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Le Bauhaus, une école et un esprit, au musée des Arts décoratifs de Paris

Le Bauhaus, qui prônait une union des arts dans le but de la construction d'une œuvre d'art totale, investit les salles du musée des Arts décoratifs qui a voulu présenter la mythique école d'art allemande comme un lieu d'apprentissage, de vie et de réflexion, devenue une référence de l'art du XXe siècle. Une exposition foisonnante, vivante et instructive (jusqu'au 26 février 2017).
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
A gauche, photographe inconnu, La vie du Bauhaus, étudiants devant l'atelier vus depuis le balcon du Bauhaus, 1927 - A droite, Josef Albers, Tasse à thé avec soucoupe et remueur/brasseur, 1925
 (A gauche © Th Josef and Anni Albers Foundation - A droite © Bauhaus-Archiv Berlin )

"L'idée de transmission, d'éducation, d'apprentissage, de savoir-faire est au cœur du Bauhaus tel qu'on a voulu le présenter", explique Olivier Gabet, le directeur du musée des Arts décoratifs et co-commissaire de l'exposition.
 
Et si Paul Klee, Vassili Kandinsky ou László Moholy-Nagy ont enseigné au Bauhaus (1919-1932), il ne s'agit pas d'une exposition de leurs œuvres mais au contraire, c'est "l'esprit du Bauhaus" qu'il est question ici de mettre en avant, à travers 900 œuvres, des tissus, des meubles, des céramiques, des dessins ou des exercices d'étudiants d'une grande diversité.
 
Parfois fruit du système D et de bricolages géniaux, les pièces des étudiants dialoguent entre elles et avec celles de leurs maîtres pour raconter l'organisation de l'école, le vent de liberté joyeux et aussi les âpres discussions qui partageaient les membres d'un lieu ouvert à toutes les tendances de l'art de l'époque.

A gauche Bruno Paul, "Candélabre à treize lumières", 1901 - A droite Gyula Pap, "Candélabre à sept branches", 1922
 (A gauche © Musée d'Orsay, dist RMN-Grand Palais / Patrice Schmidt, DR - A droite © Museum für Kunst und Gewerbe, Hamburg)


Un lieu de vie où les fêtes sont l'occasion de créer

Une frise de photos traverse l'exposition pour montrer comment l'école n'était pas qu'un lieu d'apprentissage : élèves et enseignants y vivent ensemble, créent ensemble et font la fête. Malgré le contexte économique et politique difficile des années 1920 en Allemagne, "on s'amuse beaucoup au Bauhaus", remarque Anne Monier, l'autre commissaire de l'exposition. Fêtes ou carnavals sont l'occasion de créer, des costumes, des décors, des cartons d'invitation et ces événements sont suivis au jour le jour par les étudiants photographes.                                                     
 
L'idée "était de parler d'une école et pas d'une réunion aussi fameuse et aussi talentueuse soit-elle de grands génies de la peinture et de l'architecture" et de montrer la créativité qui s'y est épanouie, "ce qui n'est pas toujours très facile parce qu'elle passe quelquefois par des choses très modestes", remarque Olivier Gabet.
 
"Le Bauhaus n'est pas que des intérieurs tout blancs, tout propres, du mobilier en tubes métalliques. C'est aussi une tendance un peu baroque, un peu folle, un peu ésotérique. Elle est pleine de vie et l'idée était de montrer des artistes qui ont cet esprit de créativité, de bricolage, de transmission et d'une certaine forme de générosité", souligne-t-il.
Exercice d'élève du Bauhaus-Dessau / Berlin, 1926-1933, Paris, Centre Pompidou
 (The Josef and Anni Albers Foundation / ADAGP / Centre Pompidou, MNAM-CCI, dist. RMN-Grand Palais / Jacques Faujour)


L'idée d'une œuvre d'art totale

L'exposition entend d'abord montrer les sources du Bauhaus, qu'elles soient historiques ou contemporaines. Le Moyen Age avec ses cathédrales, des œuvres d'art total réunissant tous les corps de métier, et son système d'apprentissage avec maîtres, compagnons et apprentis inspire l'école de Weimar. Il y a aussi la céramique japonaise avec ses formes simples.
 
Au début du XXe siècle, l'artiste belge Henry Van de Velde abandonne la peinture pour se consacrer à toutes les formes d'art, le mobilier, le textile, l'architecture. Il imagine lui aussi une œuvre d'art totale, une idée qu'il développe à Weimar quand il y crée l'Institut des arts décoratifs qui se transformera en Bauhaus en 1919. "Pour nous c'est vraiment le fondateur de l'esprit du Bauhaus", dit Olivier Gabet. Quelques-unes de ses pièces de mobilier et de sa vaisselle côtoient celles d'artistes allemands du tournant du siècle à la démarche proche, qui se demandent déjà comment allier art et industrie pour faire émerger un cadre de vie nouveau. Un candélabre de 1922 de Gyula Pap semble réponde à celui dessiné par Bruno Paul en 1901.
 
