"Les Amazones de la Révolution" au Musée Lambinet de Versailles
De l’égérie à la martyre
La Révolution française a glorifié les valeurs de la République sous des figures féminines empruntées aux mythes grecques, source de démocratie. Les plus célèbres échos en sont 'La Liberté guidant le peuple", le tableau monumental exposé au Louvre de Delacroix, pour commémorer la révolution des Trois Glorieuses de 1830, et Marianne, allégorie de la République française, d’abord sous des trais anonymes, puis ceux de Brigitte Bardot à Sophie Marceau, en passant par Michèle Morgan, Mireille Mathieu, Inès de la Fressange ou Laetitia Casta.Associée à la devise républicaine, Liberté, Egalité, Fraternité (Trois substantifs féminins, comme la République), Marianne a été déclinée à loisir depuis les premiers temps révolutionnaires, jusqu’aux sculptures Place de la Nation et de la République, à Paris, "La Liberté éclairant le monde" offerte par la France à la ville de New York, ou comme effigie sur les timbres et pièces de monnaie françaises…
Cette glorification de la femme comme figure tutélaire des valeurs de la France et de la République, ne l’a pas empêchée d’être malmenée, moralement et physiquement, par les révolutionnaires et les contre-révolutionnaires, tant individuellement que comme groupe organisé ou communautaire.
La reine Marie-Antoinette focalise toute la vindicte contre la monarchie, bien plus que Louis XVI. Si l’exécution du roi est un symbole et un message politique au monde, celle de la reine en condense toute la violence. Madame Roland, grande figure girondine qui subira le même sort, prédisait dans ses écrits que la mort de Marie-Antoinette irait contre les objectifs visés, en l’élevant au rang de martyre et d’icône, ce qui se vérifie encore aujourd’hui. Manon Roland ne sera pas la seule actrice de la Révolution à passer sous le couperet, après s’être battue pour elle, mais du mauvais côté de l’Assemblée.
Idoles, exclues et dangereuses
Si les philosophes des Lumières éclairent la voie menant à la Révolution, les femmes en furent dans une large mesure la cheville ouvrière. Dans la société patriarcale du XVIIIe siècle, elles sont exclusivement destinées au foyer, à l’éducation des enfants et au travail de la terre, exceptées les nones. Elles sont les premières à subir les carences quotidiennes, car elles ciblent les fonctions qui leur incombent.Leur participation à la prise de la Bastille le 14 juillet 1789 a suscité tout et son contraire. Certains témoignent de leur présence, d’autres non. Les gravures montrent très majoritairement les hommes à l'assaut. Les rares femmes sont des victimes, mais l'une d'elles expose au premier plan une femme un mousquet à la main. Une telle représentation fait voler en éclat un tabou majeur de la société contemporaine, les femmes étant exclues des armées et interdites de porter les armes. Raison pour laquelle les instruments de mort auxquels elles sont identifiées sont le poison et l’arme blanche, plus précisément le couteau. Les conséquences de cette transgression seront diverses et multiples.
Autre moment clé de l’importance des femmes dans les premiers temps révolutionnaires : la journée du 5 octobre 1789 qui vit la marche sur Versailles pour réclamer du pain au roi, à l’initiative des parisiennes rassemblées place de Grève. Très largement en nombre dans l’immense défilé qui les conduit jusqu’au palais, voyant leurs rangs grossir au fil de la marche, certaines portent des pics, des fourches, même des fusils. Le mouvement devient politique quand la revendication devient celle de faire revenir définitivement le roi à Paris. Des gravures représentent même un canon dans le cortège. Une autre voit le tube chevauché à califourchon par une femme. Ces dessins satiriques contre-révolutionnaires dénoncent les conséquences licencieuses auxquels conduit le mouvement populaire.
