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Jean-Michel Basquiat et Egon Schiele à la Fondation Vuitton : deux univers et sept points communs

Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
A l'occasion du centenaire de la mort d'Egon Schiele, la Fondation Louis Vuitton a choisi de présenter l'artiste autrichien au côté de Jean-Michel Basquiat, dans deux expositions voisines. Au-delà de contextes historiques et artistiques qui peuvent sembler éloignés, un certain nombre de points rapprochent les deux artistes maudits.

Egon Schiele (1890-1918), artiste scandaleux du début du XXe siècle, Jean-Michel Basquiat (1960-1988), enfant de la fin du siècle, artiste new-yorkais et noir qui a bouleversé le marché de l'art et connu une ascension vertigineuse pour devenir l'artiste contemporain le plus coté du monde. Qu'est-ce qui peut justifier de les rapprocher et de les exposer côte à côte, comme a décidé de le faire la Fondation Louis Vuitton

Jean-Michel Basquiat, "In Italian", 1983, Courtesy The Brant Foundation, Greenwich, Connecticut, Etats-Unis
 (Estate of Jean-Michel Basquiat. Licensed by Artestar, New York. Photo : © Robert McKeever)

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Une carrière fulgurante et une mort prématurée
La carrière de Jean-Michel Basquiat, comme celle d'Egon Schiele, se sont déroulées sur une période très courte car elles ont été interrompues par une disparition précoce : Basquiat meurt d'overdose à 27 ans, après des tentatives ratées de désintoxication. Schiele succombe à 28 ans à peine à la grippe espagnole, qui décime l'Europe à la fin de la Première Guerre mondiale.
Egon Schiele, "Femme blonde couchée", 1914, The Baltimore Museum of Art, Fanny B. Thalheimer Memorial Fund and Friends of Art Fund
 (Photo : © Mitro Hood)
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Une production très abondante
Malgré la brièveté de leur "carrière" artistique, une décennie chacun environ, Jean-Michel Basquiat comme Egon Schiele ont eu une production intense, quasi compulsive. Extrêmement prolifiques, le premier a laissé un millier de peintures et plus de 2000 dessins et le second 300 peintures et près de 3000 œuvres sur papier.
 
Les œuvres exposées à la Fondation Louis Vuitton viennent pour les deux tiers de collections privées. L'exposition d'Egon Schiele, plus de 100 œuvres dont beaucoup de dessins, est plus ramassée mais chacune est très forte. L'exposition Basquiat se déploie sur une surface beaucoup plus grande, au sous-sol du bâtiment dessiné par Frank Gehry et dans les étages. Elle rassemble 120 œuvres, souvent de grandes dimensions. On pourra trouver que c'est trop, ou au contraire, se réjouir d'en découvrir autant.
Jean-Michel Basquiat, "Untitled (Boxer)", 1982, Collection particulière
 (Estate of Jean-Michel Basquiat. Licensed by Artestar, New York)
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Révolte et intensité
Egon Schiele grandit dans un empire austro-hongrois finissant, conservateur, où l'érotisme de ses nus, dont les poils marquent la crudité, ne peut que choquer. Quand il s'installe à Krumau, en Bohême du Sud, avec Wally Neuzil avec qui il vit en union libre, il fait scandale et doit quitter la ville. Quelques mois plus tard, il est même accusé de détournement de mineure et incarcéré. L'accusation, infondée, est levée, mais il est poursuivi pour "diffusion de dessins immoraux" et condamné à 24 jours de prison. Il n'hésite pas à représenter des religieux enlacés dans "La Nonne et le cardinal", un tableau du Leopold Museum de Vienne qui n'est pas dans l'exposition.
 