La Sécession viennoise et son Wiener Werkstätte (atelier viennois), créé plus tôt que le Bauhaus, en est très proche aussi, dans l'esprit et dans les formes créées. Des couverts et des dessins de Josef Hoffmann côtoient une sublime coupe en argent de Koloman Moser. "Des choses qu'on n'a pas l'habitude de voir à Paris", où, selon Olivier Gabet, on a tendance à limiter la Sécession viennoise à ses peintres. Il y a de nombreux liens entre Vienne et Weimar, notamment par l'intermédiaire de la Viennoise Alma Mahler qui s'est mariée en 1915 avec Walter Gropius, le premier directeur du Bauhaus.
Alma Buscher, Toupies, bois peint, 1923
 (Die Neue Sammlung - The Design Museum / Photo Alexander Laurenzo)

Un double apprentissage formel et artisanal

La première année, les étudiants doivent suivre un "cours préliminaire" où ils étudient la couleur, la forme, la lumière. Le premier professeur de ce cours est Johannes Itten, adepte du mazdéisme, une secte qui cherche la purification par des jeûnes prolongés, la prise de laxatifs et un régime alimentaire particulier qu'il n'arrivera pas à imposer à toute l'école.
 
Après, les étudiants suivent un double apprentissage avec un "maître de forme" et un artisan dans un atelier de tissage, de céramique, de photographie, de menuiserie... Une section de l'exposition est consacrée à chacun de ces ateliers avec de très belles pièces des élèves et des maîtres. Des céramiques aux formes rustiques ou au contraire très stylisées, des pièces textiles aux motifs colorés plus ou moins géométriques, de la vaisselle en métal aux formes simples.
 
Les études de caractères de Josef Albers ou le projet de "Nouvelle typographie" lancé par László Moholy-Nagy témoignent des recherches des ateliers d'imprimerie, de reliure, de typographie qui commercialisent des recueils de gravure et font des publicités pour les produits de l'école, voire pour des clients extérieurs.
A gauche Marcel Breuer, Fauteuil "Wassily" (Chaise modèle B3), 1927 - A droite, Josef Albers, Tables gigognes, 1927
 (A gauche © Ulrich Fiedler / Photogaphie, Martin Müller - A droite © The Joseph and Anni Albers Foundation, VG Bild - Kunst, Bonn)

Le but final, c'est la construction

Car dans le contexte économique de ces années noires il s'agit de tenter d'autofinancer l'école en vendant les œuvres produites. Pour l'atelier mobilier, Marcel Breuer crée ses fameux meubles en tubes de métal, Josef Albers des tables gigognes, qui prennent le pas sur les pièces plus exubérantes des débuts. Le Bauhaus édite même un catalogue destiné aux particuliers comme aux industriels.
 
En 1923 le Bauhaus a organisé une exposition où est présentée une maison témoin créée et décorée par les étudiants. Car "le but final de toute activité plastique est la construction", écrit Walter Gropius dans le Manifeste du Bauhaus (d'ailleurs, Bauhaus vient de vient de bauen, construire en allemand, et de Haus, maison).
 
L'école connaît à cette époque "un tournant très important, c'est le moment où le Bauhaus se détache de cette enveloppe mystique et de l'expressionnisme ambiant pour aller vers une rationalisation", souligne Anne Monier. Les formes se simplifient, les couleurs primaires sont privilégiées par certains, influencés par Theo Van Doesburg qui n'enseigne pas au Bauhaus mais dont le cours est suivi par de nombreux étudiants de l'école.
Erich Consemüller, "Scène du Bauhaus : inconnue au masque dans un fauteuil tubulaire de Marcel Breuer portant un masque d'Oskar Schlemmer et une robe de Lis Beyer, 1926
 (Bauhaus-Archiv Berlin)

Dessau, un grand chantier

Et quand en 1925 le contexte politique oblige le Bauhaus à déménager à Dessau, c'est l'occasion de nouvelles expérimentations : elle conçoit elle-même ses locaux, les maisons de ses enseignants, des logements sociaux pour la ville qu'on peut découvrir sur des plans et des photos. On invente un cadre de vie nouveau pour un homme nouveau, un habitant modulable avec un mobilier simple. Un atelier d'architecture est créé et la discipline prend de l'importance.
 
Le Bauhaus a du mal à résister au contexte politique et devra de nouveau se déplacer, à Berlin cette fois. Hannes Meyer qui a succédé en 1928 à Walter Gropius à la direction est jugé trop à gauche et remercié. Le dernier directeur, Mies van der Rohe, politiquement plus neutre, va toute de même refuser de céder aux pressions des nazis et le Bauhaus s'auto-dissout en 1932.
 
Mais l'esprit du Bauhaus n'est pas mort et s'est diffusé tout le long du XXe siècle, veut montrer l'exposition, en présentant des travaux d'une quarantaine d'artistes d'aujourd'hui, nés après 1960, et rassemblés par le plasticien Mathieu Mercier.
 

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