La musique des animaux à la Fondation Cartier
Musicien et acousticien, Bernie Krause a collaboré avec les Doors et Van Morrison et participé à la composition de musiques de films ("Rosemary's Baby" de Roman Polanski, "Apocalypse Now" de Francis Ford Coppola). Mais, passionné par le monde animal, il s'est rapidement mis à collecter des enregistrements sonores. En près de 50 ans de travail, il a recueilli 5000 heures dans des habitats sonores sauvages et étudié les productions vocales animales de son double point de vue de musicien et de scientifique.
Il s'est aperçu que les sons de la nature n'étaient pas empilés au hasard, qu'ils étaient orchestrés comme une partition musicale complexe : on pourrait parler d'écosystème sonore où chaque espèce possède une signature acoustique propre. "Chaque espèce résidente acquiert sa propre largeur de bande acoustique –qui lui permet de se mélanger aux autres ou de créer un contraste- un peu comme les violons, les bois, les cuivres et les percussions délimitent leur territoire acoustique dans un arrangement pour orchestre", écrit-il.
S'immerger dans la symphonie animale
C'est autour du travail de Bernie Krause qu'est organisée l'exposition de la Fondation Cartier. Un collectif anglais, United Visual Artists (UVA), a imaginé une traduction visuelle des paysages sonores qu'il a enregistrés. Un immense espace a été aménagé dans le sous-sol de la fondation, où on peut s'allonger sur une épaisse moquette ou s'assoir sur de grands coussins pour écouter le "Grand orchestre des animaux", tandis que des "sonogrammes" en couleur sont projetés sur trois murs : il s'agit de représentations graphiques de ce qu'il appelle la "biophonie", c'est-à-dire le monde sonore animal.Bernie Krause nous invite à écouter et à nous laisser immerger dans la musique de sept milieux sauvages, terrestres et aquatiques, au Canada, aux Etats-Unis, en Amazonie brésilienne, en Afrique du Sud, en République Centrafricaine, bercés par les oiseaux surtout mais aussi par les orques, les cachalots, les loups, et aussi de tout petits animaux. Une démarche qui vise aussi à nous faire toucher du doigt la fragilité de ces beautés sonores naturelles, menacées par le vacarme des hommes. Un film réalisé par Raymond Depardon et Claudine Nougaret où l'acousticien explique son travail complète l'installation.
Des murs en briques qui évoquent la disposition d'un orchestre
Dans une autre pièce du sous-sol, une installation vidéo sur plusieurs caissons posés au sol, visuelle et sonore aussi donc, révèle la beauté du plancton, "Aux origines du vivant", en collaboration avec un compositeur japonais, Ryuichi Sakamoto.
Au rez-de-chaussée de la fondation, c'est plutôt à la beauté visuelle du monde animal qu'on s'intéresse. Les architectes mexicains Gabriela Carrillo et Mauricio Rocha ont imaginé une scénographie "organique" en terre cuite : des murs courbes en briques évoquent la configuration d'un orchestre symphonique. Plusieurs artistes ont été invités à y accrocher tableaux, photos et vidéos.
Le Japonais Manabu Miyazaki installe dans la nature des pièges photographiques, qui sont pour lui comme "l'œil de l'arbre". Un grand ours se dresse pour embrasser un pied photo et semble prêt à déclencher. Moins anecdotiques, des oiseaux sont saisis en vol. Des diaporamas montrent la décomposition progressive d'une biche morte qui disparaît peu à peu dans le sol, puis sous la neige. Ou bien la succession sur le même chemin d'un ours, d'un sanglier, d'un chat ou d'humains.
La danse des oiseaux de paradis
Sur cinq écrans, on peut admirer l'évolution d'oiseaux de paradis dont le Cornell Lab of Ornithology (Etat de New York, Etats-Unis) a voulu montrer les dons "artistiques" : les chants, les couleurs, les danses et les constructions de nids élaborées.La Fondation Cartier accueille des peintures des Congolais Pierre Bodo avec des "sapeurs" aux becs d'oiseaux jouant de la musique dans la forêt, JP Mika qui met le monde sauvage dans une tête d'homme ("Les bruits de la nature) et Moke qui réunit les animaux dans un orchestre ("L'orchestre dans la forêt").
Un pan de mur entier accueille un dessin de 18 mètres de long du chinois Cai Guo-Qiang représentant des animaux sauvages réunis autour d'un point d'eau pour boire. Il l'a réalisé en déposant sur le papier de la poudre explosive qu'il fait ensuite brûler. Les traces de feu évoquent l'art rupestre. "J'ai imaginé cet endroit comme le dernier vestige naturel restant sur Terre, l'ultime héritage laissé aux animaux", écrit-il.
Un point d'eau "calme et silencieux" qui n'est pas sans lien pour lui "avec la disparition des sons de la nature archivés par Bernie Krause". Car une des dimensions de l'exposition est de faire prendre conscience des menaces qui pèsent sur le monde sauvage et de la disparition progressive de nombreuses espèces.
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