connaît la "Fontaine Stravinski" d'automates colorés qu'elle a créée avec Jean Tinguely près du Centre Pompidou et ses "Nanas" monumentales et joyeuses. Elle revendiquait cette dimension populaire, affirmant que le grand public était son public et qu'elle voulait lui apporter de la joie, de l'humour et de la couleur.
 
Mais la rétrospective du Grand Palais veut aller plus loin et souligner "la violence, l'engagement et la radicalité" de son œuvre, notamment "qu'il s'agisse de l'audace de ses performances" et "du contenu politique et féministe de son travail".

Niki de Saint Phalle, Autoportrait, vers 1958-1959, Sprengel Museum, Hanovre, Owner Niki charitable Art Foundation, Santee, USA
 (2014 Niki Charitable Art Foundation, Alle rights reserved, Photo Laurent Condominas)
 
Violence, mort et désolation
 
Niki de Saint Phalle a écrit des textes où elle raconte sa vie et son travail. Elle est aussi une des premières artistes avec Andy Warhol à s'être mise en scène et à avoir utilisé les médias pour organiser sa propre communication. Les 200 œuvres de l'exposition sont ponctuées de phrases et d'extraits de films qui la rendent extrêmement vivante.
 
La première section donne le ton : baptisée "peindre la violence", elle est constituée d'œuvres de la fin des années 1950 et du début des années 1960 qui sont loin d'être légères, même si les couleurs en atténuent parfois la gravité.
 
Dans d'épais tableaux de plâtre s'incrustent des outils ou instruments tranchants, que Niki de Saint Phalle appelle "reliefs de mort et de désolation". En 1958-59, elle fait son autoportrait avec des fragments de céramique et de verre qui donnent, selon ses propres mots, "l'image d'un corps en morceaux et d'une âme tourmentée", même s'il évoque en même temps une certaine coquetterie.
Niki de Saint Phalle, "Could We Have Loved ?", 1968, Niki Charitable Art Foundation, Santee, USA
 (2014 Niki Charitable Art Foundation, All rights reserved)
 
Peindre pour calmer le chaos de l'âme
 
Née à Neuilly-sur-Seine d'une mère franco-américaine et d'un père issu d'une vieille lignée d'aristocrates français, Niki de Saint Phalle a passé sa jeunesse aux Etats-Unis, tout en faisant de nombreux séjours en France, chez ses grands-parents. Elle a d'ailleurs souffert d'avoir été laissée par sa mère de longs mois chez son grand-père paternel alors qu'elle était toute petite.
 
Les viols que lui fait subir son père quand elle a onze ans sont le grand traumatisme de son enfance. Après l'avoir refoulé, elle l'exorcisera dans ses œuvres et le racontera dans ses écrits En révolte contre les rigidités de la religion et contre le mccarthysme, elle se marie en cachette à 18 ans et part pour la France, où un séjour en hôpital psychiatrique la persuade de se consacrer à l'art : "Peindre calmait le chaos qui agitait mon âme (…). C'était une façon de domestiquer ces dragons qui ont toujours surgi dans mon travail (…). Sans cela, je préfère ne pas penser à ce qui aurait pu m'arriver." (citée par Catherine Francblin dans sa biographie "Niki de Saint Phalle, la révolte à l'œuvre", publiée l'an dernier aux éditions Hazan).
Niki de Saint Phalle, "Le Cheval et la mariée", 1964, Sprengel Museum, Hanovre, donation de l'artiste en 2000
 (BPK, Berlin, dist. RMN-Grand Palais / Michael Heling / Aline Gwose)
 
Contre le mariage, des mariées gigantesques
 
Pourtant, son œuvre est en même temps un hymne à la vie et dégage constamment une énergie réjouissante.
 
Niki de Saint Phalle est autodidacte tout en étant imprégnée du travail des artistes de son temps. Elle est marquée par sa découverte de Gaudi, ses paysages pleins de coulures évoquent les "drippings" de Jackson Pollock.
 
L'artiste rejette les modèles féminins qui lui sont imposés, affirmant qu'elle ne ressemblera pas à sa mère. Elevée "pour le marché du mariage", elle modèle, au milieu des années 1960, des mariées monumentales, toutes blanches, affirmant que "le mariage, c'est la mort de l'individu, c'est la mort de l'amour".
Niki de Saint Phalle, Dolorès, 1968-1995, résine peinte, grillage, Sprengel Museum, Hanovre
 (2014 Niki Charitable Art Foundation, All rights reserved. Donation Niki de Saint Phalle)
 
Le féminisme joyeux des "Nanas"
 
Suivent les "Nanas", immenses personnages de papier collé et de laine, puis de résine, hyper colorées, jubilatoires, réjouissantes. Sensuelles, rondes avec d'énormes seins, d'énormes fesses et de petites têtes, elles dansent ou se tiennent avec un sac à main.
 
