Jardins, une invitation à la promenade et au plaisir au Grand Palais
En ces temps moroses et incertains, aurait-on besoin de se ressourcer, de se changer les idées, de méditer ? Est-ce pour cette raison que les jardins et le jardinage passionnent jusqu'au cœur des villes, entre jardins partagés et végétalisation sauvage ou ordonnée ? En tout cas, la vogue gagne les musées cette année, avec une série d'expositions sur la nature et les jardins : le Jardin infini au Centre Pompidou Metz, les Paysages mystiques au Musée d'Orsay (Paysages mystiques), les fleurs de Pierre-Joseph Redouté au musée de la Vie romantique cette saison, et les Jardins d'Orient, déjà, à l'Institut du monde arabe l'an dernier.
"Ce qu'on a souhaité, c'est apporter un tout petit peu de plaisir", nous dit Laurent Le Bon, président du musée Picasso de Paris et commissaire de l'exposition "Jardins" du Grand Palais. "C'est une promenade, vous êtes invités à butiner", ajoute-t-il.
"Jardins" : un vaste projet, qui entend refléter toute la diversité du sujet, de l'aspect botanique, artistique, et technique même, avec une magnifique collection d'outils de jardin, qui comprend des sécateurs aux formes étonnantes, des arrosoirs anciens en céramique… Et chaque recoin de l'exposition, de "bosquet" en "belvédère", est réjouissant.
La terre, la lumière et l'eau
Elle s'ouvre sur une fresque de Pompei car, selon Laurent Le Bon, "si on met à part la Grèce et l'Egypte, c'est la première représentation de jardin connue". Pourtant le champ exploré va de la Renaissance à nos jours, il se concentre sur l'Europe et plus particulièrement sur la France. La Renaissance parce que c'est le moment où la recherche scientifique révolutionne la découverte des plantes. A côté de la fresque antique, un petit tableau de Dürer, "La Vierge aux animaux" de l'Albertina de Vienne : "Si vous regardez toutes les plantes qui sont autour de cette Vierge, contrairement au Moyen-Age, elles ont un nom, elles sont représentées précisément", remarque Laurent Le Bon.Au départ, les éléments : pour un jardin, il faut de la terre : elle est bien réelle, celle que l'artiste japonais Kôichi Kurita a recueillie tout le long de la vallée de la Loire. Il l'a tamisée et disposée au sol en carrés qui révèlent l'infinité incroyable des couleurs qu'il a trouvées et qui constituent une œuvre d'art magnifique ("Soil Library"). Pour faire un jardin, il faut aussi de l'eau et de la lumière : un peu plus loin, deux petits ciels de John Constable ("Cloud Study", étude de nuages, 1821).
Le jardin, entre science et art
Pas de jardin réel au Grand Palais même si c'est de lui qu'on parle : on est essentiellement dans la représentation par les artistes, d'un sujet qui leur est souvent cher. Mais le jardin y est aussi envisagé comme une forme d'art, explique Coline Zellal, conservateur du patrimoine et commissaire associée de l'exposition. "Et le jardin est un art dont on doit prendre soin", car, dit-elle, "c'est un art vivant, éphémère, et on a une quantité d'exemples de jardins qui ont été abandonnés et qui sont morts."La frontière entre le scientifique et l'artistique est souvent floue. Quand on regarde un petit film commandé par Albert Kahn sur la croissance des plantes ou les herbiers du Museum d'Histoire naturelle, on a l'impression de voir des œuvres d'art. La précision des fleurs d'Albrecht Dürer n'a rien à envier à celle d'une aquarelle de Pierre Joseph Redouté, qui est elle-même également un chef-d'œuvre.
Les cyanotypes d'algues réalisés dès le début des années 1840 par la botaniste britannique Anna Atkins, considérée comme une pionnière de la photographie, relèvent autant de l'art que de la science. Sans parler des formes irréelles des plantes de l'Allemand Karl Blossfeldt, qui a photographié de façon systématique le monde végétal au début du XXe siècle.
Des fleurs en verre plus vraies que nature
Dans les répertoires de plantes en trois dimensions réalisées dans un but scientifique, on a des cires et surtout les fabuleuses fleurs en verre, plus vraies que nature, de la collection de Harvard : l'université en possède plus de 4000, créées par deux artisans de Dresde, Leopold et Rudolf Blaschka (père et fils) à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, selon une technique perdue depuis, et qui devaient servir à enseigner la botanique.Avant ceux des peintres, une longue frise photographique de Yann Monel juxtapose des images d'une vingtaine de jardins de France, d'Angleterre et d'Espagne, aux quatre saisons, en face d'une quarantaine de plans originaux, de la Renaissance au XXe siècle, qui montrent l'évolution de la conception du territoire.
"La première définition du jardin, c'est l'hortus conclusus (jardin clos), un jardin se définit par sa bordure, c'est un espace qui est délimité dans la nature, qui est travaillé à la différence de la nature sauvage environnante. Sa bordure c'est un thème fondamental", souligne Coline Zellal. La bordure apparait dans ces plans, comme dans de spectaculaires vues peintes en surplomb dont la grandiose "Vue du château de Mariemont" (1612) de Jan Brueghel le Jeune. Pour mettre l'accent sur cette notion de bordure, certains tableaux ont été accrochés derrière une fenêtre.
Une explosion de fleurs
On fait un détour par la grotte, avec une œuvre créée spécialement pour l'exposition par Jean-Michel Othoniel, "Grotta Azzurra", de briques en verre bleu soufflé par des artisans indiens, au cœur de laquelle coule une fontaine : "C'est un endroit de méditation, elle ouvre sur une autre vision du jardin qui est le jardin zen, le jardin asiatique", dit l'artiste.Puis on entre dans la "promenade" qui parcourt les jardins des peintres, du parc mystérieux de Watteau ou du jardin pittoresque de Fragonard, au XVIIIe siècle, au "Parc" (1910) de Gustav Klimt où le feuillage envahit le cadre, devenant presque abstrait, ou à la vision en même temps réaliste et irréelle du "Jour d'été" (1999) de Gerhard Richter.
C'est une explosion de fleurs, avec les massifs frémissants entre ombre et soleil de Claude Monet dans "Le Déjeuner" (1873), les marguerites et orchidées de Caillebotte, peintre et jardinier comme lui, les couleurs du jardin de Bonnard, les soucis de Koloman Moser. Les "Nymphéas" de Monet sont présents, en peinture bien sûr mais aussi avec un tout petit tirage, autoportrait photographique unique et émouvant du peintre, où on voit son ombre se refléter sur le bassin.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.