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L'artiste plasticien Christian Boltanski, hanté par la mémoire et la mort, vient de disparaître à l'âge de 76 ans

Franceinfo a appris le décès de l'artiste plasticien Christian Boltanski des suites d'un cancer. L'homme était considéré comme l'une des figures majeures de l'art contemporain.

Article rédigé par franceinfo Culture - Carla Loridan (avec AFP)
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
L'artiste français Christian Boltanski en juin 2014. (MIGUEL RIOPA / AFP)

Il avait marqué le monde de l'art contemporain en 2010 lors de l'exposition Monumenta au Grand Palais avec sa spectaculaire installation Personnes. Franceinfo a appris le décès de l'artiste plasticien français Christian Boltanski ce mercredi 14 juillet, à l'âge de 76 ans.

"Il est mort ce matin à l'hôpital Cochin (à Paris), où il était depuis quelques jours. Il était malade. C'était un homme pudique, il a caché les choses aussi longtemps qu'il a pu", a également déclaré à l'AFP Bernard Blistène, ancien directeur du musée d'art moderne au centre Pompidou, qui lui avait consacré une exposition en 2020 -.

Il était également le compagnon de longue date d'Annette Messager, autre artiste-plasticienne de renom.

Artiste autodidacte

Christian Boltanski fait ses premiers pas dans l’art à l’âge de 14 ans. En 1958, sans avoir connu de véritable scolarité ni suivi de formation artistique, cet autodidacte réalise des tableaux représentant des scènes historiques ou des personnages isolés dans des situations macabres, par exemple dans des cercueils.

Installation "Archives des Suisses Morts" de l'artiste français Christian Boltanski (2007) (DIMITAR DILKOFF / AFP)

L'artiste, qui se qualifiait lui-même de peintre s'éloigne en 1967 de la peinture et expérimente l'écriture, par des lettres, des installations ou des dossiers qu'il envoie à des personnalités artistiques. Par la suite, ses modes d'expression vont s’étendre à de nombreuses disciplines comme la photographie, la sculpture, le témoignage sonore, les installations, les assemblages ou les films.

Une enfance marquée par la Shoah

Christian-Liberté Boltanski naît le 6 septembre 1944 à Paris d'une mère écrivaine,  corse et catholique et d'un père médecin, juif converti d'origine ukrainienne. Pendant l'Occupation, sa mère atteinte de polio cache son père sous le plancher de leur appartement. Ils simulent un divorce et prétendent que le père a quitté Paris.

"Mon père était juif. Pendant la guerre, ma mère a eu peur. Un jour, elle a fait semblant de s’engueuler avec lui. Ensuite elle l’a caché sous le plancher et a demandé le divorce. Il est resté un an et demi dans cette cachette… Puis mes parents se sont remariés. [...] Ma vie et mon œuvre ont été très marquées par la Shoah, et je crois que tous les survivants de la Shoah n'ont cessé de se poser la question : pourquoi j'ai survécu ?", expliquait Boltanski lors d’un entretien à Télérama. Son neveu, le romancier Christophe Boltanski raconte cette famille atypique dans La Cache, salué par le prix Femina 2015.

L'artiste français Christian Boltanski pose devant son installation à la veille de l'inauguration de l'événement "Monumenta 2010", le 12 janvier 2010 au "Grand Palais" à Paris.  (PIERRE VERDY / AFP)

En 2010, son installation monumentale Personnes dans la nef du Grand Palais évoque la Shoah sans y faire directement allusion. La pince d'une grue prélève inlassablement des habits tirés d'une pile d'une quinzaine de mètres et les relâche au hasard. Au sol, 69 "carrés" recouverts de vêtements étalés comme autant de pierres tombales. Le son, très fort, anime l'atmosphère glaciale de battements cardiaques recueillis par l'artiste à travers le monde. Le visiteur est immergé dans l'oeuvre gigantesque. Il n'est plus un simple spectateur.

L'oeuvre "Personnes" de Christian Boltanski, pour l'exposition Monumenta 2010 au Grand Palais. (FRED DUFOUR / AFP)

La mémoire, l’oubli et l’absence

Boltanski est apparenté au courant des Mythologies Personnelles. L’artiste développe sa créativité en mettant en scène sa vie mais de façon imaginaire, idéale, et à travers cette vie unique, il en appelle à l’émotion de chacun. Sa particularité : reconstituer des instants de vie avec des objets qui ne lui ont jamais appartenu mais qu'il expose pourtant comme tels. Il imagine une vie, se l'approprie et tous les objets de ses dossiers, livres, collections sont les dépositaires de souvenirs.

Des visiteurs devant l'œuvre d'art "les registres du Grand Hornu" de l'artiste français Christian Boltanski pendant l'exposition " Manifesta " à Waterschei en 2012. (JOHN THYS / AFP)

Toute sa vie, Christian Boltanski a travaillé sur l'absence, la disparition et l'inquiétude universelle face à la mort. Ses œuvres font écho à la mémoire, l’oubli et la trace que chacun laisse ou laissera derrière lui. L'émotion est partout dans l'oeuvre de Boltanski, qui interpelle chacun dans la fugacité de son humanité.

On retiendra aussi de l’artiste certains de ses projets iconoclastes : Boltanski avait compilé sur une île japonaise les battements de 75 000 cœurs, vendu sa vie en viager à un collectionneur en Tasmanie et tenté de parler avec les baleines de Patagonie. 

Rétrospective à Pompidou

En 2020, le Centre Pompidou lui avait consacré une exposition, Faire son temps, conçue comme une gigantesque oeuvre unique. Avec lui, "une exposition était comme un véritable récit, comme un grand mouvement", se souvient encore Bernard Blistène, qui le côtoyait depuis une quarantaine d'années.

L'évènement s'ouvrait sur un choc visuel : une vidéo d'un homme assis qui ne cesse de vomir. Vidéo qui dit l'enfermement connu par sa famille durant la guerre et les années qui suivirent, imprégnées du récit de la Shoah omniprésent.

"C'est une très grande perte, a déploré Bernard Blistène. Il aimait par-dessus toute cette transmission entre les êtres, par des récits, par des souvenirs. Il restera comme un des plus grands conteurs de son temps. C'était un inventeur incroyable."

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