Musée Guimet : le mont Fuji dans tous ses états sous les coups de pinceaux des maîtres de l'estampe japonaise
Le musée Guimet a puisé dans sa riche collection d’estampes pour présenter "Fuji, pays de neige", une exposition consacré au mont Fuji. Lieu d’inspiration majeur pour de nombreux artistes japonais, les représentations du célèbre volcan dessinent, au fil des époques, une partie de l’histoire culturelle du Japon.
Elle se tient droite, couchée à l’encre sur du papier légèrement froissé. Une femme aux longs cheveux noirs et au port altier se dresse devant une montagne qui émerge de la brume. La déesse du mont Fuji accueille les visiteurs d’une exposition visible jusqu’au 12 octobre au musée Guimet à Paris, Fuji, pays de neige. Aux côtés de la divinité qui ouvre la sélection, 70 estampes sont présentées avec pour thème commun le mont Fuji. Ce volcan de 3776 mètre d’altitude, situé sur l’île de Honshu, domine l’archipel nippon et inspire ses artistes depuis plusieurs siècles.
Au fil des estampes se succèdent ainsi divers aspects de ce grand cône enneigé. Mont Fuji sacré, haut lieu du bouddhisme et du shintoïsme, contemplé par des moines et entouré d’une brume fantomatique, mont Fuji profane, dessiné au XVIIIe siècle sur un voile tendu par trois courtisanes, à l’époque où l’accès à cette montagne était interdit aux femmes, mont Fuji quotidien, visible depuis la fenêtre d’un intérieur japonais, mont Fuji abstrait, réduit à un simple triangle blanc entouré par deux fins traits noirs… Une richesse de représentation qui a conduit la présidente du musée Guimet à mettre sur pied cette exposition. “C’est un lieu universellement reconnu, emblématique à la fois du paysage, de la spiritualité et de l’art japonais“, résume Sophie Makariou en rappelant qu’il a été inscrit en 2013 sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco “au titre de lieu sacré et de source d’inspiration artistique“.
Quatre "vues" d'Hokusai réunies
Un maître incontesté de l’estampe a fait du fameux volcan son principal motif d’inspiration, voire son obsession. Katsushika Hokusai (1760-1849) a tracé Trente-six vues du mont Fuji. L’exposition rassemble, fait plutôt rare, quatre vues emblématiques, dont le célèbre Fuji rouge admirable aux côtés de son équivalent bleu. Ce travail a inspiré en France les peintres impressionnistes. Paul Cézanne (1839-1906) a peint, plusieurs fois lui aussi, la montagne Sainte-Victoire près d’Aix-en-Provence. Henri Rivière (1864-1951) a rendu hommage au maître japonais avec ses Trente-six vues de la tour Eiffel.
Plus largement, ces déclinaisons offrent une réflexion sur la notion de motif en art, et sur l’enjeu de renouvellement exploré par les artistes décidant de se confronter au mont Fuji. Comment faire autrement que ses prédécesseurs tout en s’inscrivant dans la tradition ? Chronologique, le parcours de l’exposition donne à voir les évolutions esthétiques qui accompagnent les représentations. “Dans certaines estampes, le Fuji est au centre du sujet et de la composition. Au bout d’un moment il finit par devenir une référence artistique, lorsqu’un artiste joue avec les codes d’un autre artiste. Enfin, il en vient à ne devenir qu’un prétexte à de purs jeux formels“, analyse Vincent Lefèvre, directeur de la conservation et des collections du musée Guimet.
Du Fuji à la neige
Les estampes passent ainsi, dans la deuxième partie de l’exposition, de la représentation du mont Fuji à celle, plus générale, de la neige. Aboutissement d’une "maîtrise totale de la forme et des couleurs", selon Vincent Lefèvre, que les maîtres nippons ont acquis au fil du temps, les tracés deviennent presque abstraits.
Dans Oi, estampe issue de la série des 69 relais du Kisokaido d’Utagawa Hiroshige, deux cavaliers conduits par leurs guides “sont couverts de neige, et ils se confondent avec les collines avoisinantes. Ils ne sont plus qu’une forme triangulaire, une forme d’abstraction“, observe le directeur des collections du musée.
"Poésie industrielle"
Ces représentations de paysages enneigés permettent également à l’estampe d’entrer dans la modernité. Les œuvres du XXe siècle qui s’inscrivent dans le mouvement Shin-hanga (ou “nouvelle estampe“) font surgir un Japon plus industriel, plus réaliste et plus cru. Une estampe de Mizuno Toshitaka donne à voir une scène de la guerre sino-japonaise (1894-1895). Dans la brume, au second plan du dessin, ce n’est plus le mont Fuji qu’on aperçoit mais un bateau à vapeur qui crache une fumée noire.
Autre grand artiste de cette période, Kawase Hasui dépeint “un Japon moderne, un peu déclassé, empreint de poésie industrielle mais également d’une certaine tristesse“, analyse la présidente du musée Sophie Makariou. La neige reste un élément central des compositions mais le monde qu’elle recouvre n’est plus enchanté. Dans la dernière estampe, celle qui clôt l’exposition, Kawase Hasui a tracé un temple enneigé devant une route moderne et surplombée de fils électriques. Au loin, le mont Fuji et ses divinités ont disparu.
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