Théroigne et Charlotte sous le signe de Mars
Théroigne de MéricourtLes caricatures identifient la cavalière explosive à Théroigne de Méricourt, Liégeoise qui a pris parti pour les idées progressistes françaises, habitante de Versailles depuis mai 1789, et qui n’a pas suivi la marche, mais s’est rendue devant le palais à l’arrivée du cortège. Femme de tête, féministe avant l’heure, elle est la seule femme à suivre les débats dès l’Assemblée constituée.
Cible privilégiée de la presse royaliste, elle y sera accusée à tort d’avoir assassiné un royaliste lors de la prise du palais des Tuileries le 10 août 1792. Vêtue en amazone (longue jupe plissée, gabardine, bicorne), revendicatrice de la création de bataillons de femmes pour défendre la République au nom de l’égalité, elle est identifiée à la guerrière révolutionnaire par excellence. Souvent représentée les armes à la main, elle prêche en fait la non-violence et la modération des débats. La légende restera, les révolutionnaires eux-mêmes reprenant les arguments monarchistes quand il s’agira d’évincer les femmes du débat politique, à partir de 1793, argumentant sur la violence prêtée aux femmes et leur imprévisibilité. Lamartine et Dumas perdureront cette image, en l'ancrant jusqu’à nos jours. Dans le jeu vidéo "Assassin Creed", par exemple, elle apparait vindicative, héroïque, armée d’un pistolet au milieu des foules en révolte.
Cette violence qu'on lui prête se retournera contre elle, quand le 13 mai 1793, elle est prise à parti par des Montagnardes qui la dénudent et la fesse en pleine Assemblée, l’incident étant interrompu par Marat. Théroigne en restera profondément traumatisée et vivra dès lors dans l’angoisse perpétuelle d’être guillotinée. Elle en réchappera, mais de plus en plus encline à des crises de folie, dues sans doute à une syphilis mal soignée. Elle est mise sous tutelle par son frère et internée durant 23 ans, pour finir ses jours à la Salpêtrière en 1817.
Charlotte Corday
Autre figure féminine centrale de la Révolution, la plus connue de toutes, la seule à apparaitre dans les manuels scolaires du primaire au chapitre révolutionnaire : Charlotte Corday, assassine du député Marat, dit "l’ami du peuple", le 13 juillet 1793.
Issue de la petite aristocratie paysanne normande, Charlotte se reconnaît dans les idées girondines et éprouve la conviction profonde de devoir agir pour la cause. C’est elle qui motivera son geste, en se rendant spécifiquement à Paris pour l’exécuter. Marat, fervent Montagnard farouchement opposé aux Girondins, réclame à tour de bras des têtes et est à ses yeux l’ennemi à abattre pour arrêter le massacre. Pour une vie prise, des milliers de sauver, selon elle. C’est le contraire qui se réalisera. Arrêtée aussitôt, enfermée, jugée lors d’un procès retentissant, guillotinée, elle desservira finalement sa cause, en incitant Robespierre et Saint-Just à instaurer la Terreur. Les clubs féminins sont fermés, les femmes évincées des débats politiques, et leur présence au sein des armées, qui leur avait été octroyée éphémèrement, révoquée.
L’assassinat de Marat a donné lieu à une foule de représentations picturales sur divers supports. Tout comme l’arrestation de Charlotte Corday, son procès (notamment sur un œuf à repriser) et son portrait, sont reproduits à satiété. Charles Vatel, avocat, collectionneur et érudit versaillais, fondateur du futur musée Lambinet en 1883, recueillit le plus grand nombre d’œuvres et de documents au monde sur Charlotte Corday, conservés dans le fonds de l’institution.
