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L'art selon Ben au musée Maillol

Ben est un artiste populaire, dont on connaît bien les inscriptions en blanc sur noir, au graphisme caractéristique, vendues jusque sur des cahiers, des tee-shirts ou des trousses. Une grande rétrospective au musée Maillol à Paris permet d'en savoir un peu plus sur un provocateur à la fois égocentrique et capable d'autodérision, et d'appréhender la genèse de son œuvre (jusqu'au 15 janvier 2017).
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
A gauche, Ben par sa fille Eva Vautier - A droite, "Qui doute existe", 2014, Collection Danièle Roux, Saint-Paul de Vende
 (A gauche © Eva Vautier - A droite © richard sahel)

"Tout est art" proclame Ben au musée Maillol, qui rouvre ses portes après un an et demi de fermeture due à des problèmes financiers. La grande exposition qui lui est consacrée est conçue en deux parties bien distinctes : au premier étage, la partie historique raconte comment est né le style Ben, depuis les années 1950. Au rez-de-chaussée l'artiste a reçu carte blanche pour présenter ses œuvres les plus récentes.
 
D'origine suisse, Ben Vautier est né à Naples en 1935, a vécu enfant à Izmir (Turquie) et Alexandrie (Egypte) avant d'arriver à 14 ans à Nice où il est depuis installé. "Il est devenu un vrai Niçois, il est très présent dans la ville, c'est un personnage très important sur la scène artistique, il travaille avec beaucoup de jeunes artistes", raconte Andres Pardey, le commissaire de l'exposition et vice-directeur du Musée Tinguely de Bâle où une grande rétrospective Ben a été présentée l'an dernier.

Ben, "L'amour c'est des mots", 1958
 (collection de l'artiste)


Des "bananes" aux écritures

Ben est un autodidacte, il a fait son apprentissage dans une librairie, en regardant des livres d'art. Au milieu des années 1950, il y a une scène artistique très vivante à Nice. Il rencontre Yves Klein, Arman, Martial Raysse, avec qui il fondera une "école de Nice" constituée de façon géographique et pas stylistique. Ben commence par imiter ce qui se fait à l'époque. Mais très vite il cherche à développer quelque chose de caractéristique, qui lui soit propre. Il commence par dessiner et peindre des "bananes", formes phalliques simplifiées, dans la seconde moitié des années 1950. C'est l'époque aussi de ses premières écritures. "Yves Klein lui a dit : 'Arrête avec ces bananes, ça ne marche pas, concentre-toi sur les écritures'", raconte Andres Pardey.
 
A l'époque, Ben a un "Magasin", une boutique devenue mythique où il vend des disques d'occasion pour gagner sa vie. Elle est évoquée dans l'exposition par des photos agrandies en papier peint. Ce lieu va devenir un rendez-vous artistique important où il s'expose et montre aussi d'autres artistes. Ses premières inscriptions sont présentes sur la façade du "Magasin".

Reportage : Marie-Hélène Bonnot / Samuel Guibout / montage Lisa Dubos

Le contenu ou la forme ?

Ben affirme toujours que ce qui l'intéresse dans ses écritures, c'est le contenu, pas la forme, rapporte le commissaire. Dans une vidéo de présentation, l'artiste dit qu'il aurait aimé être philosophe ou politicien. Et pourtant, dans ses premiers tableaux-écritures, on voit une certaine recherche de forme et de couleur, autour du blanc, du rouge et du noir, puis du noir et du blanc. Au début, il peint les lettres pour finalement les tracer directement avec un tube d'acrylique blanc, dans la graphie qui est devenue sa signature. Dans cette exposition, "nous avons essayé de montrer Ben comme un peintre plus que comme un écrivain", précise Andres Pardey, pour qui il est important non seulement de lire Ben mais de "regarder les tableaux de Ben".
 
