Le Coloravirus ? Une plasticienne crée au jour le jour une œuvre collective avec 70 amateurs
Une artiste enseignante de Bouaye, près de Nantes, envoie à ses élèves des consignes quotidiennes de dessin depuis le premier jour du confinement. Plus de 2200 "carrés" sont arrivés par la poste : ils constitueront la fresque du Coloravirus.
Le coloravirus est né de l’imagination de Brigitte Pane, plasticienne et de Bernard Guérin, son mari, peintre et carnettiste. Depuis le 18 mars, et pour garder le lien avec ses élèves, Brigitte, qui anime de nombreux ateliers artistiques, a eu l’idée de leur proposer la réalisation d’une œuvre. Elle envoie sa consigne du jour par WhastApp ou par mail.
Des consignes écrites sur WhatsApp et une vidéo sur YouTube
Elles sont simples, rapides à exécuter, répétitives pour le format (un carré de 10x10 cm) et le support en papier. Elles s’accompagnent d’indications sur les matériaux à utiliser (des plus classiques aux plus atypiques : terre, liquide vaisselle, par exemple), les techniques (peinture, crayon, aquarelle, encre, fusain, pastel, papier fripé, chiffon, collage, stylo, feutre, pinceau, éponge, calame), le mode d’expression (gribouillage…), les couleurs.
Souvent, Brigitte propose, en plus, un texte ou une vidéo YouTube : ils permettent d’approfondir le sujet ou une technique particulière. Elle ne peut renier son goût de transmettre, et toujours avec beaucoup d'humour. Ainsi, parfois, un intrus comme par exemple une allumette doit se glisser dans la réalisation, ou bien il est demandé aux droitiers de peindre avec leur main gauche et inversement, ou encore d’utiliser un coton-tige ou le blanco des collégiens !
Une étonnante variété de thèmes
Impossible de nommer ici toutes les consignes inventées par Brigitte. Pour le thème du vingtième jour, "L’humeur du jour", Béatrice Le Biller dessine ce cœur rouge (l’humanité), la croix blanche (les soignants), le tout entouré du vert de l’espoir. Elle y exprime ainsi sa gratitude. Béatrice est une ancienne infirmière à la retraite de 60 ans, qui, au départ, a crié sa colère d’infirmière dans tous ses carrés : "Quand on a été infirmière, on le reste toute sa vie, et je n'aurais pas pu m’imaginer sans masque, sans gants, sans surblouse lorsque je soignais les malades du Sida à l’hôpital Paul Brousse de Villejuif. J’ai eu besoin de dénoncer ce qui se passe aujourd'hui, je n’ai pas adhéré au coloravirus parce que je pensais que j’allais m’ennuyer pendant le confinement, mais parce que j’étais dans la révolte et je l’ai exprimée dans mes carrés." Le confinement a clairement influencé sa façon de s’exprimer. "C’est comme si au départ, je ne pouvais dessiner que le virus."
Régine Baudu, 69 ans, ancienne esthéticienne qui a travaillé ensuite dans une usine de menuiserie, est élève de l’atelier depuis cinq ans. "Je suis complètement contaminée", explique-t-elle, "j’attends le clic de mon message WhatsApp tous les matins avec impatience : c’est comme un fil d’Ariane. Le coloravirus me garde en vie, ça me stimule. Parfois, je fais un carré. Parfois deux. Ou trois." Et cela se voit bien dans son carré : l’humeur est aux fleurs, qui commencent à pousser dans son jardin. "Les thèmes sont d’une extraordinaire variété, loin de la monotonie imaginée en début de confinement."
Alors quand arrive la 24e consigne, le 9 avril : "Et si j’étais une couleur, un objet, un héros ? Réunir les trois éléments de ce portrait chinois dans une image mêlant dessin et collage et comportant plusieurs plans où se déroule l’action", on ne s’étonnera pas... Béatrice se transforme en superman plantant le vaccin directement dans le virus. La voilà sauvant l'humanité d'une simple injection !
Pour le 1er mai, pas de consigne, comme pour tous les jours fériés. Béatrice ne peut s'empêcher de faire apparaître le virus !
Peindre avec les trésors des jardins et des cuisines
Comment imaginer que notre jardin, notre cuisine puissent servir à colorer une œuvre ? Et pourtant le rouge carmin était jadis produit à partir des cochenilles femelles, ces insectes qui émettent une sorte de pesticide rouge qui sert à les protéger des prédateurs et ont permis la teinture rouge des tissus depuis des temps immémoriaux, mais aussi les peintures à l‘huile de peintres les plus célèbres.
C'est ainsi, qu'à partir du thème "Exprimez vos talents sur le mur de votre grotte", Béatrice s'est mise à faire chauffer des pâquerettes de son jardin pour en tirer le jus qui lui sert de peinture ou à utiliser, pour dessiner, du charbon prélevé dans son poêle. Elle s'est masquée, confinée dans sa grotte.
Régine, elle, dessine un cheval à base de terre, d’oseille et de pissenlits !
D’autres encore utilisent de la brique, le "seul radis du jardin", du jus de pétales de glycine, de renoncules ou de campanules, du terreau, du sable et autre curcuma trouvé dans leurs armoires. Et même du chocolat, du sel, du bicarbonate et de l’eau de Javel.
Brigitte dans sa consigne avait demandé de se "laisser surprendre par ce qui nous entoure" et avait encouragé les participants par ce texte : "Un dessin de Picasso et un dessin préhistorique, techniquement, c’est la même chose. Si vous tombez sur un dessinateur très habile du paléolithique, vous aurez du mal à critiquer l’habileté du dessin par rapport à un Picasso ou un Barcelo par exemple."
Brigitte fait aussi réfléchir ses élèves, veille et apporte une attention particulière à chacun : elle donne des encouragements par message privé, ne porte aucun jugement dans le WhatsApp commun, voit les progrès des personnes qu’elle ne connaît pas, appelle celles ou ceux qui en ont besoin. "C’est notre locomotive", s'exclame Régine, "je n’ai jamais rencontré une personne comme elle, débordante d’idées et de générosité, c’est une personnalité hors du commun." "Je ne fais plus le coloravirus par peur de me sentir seule, mais par plaisir, car cette expérience, combinée au confinement m’a apporté une forme de sérénité, de bien-être, que je n’avais pas avant", constate Béatrice.
Une activité débordante
Tous les soirs, la page Facebook de Brigitte se transforme en une nouvelle galerie de tableaux. Depuis le 18 Avril, Brigitte et Bernard ont demandé aux participants de leur envoyer leurs œuvres par la poste. Déjà plus de 2200 sont arrivées à l’atelier. Les carrés sont triés, assemblés et collés par thème. Rien ne saurait arrêter la propagation de ce virus, dont les patients zéro sont bien identifiés : aucun geste barrière, aucun soignant ne saurait le contenir. Seul l’arrêt du confinement aura raison de lui. Une exposition-fresque, œuvre commune à tous, sera organisée avant la fin de l’année. Un peu comme à Lascaux, elle sera le reflet de la vie d’artistes confinés en 2020.
Si l’aventure vous tente, il est encore temps de les rejoindre. Mais attention, la dernière consigne sera donnée le 9 mai.
Et si vous vous demandez à quoi ressemble le virus ? Le voici !
Pour la contacter, chercher sur Facebook Brigitte Pane (artiste).
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