Olympe et Manon trop tranchées
Moins sulfureuses dans leurs actes prétendus, mais non moins dangereuses par le verbe, Olympe de Gouges et Manon Roland, dite Madame Roland, sont des personnalités centrales des temps révolutionnaires.Olympe de Gouges
Roturière originaire de Montauban, Olympe de Gouges prendra la particule après être arrivée à Paris en 1770 et son passage à la Cour. Femme de Lettres, ses premiers pas en politique s’effectuent sous la forme d’une pièce de théâtre qui prend la cause des noirs, contre l’esclavage. Favorable à une monarchie constitutionnelle, elle rejoindra les Girondins en 1792. Mais elle aura rédigé avant, en 1791, une "Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne" sur le modèle de la "Déclaration des droits de l’homme et du citoyens" de 1789. Elle est de fait à l’avant-garde de la cause féministe et ne cessera de l’être, tout comme elle milita constament contre l'esclavage. Son mot le plus fameux : "La femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune".
Elle n’en finira pas moins guillotinée le 3 novembre 1793, pour ses prises de position de plus en plus véhémentes contre la Montagne à l’Assemblée, au penchants totalitaires à ses yeux, et contre Robespierre qu’elle considérait comme un dictateur en puissance, allant jusqu’à le soupçonner d’"exécration de l’humanité" et à traiter Marat d'"avorton de l'humanité". Ce qui l'enverra manu-militari à l'échafaud. Qui sème le vent récolte la tempête…
Madame Roland
Egalement salonnière, Manon Roland, roturière parisienne, se révèle très tôt douée pour les études et d’un esprit vif, volontaire et pugnace. Cultivée, elle demeure pieuse, hésite un temps pour le couvent, mais préfère Rousseau et les Lumières. Entièrement dévouée à son mari, Jean-Marie Roland de la Plâtrière, de 20 ans son aîné, Inspecteur des manufactures de Picardie, elle lui décroche le même poste à Lyon, où le couple s’installe. Enthousiasmée par les idées révolutionnaires, de retour à Paris, Manon tient salon avec les élites vouées à la cause, Brisso, Robespierre, Buzot… pour se ranger du côté girondin dont elle devient l’égérie. Profitant de ce statut, elle ouvre à son mari, les portes du ministère de l’Intérieur dont il prend la tête. Quand elle ne tient pas la plume pour répandre ses idées, on lui reproche d’être celle de son époux.
Prenant de plus en plus position contre Danton, à travers Buzot - les femmes n’ayant pas accès à la tribune -, le géant de la Montagne devine d’où vient cette ire et lance "Nous avons besoin de ministres qui voient par d’autres yeux que ceux de leur femme". Manon et son époux deviennent la cible à abattre, surnommés la "reine Coco" et "Coco Roland", "Coco" étant alors un sobriquet synonyme de ridicule. N’y tenant plus, le ministre démissionne, et part pour les environs de Rouen où il se suicidera. Signe de sa constante pugnacité, sa femme reste à Paris. Elle est rapidement arrêtée, embastillée à la Conciergerie, succursale de la guillotine, où elle sera respectée de ses gardiens, avant de monter à l’échafaud, avec une dignité remarquable et remarquée de tous, le 8 novembre 1793.
Tricoteuses et Merveilleuses
Les héroïnes de la Révolution ne sont pas qu’individuelles. Des groupes emblématiques émergent du côté des révolutionnaires et des contre-révolutionnaires. Les premières sont rassemblées sous le terme générique de "Tricoteuses". Les secondes, apparues à la fin de la Terreur quand Robespierre a été décapité le 26 juillet 1784, sous celui de Merveilleuses.Les Tricoteuses
Les "Tricoteuses" désignent les femmes du peuple favorables à la Révolution et activistes dans ses instances, que cela soit dans les clubs, à l'Assemblée ou autour de l'échafaud, voire lors de lynchages de rue. Cette terminologie, assez tardive puisque attestée à partir de l'hiver 1794-95, a rejailli sur toute cette communauté à compter des débuts de la Révolution, dans des écrits tardifs. Cette appellation recèle une couleur péjorative et condense toute l' ambigüité de la violence prêtée aux femmes révolutionnaires.