Une des grandes idées de Ben, dans la lignée des ready-made de Marcel Duchamp, c'est que "Tout est art", une toile retournée, un cadre d'où l'œuvre a disparu. Il crée des sculptures avec ce qui traîne dans son atelier, pinceaux, rouleaux, objets divers. "Ben a fait beaucoup de recherches sur la question 'qu'est-ce que l'art ?' et il veut que le visiteur prenne position", raconte le commissaire. "Pour lui, c'est l'artiste qui décide si une peinture est de l'art ou pas."
Ben, "Geste : détruire mes oeuvres d'art", 1961-1972 
 (collection de l'artiste)

Un ego qui doute

Et "c'est la nouveauté qui est importante pour lui, il est en recherche permanente de nouveauté dans l'art, dans les années 1960 et aujourd'hui encore". Ironie et provocation sont constamment présentes, comme quand il dit : "L'art est inutile, rentrez chez vous."
 
Et s'il y a une dimension égocentrique, l'exposition veut montrer aussi qu'il doute et réfléchit sur lui-même, avec des tableaux qui disent "Ben Doubts" (Ben doute), "Je suis un menteur", "Ma peur de me répéter, "Ma honte d'être ici", à côté de "Je suis le plus important".
 
A une époque, tous les soirs, Ben hurle pendant 2 minutes dans son magasin, à 18h33. Car la performance est un aspect important de son travail : il fait sortir très tôt l'art dans la rue, pour aller à la rencontre du public. L'exposition montre 20 tableaux de 1972-1973 qui inventorient ses "actions de rue", avec photo et description. On le voit "regarder le ciel", action qui devient pour lui un "geste artistique", ou encore, sur la promenade des Anglais, arborant autour du cou un panneau où on peut lire : "Regardez-moi, cela suffit" : il se présente alors lui-même comme une œuvre d'art.
Ben, "Si Dieu est partout...", 1962
 (collection de l'artiste)


La mort devient une œuvre d'art

Il y a aussi les "appropriations" jubilatoires de notions ou d'objets : "la lumière", sous la forme d'une accumulation de lampes, "Les eaux sales", dans un bocal, "Les tas" sous forme d'une pile de galets, et aussi "Dieu" ou "Le diable", "La mort" ("Je soussigné Ben Vauthier considère ma propre mort comme une œuvre d'art, 16 avril 1963", proclame-t-il). L'artiste s'approprie le monde, et aussi les êtres humains : il invite le public à s'asseoir sur un fauteuil vide et à devenir ainsi partie de son œuvre, à devenir sculpture vivante.
 
Au rez-de-chaussée, c'est Ben lui-même qui a installé des œuvres plus récentes, dans un grand bazar classé par thèmes, avec des petites vidéos de présentation. Une alcôve est consacrée à sa vie sexuelle, autour d'un grand lit rouge, avec un empilement de boites de Viagra, et quelques déclaration comme "J'aime baiser" ou "Fouettez-moi, j'aime ça".
Carte blanche à Ben au rez-de-chaussée du Musée Maillol
 (Culturespaces)

"Etre Ben, c'est ne pas être Ben"

Plus loin Ben invite le public à calmer sa colère en cassant des assiettes dans une caisse en bois. En face de sculptures de Maillol, il a créé des tableaux exprès pour l'exposition, des autoportraits en femme nue, "Les femmes libres". L'obsession de la mort est souvent présente dans ces œuvres, avec une galerie d'artistes qui se sont suicidés, et des réflexions comme "signer la mort c'est aller au bout de l'art".
 
"Etre Ben, c'est ne pas être Ben", proclame-t-il, avec quelques tableaux récents au graphisme différent de celui auquel on est habitués, griffonnés en lettres capitales sur des bouts de carton : "Hell" ou "Drink to forget art" : "Je ne voulais pas faire Ben", explique l'artiste, présent à la présentation presse. Il ajoute que s'il avait été jeune, il aurait fait des performances : il aurait pris des pilules et se serait mis au lit, dit-il avant de dériver sur ce qui semble être une de ses grandes préoccupations, la diversité des cultures et la défense des langues minoritaires.
 
Ben, un ego démesuré devenu un produit marketing ? Peut-être, mais il est capable aussi de suffisamment d'autodérision pour écrire : "Je déteste Ben et son ego".

Ben au Musée Maillol (septembre 2016)
 (Culturespaces)

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