De père haïtien et de mère portoricaine, Basquiat, figure de l'underground new-yorkais des années 1980, met la figure noire au centre de son œuvre, ses héros sont des boxeurs noirs comme Cassius Clay ou des musiciens comme Charlie Parker. Ses œuvres intenses s'élèvent contre le racisme et, à travers son art, il veut imposer les artistes noirs. Dans deux tableaux accrochés côte à côte, il évoque la violence raciste sous les traits d'un policier blanc, puis l'"ironie" du policier noir qui sert un ordre raciste.
Egon Schiele, "Nu masculin assis, vu de dos", 1910, Neue Galerie New York. Don de la Serge and Vally Sabarsky Foundation, Inc.
 (Photo : © Hulya Kolabas for Neue Galerie New York)
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Un nouveau langage
Egon Schiele, entré à 16 ans à l'Académie des Beaux-arts de Vienne, se dégage rapidement de l'influence de Gustav Klimt, qu'il a rencontré en 1907. Ses peintures de jeunesse portent l'empreinte de son aîné, avec leurs fonds décoratifs, mais déjà les figures qu'il y dessine présentent des formes très particulières. En 1909-1910, Schiele, dessinateur compulsif, produit une abondance d'œuvres graphiques extrêmement frappantes et puissantes, au trait qu'on pourrait dire presque violent : les lignes anguleuses dessinent des corps réduits à un contour qui se déforment, se tordent. Il exprime ainsi le malaise de ses figures, souvent des autoportraits. Les postures font parfois voir les corps sous un angle tout à fait étrange, un bras s'allonge démesurément, des jambes repliées sous le corps semblent atrophiées.
 
Précurseur du street art quand il couvre les murs du Lower East Side de New York de l'inscription SAMO (Same old shit, toujours la même merde), Basquiat n'a alors que 16-17 ans, son langage artistique est marqué par son expérience dans la rue. Mots et symboles ponctuent ses peintures qui sont à déchiffrer soigneusement une par une. Basquiat emprunte à des tas d'univers, intégrant dans ses œuvres des éléments de la bande dessinée, ou des éléments musicaux : il évoque des stars du jazz, à travers par exemple des titres de morceaux.
Egon Schiele, "Autoportrait, tête", 1910, Ömer Koç
 (Photo : © Hadiye Cangókçe)
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La peinture de la figure humaine
La figure humaine est au centre de l'œuvre des deux artistes, et l'autoportrait en particulier. Toute sa courte vie, Egon Schiele se représente en jeune homme intense, voire en colère. Un autoportrait de 1910, les cheveux dressés sur la tête et entouré d'un halo blanc pourrait presque évoquer certaines figures de Basquiat, notamment ces trois têtes monumentales, suspendues dans le vide de la toile, qui sont exposées côte à côte, et qui dégagent la même énergie, la même rage que celle-ci.
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De nombreuses techniques et supports
Egon Schiele utilise l'aquarelle, la gouache, le crayon gras, pour rehausser des dessins d'une tache isolée de couleur, il entoure un corps dessiné au crayon sur un papier d'emballage d'un halo blanc qui le dramatise.
 
Jean-Michel Basquiat a constamment varié les supports. Même s'il utilise la toile, il colle parfois du papier par-dessus, qu'il laisse dépasser sur le côté, ou bien il l'accroche sur des palettes. Il fait des collages de bouts de papier, de bouts de carton. Il peint directement sur des portes, sur des palissades, par lesquelles il fait entrer la rue dans l'atelier et dans la galerie d'art.
Jean-Michel Basquiat, "Riding With Death", 1988, collection particulière
 (Estate of Jean-Michel Basquiat. Licensed by Artestar, New York. Photo : Private collection, all rights reserved)
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Une dimension tragique et la prémonition de la mort
Les œuvres de Basquiat et Schiele s'inscrivent dans leurs époques respectives, des époques tourmentées, New York dans les années 1980 où la drogue et le sida font des ravages, l'Autriche à la veille de la Grande guerre.
 
L'exposition Basquiat se termine sur un tableau saisissant au titre explicite, "Riding With Death" (chevaucher avec la mort). Sur un fond étonnamment nu, un personnage chevauche un squelette. Basquiat l'a peint en 1988, l'année de sa mort.
 
Les tournesols fanés dans un faible soleil d'automne que Schiele peint en 1914 semblent aussi annoncer le pire : on est à quelques mois de la guerre qui va ravager l'Europe.

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