L'origine de ce sobriquet provient de leur activité à coudre ou confectionner des pansements pour les soldats de la Révolution, pendant qu'elles écoutaient les débats à la tribune ou assistaient aux exécutions capitales. Leurs invectives adressées aux tribuns, railleries et autres huées favorables ou non aux intervenants ont fondé leur sombre réputation et légende.
Montagnardes, donc relevant de la faction dure de l'Assemblée, elles ont souvent été brocardées par les caricaturistes contre-révolutionnaires et à l'étranger, qui les représentent comme des vulgaires poissardes, laides et flétries, telles des sorcières. Elles sont associées aux pires exactions et lynchages, tels celui de la Princesse de Lamballe, qui avait pour malheur d'être amie intime de Marie-Antoinette. Dévétue, assassinée, décapitée en pleine rue, sa tête fut dressée sur la pointe d'une pique pour être exhibée à la fenêtre de la reine embastillée à la prison du Temple.
Les Merveilleuses
Les Merveilleuses sont la Némésis (déesse grècque de la vengeance) des Tricoteuses. Si leur apparition évanescente fut de courte durée, de la fin de la Terreur en juillet 1794 à 1795, sur seulement quelques mois, elles frappèrent les esprits par leur tenues vestimentaires provocatrices, en influençant la mode sur le long terme. Elles aussi furent la cible des caricaturistes qui participèrent grandement à leur promotion, alors qu'elles se limitaient au nombre réduit d'une aristocratie moribonde et clairsemée..
Robespierre occis, la jeunesse monarchiste encore de ce monde sentit un vent de liberté tel qu'il engendra des comportements libertaires scandaleux comparés au raide sentiment révolutionnaire. Les excentricités les plus folles, pour l'époque, étaient de mise chez les jeunes filles des meilleures familles. La mode vestimentaire est à l'antique, façonnée en drapés vaporeux, transparents, laissant deviner la chair nue sous des crêpes de limon et de mousseline, ajustés prêt du corps, pour laisser transparaître au mieux la silhouette. L'on disait que la Merveilleuse avait l'apparence d'une jeune fille revêtue d'une robe mouillée.
Les accessoires sont essentiels. Les perruques se multiplient, et l'on en porte de diverses couleurs au cours de la journée. Tout comme les chapeaux aux longues visières relevées, les rubans qui soulignent la taille, les lunettes et lorgnons, puisqu'il était de bon ton d'être myope. Des bagues précieuses ornent les orteils, et les coiffures doivent être dégagées sur la nuque, pour mieux laisser passer le couperet de la guillotine mise à la casse. C'est alors qu'apparait le "riticule", ou 'ridicule", voire "balantine", ancêtre du sac à main, les belles s'interdisant les poches dans les confections de gaze dont elles se parent.
L'équivalent masculin de la Merveilleuse est l'Incroyable, avec les codes qui siéent à leur genre. Le mouvement annonce les futurs Zazous de l'après Seconde Guerre mondiale, comme phénomène culturel réactionnaire à une période d'oppression.
Autour de l'exposition
Le musée Lambinet offre à voir et découvrir cette complexe approche de la femme, des femmes, sous le signe de la violence, subie, ou provoquée, réelle ou fantasmée, sous la période révolutionnaire. Le bel écrin de l'hôtel particulier du boulevard de la Reine, à Versailles, se prête à merveille au sujet, et donne l'occasion de découvrir par ailleurs ses très riches collections entièrement vouées au XVIIIe siècle.
De nombreuses activités accompagnent l'exposition, pour les plus jeunes, comme les adultes (voir le site du musée). Enfin et surtout, le catalogue conçu et rédigé sous la direction de Martial Poison, professeur de l'Université Paris 8, et commissaire de l'exposition, est son complément indispensable, richement illustré et passionnant de bout en bout, Révélations et découvertes s'y succèdent, enluminées de documents rares, permettant d'approfondir un tournant de l'histoire de France et du monde, sous un angle peu usité et une exhaustivité remarquable. Révolutionnaire !
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