Les femmes objets de Linder exposées à Paris
Lady Gaga n’a rien inventé quand elle a porté une robe en viande crue aux MTV Video Music Awards de 2010. En 1982 Linder avait arboré une robe en viande de poulet à laquelle étaient accrochées des têtes, des pattes et des viscères de volailles, lors d’un concert avec son groupe Ludus. Les tables du Haçienda, un club de Manchester, avaient été décorées avec des tampons trempés dans l’encre rouge. La viande et les tampons, pour Linder qui est végétarienne, ça représentait la réalité de la vie des femmes. Et pour choquer davantage, elle exhibait un énorme godemiché noir, tout en criant : « Women, wake up » (femmes, réveillez-vous).
Un film de ce concert est projeté au Musée d’art moderne de Paris, même si ce sont surtout les œuvres visuelles de Linder qui sont exposées, et non ses performances.
Une artiste multifacettes
Linda Mulvey, qui s’est rebaptisée Linder Sterling, est née en 1954 à Liverpool, dans une famille ouvrière. Elle a passé son adolescence à Manchester. Dans les années 1970, la vieille ville industrielle du nord de l’Angleterre est sinistrée et le mouvement punk fleurit, vomissant l’ordre établi. Même si à l’époque, au Royaume-Uni, « nous détestions ce nom de punk, c’était un mot américain qui n’avait rien à voir avec ce que nous étions », dit-elle.
Sa révolte, Linder va l’exprimer à travers le dessin, la photo, le collage, la musique et les performances. L’exposition Femme/Objet est la première rétrospective de 35 ans de travail d’une « artiste discrète qui a eu une grande influence », selon Fabrice Hergott, le directeur du Musée d’art moderne de la Ville de Paris. Il salue « une œuvre très insolente et très lumineuse », un « antidote contre la vulgarité et la pornographie des médias ».
Des collages et des photomontages pour déconstruire les images
« Ce qui m’a le plus touché, c’est ce travail féministe qui est encore d’actualité », confie de son côté la commissaire de l’exposition, Emmanuelle de l’Ecotais.
Linder a tenu à ouvrir l’exposition sur des photos du Dickens’ Bar, lieu où se retrouvaient les travestis de Manchester, dans les années 1970. Et les punks, car c’était le seul endroit de la ville où on pouvait s’habiller comme on voulait sans se faire remarquer. « C’est la première fois que ces photos sont montrées, elles ont été tirées exprès pour l’exposition », précise l’artiste. Ce qui lui plaisait, c’est que « les hommes qu’on voit jouent avec l’idée de féminité. Ils se réinventent eux-mêmes ».
Ces photos de 1976-1977 sont comme une introduction à son travail sur le masculin et le féminin et la déconstruction des images que permettent ses collages et ses photomontages.
Un mélange de bonne ménagère et d'objet sexuel
La belle dame, pas trash du tout, est ravie et encore toute émue d’être exposée au Musée d’art moderne, qu’elle dit avoir souvent visité sans jamais imaginer qu’elle en serait un jour la vedette.
« Quand j’étais jeune, j’étais curieuse de savoir comment je devais être en tant que femme. Le problème, avec la plupart des images, c’est qu’elles sont fragiles. Et c’est facile, avec des collages, de les perturber », explique Linder.
Elle travaillait avec deux piles de magazines. D’un côté, des magazines féminins -mode, cuisine, enfants- et de l’autre des magazines pour hommes, auto, bricolage et surtout porno. D’ailleurs elle dit avoir aujourd’hui une énorme collection de magazines, dont beaucoup de porno. Ca l’intéressait de voir comment les femmes étaient représentées dans les deux. Et dans ses montages, elle mélange ces images.
Après l'électroménager, les roses
Des femmes nues sont collées dans des cuisines, avec des appareils électroménagers ou des ustensiles de cuisine en guise de tête, comme si elles n’avaient pas plus de cervelle qu’un moulin à café. Une femme entravée surgit ainsi d’une casserole comme un génie, un mixeur à la place de la tête.
« Les collages sont un excellent moyen de déconstruire la manière qu’ont les autres de nous imposer leur vision du monde », pense Linder.
Plus tard, elle colle de grandes fleurs de couleur, en particulier des roses, sur des images de femmes nues issues de négatifs noir et blanc trouvés et agrandis en grand format. Linder dit la jubilation du « moment magique où la lumière traverse ces négatifs qui n’ont pas vu le jour depuis 40 ans ».
La rose suggère les sentiments, le romantisme, l’innocence peut-être. Elle en a fait un grand usage ces dernières années. Elle s’est amusée à se mettre en scène, dans des photos de Tim Walker, où elle mime les gestes de la ménagère, habillée de blanc et affublée d’énormes fleurs roses ou jaune.
Aujourd'hui, une pornographie plus brutale
De grands rideaux semi-transparents ont été suspendus, cachant certaines des œuvres. Un hommage à l’industrie textile de la région de Manchester, en déclin quand Linder a commencé à travailler. Et une façon de retenir les choses. « Pour notre génération, le secret est très important. Les idées se développent mieux si vous ne les dévoilez pas », pense l’artiste.
Aujourd’hui, ce sont fréquemment des gâteaux, de gros gâteaux à la crème, que Linder introduit dans ses œuvres. Ils expriment l’écoeurement face aux images pornographiques où ils viennent cacher les sexes.
« On me demande souvent si quelque chose a changé dans le porno », raconte Linder, qui s’est amusée à aller visiter les sex-shops de Pigalle quand elle est arrivée à Paris. Outre le fait qu’il n’y a quasiment plus de magazines, elle remarque deux différences essentielles, « il y a beaucoup moins de poils et il n’y a plus de narration, on va droit au but », c’est beaucoup plus brutal.
Pour finir, Linder a imaginé des caissons lumineux qui rappellent les panneaux publicitaires, pour mieux dénoncer la transformation des femmes en marchandises.
Linder, Femme/Objet, Musée d'art moderne de la Ville de Paris, 11 avenue du Président Wilson, 75116 Paris
tous les jours sauf le lundi, 10h-18h, le jeudi jusqu'à 22h
tarifs : 6€ / 4,50€ / 3€
du 1er février au 21 avril
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