L'Afrique en grand dans une triple exposition à la Fondation Louis Vuitton
A la Villette (Afriques Capitales), au Grand Palais (Art Paris Art Fair), à l'Institut du monde arabe ("Trésors de l'islam"), au Carreau du temple (Salon AKAA), au Quai Branly, l'art africain est partout à Paris depuis quelques mois et connait un engouement inédit. A la Fondation Louis Vuitton l'accent est mis sur les premiers artistes qui ont été révélés en France, et sur la scène sud-africaine, particulièrement dynamique.
Une sélection de la collection Pigozzi
Pour commencer, au sous-sol de la Fondation, Jean Pigozzi a prêté une sélection de sa collection. Fils et (riche) héritier de l'industriel turinois Enrico Teodoro Pigozzi, fondateur de la marque Simca, Jean Pigozzi, 65 ans, a vécu à Los Angeles. Il y a côtoyé les stars, avec qui il aimait se prendre en photo (il se dit l'inventeur du selfie).Jean Pigozzi a eu un coup de foudre pour l'art africain quand il a vu l'exposition "Les Magiciens de la Terre" au Centre Pompidou en 1989. Il décide alors de le collectionner et il charge André Magnin, spécialiste et commissaire adjoint de cette exposition historique d'art non occidental, d'aller dénicher des oeuvres et de les lui acheter. Celui-ci a arpenté le continent pendant vingt ans pour lui.
Jean Pigozzi a acquis ainsi la plus grande collection d'art africain, 12.000 pièces contemporaines, essentiellement d'Afrique francophone et d'artistes autodidactes, sans jamais mettre les pieds sur un continent qui l'effraie. Les artistes qu'il choisit doivent être originaires d'Afrique noire, y vivre et y travailler (quand ils émigrent, il ne les collectionne plus).
Des masques en objets récupérés
La Fondation Louis Vuitton expose donc une sélection d'œuvres de la collection Pigozzi. Quinze artistes ont été choisis parmi les quelque 70 qui y sont représentés. Pour qui a suivi ces dernières années les expositions parisiennes sur l'Afrique, de Beauté Congo à la Fondation Cartier à Seydou Keita au Grand Palais, la surprise n'est pas totale. Mais ce n'est pas une raison pour bouder son plaisir, d'autant que pour chaque artiste, on a une série d'œuvres conséquente, et on se réjouira de voir plusieurs dizaines des photos des coiffures que le Nigérian J.D. Okhai Ojeikere (1930-2014) prenait comme des sculptures, chefs-d'œuvre de graphisme dépouillé en noir et blanc.On est accueilli par les surprenants masques du Béninois Romuald Hazoumé en matériaux récupérés : à partir de jerricanes en plastiques souvent, d'aspirateurs ou de machines à écrire parfois, il imagine des visages, perçant des yeux ou les figurant avec des écouteurs de casque, transformant un goulot en bouche, collant des cheveux.
Plus loin, c'est avec des stylos, des CD, des perles, des ampoules, des coupe-ongles ou des épingles à nourrice que Calixte Dakpogan, béninois lui aussi, réalise ses masques.
Les folles nuits de Kinshasa et de Bamako
En matières récupérées également, le Congolais Rigobert Nimi construit d'hallucinantes stations spatiales ("Station vampires"). Dans un autre genre, Seni Awa Camar (Sénégal) s'inspire de la céramique traditionnelle pour réaliser de grandes figures maternelles fantastiques, avec des tas de créatures accrochées à leurs corps.Figures de la peinture populaire congolaise, Chéri Samba accompagne ses tableaux inspirés de la situation politique ou sociale de nombreuses inscriptions, Moké peint les nuits de la cité kinoise, avec ses bières et sa musique.
Du côté de la photographie malienne, les images de studio de Seydou Keita, sur fond à motifs textiles, fier papa en boubou avec un bébé minuscule ou jeune femme élégante qui pose avec sa radio, répondent aux fêtes de Bamako des années 1960-1970 saisies par Malick Sidibé avec la musique, la danse et les pattes d'éléphant.
Art contemporain sud-africain, un art très politique
Changement d'ambiance au rez-de-chaussée de la Fondation Vuitton où sont exposés une vingtaine d'artistes de la scène sud-africaine. Cette scène est particulièrement active et forcément marquée par l'apartheid, surtout en ce qui concerne la génération qui a lutté contre la ségrégation et celle qui l'a connue enfant et dont l'œuvre est très marquée par les questions politiques et sociales.Les chiens sauvages sont une figure récurrente : évoluant en meute, ils ont fait l'objet de campagnes d'éradication. Figures effrayantes, ils sont en même temps proie et prédateur, chasseur et chassé. Jane Alexander met en scène une armée de créatures mi-humaines mi-animales face à un de ces chiens, dans une installation angoissante. David Koloane, membre de la première génération, né en 1938, a grandi dans le township d'Alexandra. Il fait entendre dans un dessin animé les cris des chiens qui évoquent les chiens errant dans les quartiers pauvres et aussi les chiens de garde des maisons riches.
Œuvres de la collection Vuitton, en écho aux précédentes
En photo, on peut voir David Goldblatt, figure qui documente depuis 50 ans la vie sud-africaine en noir et blanc et en couleur, des révoltes étudiantes aux carrioles vendant de la nourriture au bord des routes. Beaucoup plus jeune, la photographe Zanele Muholi, née en 1972 et militante de la cause LGBT, interroge avec ses portraits de femmes noires et lesbiennes la question du genre et cherche à donner une visibilité à une communauté doublement marginalisée.En haut, ce sont des œuvres d'art contemporain africain de sa propre collection que la Fondation Vuitton présente, des pièces qui font souvent écho aux précédentes : on retrouve les mêmes artistes, de Chéri Samba avec une peinture célébrant la couleur à David Goldblatt, en passant par une grande sphère en jerricanes, évoquant une mappemonde ou une grenade, de Romuald Hazoumé.
La triple exposition est énorme. Même si elle ne peut être représentative de l'art d'une Afrique immense et diverse (les choix d'un collectionneur sont forcément subjectifs), c'est une occasion unique de découvrir ou voir en grand une multitude d'artistes singuliers.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.