Elles sont plus grandes que nature parce que, dit l'artiste, elles ont besoin d'être plus grandes que les hommes pour être leurs égales. Elles expriment un féminisme joyeux qui veut "aider la féminité à survivre" chez les femmes comme chez les hommes, également victimes. "Elles sont libérées du mariage et du masochisme, elles sont elles-mêmes, elles n'ont pas besoin des mecs, elles sont libres, elles sont joyeuses", dit Niki de Saint Phalle dans une interview filmée.
 
Revendiquant un "droit au refus, à la révolte", elle appelle de ses vœux une société dirigée par les femmes qui sauraient, selon elle, fonder un monde plus heureux.
Niki de Saint Phalle, "La Toilette", 1978, exposé au Grand Palais (septembre 2014)
 (Ginies / SIPA)
 
Les "mères dévorantes", côté sombre des femmes
 
Les "Nanas" sont parfois noires, comme "Black Rosy", en référence à Rosa Parks, héroïne de la lutte pour les droits civiques. Car Niki de Saint Phalle est révoltée contre la condition qui est faite aux Noirs aux Etats-Unis.
 
Au début des années 1970, après les "Nanas" positives, l'artiste s'intéresse aux côtés sombres des femmes, avec la figure de la "mère dévorante", pendant du père prédateur. "Le thé chez Angelina" met en scène deux horribles rombières, aussi grosses que les "nanas" mais comme aplaties, le menton perdu dans le gras du cou.
 
Niki de Saint Phalle exprime ainsi l'ambivalence de ses sentiments vis-à-vis de sa mère, affirmant en même temps que "nous sommes toutes de mauvaises mères". Elle tue son père symboliquement dans "Les funérailles du père", où sa mère debout devant le cercueil exprime sa passivité, voire sa complicité.
Niki de Saint Phalle en train de viser, 1972, photo en noir et blanc rehaussée de couleur extraite du film "Daddy"
 (Peter Whitehead)
 
Peindre à la carabine
 
Autre aspect réjouissant de l'oeuvre de Niki de Saint Phalle, ses "tirs" tiennent de la performance et sont régulièrement filmés. A partir de février 1961 et pendant une dizaine d'années, elle peint littéralement à la carabine. "J'ai eu la chance de rencontrer l'art parce que j'avais, sur un plan psychique, tout ce qu'il faut pour devenir une terroriste. Au lieu de cela j'ai utilisé le fusil pour une bonne cause, celle de l'art", écrit-elle.
 
Des pochettes de peinture de couleur ont été placées sous une couche de plâtre plus ou moins travaillée et agrémentée d'objets, voire sculptée. Les couleurs sont libérées quand les tirs percent le plâtre, elles coulent alors sur le plâtre. Niki de Saint Phalle affirme qu'elle tire alors "sur la société et ses injustices" et exprime la jouissance que lui procure l'acte : "Je tirais parce que cela me faisait plaisir et que cela me procurait une sensation extraordinaire." (citée par Catherine Francblin).
Vue du "Jardin des Tarots" créé par Niki de Saint Phalle à Garvicchio, en Italie
 (Laurent Condominas)
 
Révoltée jusqu'à la fin
 
Le jardin des Tarots, créé par l'artiste en Toscane, un de ses plus grands projets, est évoqué avec des photos et un film. Ce parc de sculptures monumentales inspirées des 22 arcanes majeures du tarot a mis vingt ans à être réalisé. Il s'agit d'un défi : "J'avais un besoin impératif de prouver qu'une femme pouvait assumer un travail aussi fou et aussi grand." Un défi coûteux aussi. Elle le finance grâce à la vente de produits dérivés.
 
Jusqu'à la fin de sa vie, Niki de Saint Phalle a exprimé sa révolte et son indignation. Dès l'apparition de la maladie, elle s'est impliquée dans la lutte contre le sida. Elle crée des sculptures phalliques colorées pour inciter à utiliser des préservatifs. Et des tableaux peints en 2001, un an avant sa mort, se demandent si "les Américains préfèrent les armes à feu aux enfants" ("Guns"), défendent le droit à l'avortement ("Abortion, Freedom of Choice"), alertent sur le réchauffement climatique ou caricaturent George W. Bush. 

Niki de Saint Phalle, Grand Palais (entrée Champs-Elysées), Paris 8e
du mercredi au samedi : 10h-22h
dimanche et lundi : 10h-20h
fermé le mardi
tarifs : 13€ / 9€, gratuit pour les moins de 16 ans, les bénéficiaires du RSA et du minimum vieillesse
du 17 septembre 2014 au 2 février 2015
 

 

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