Exposition "Surréalisme" au Centre Pompidou : les femmes, grandes oubliées du mouvement, à l'honneur

Pour célébrer le centenaire du surréalisme, découvrons ici, parmi les 38 artistes féminins exposées trop souvent invisibilisées, trois d'entre elles.
Article rédigé par Paul Dubois
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
L'exposition "Surréalisme" au Centre Georges-Pompidou, à Paris, en 2024. (JANETH RODRIGUEZ GARCIA)

Ithell Colquhoun, Remedios Varo et Yahne Le Toumelin : ces trois noms vous sont peut-être inconnus, et c'est tout à fait normal. À moins d'être un spécialiste du surréalisme, il est difficile de connaître ces femmes qui ont marqué ce mouvement. Leurs contributions ont laissé une trace importante dans son histoire, mais le grand public a encore du mal à reconnaître ces femmes. Pourtant, leurs œuvres tiennent la dragée haute à celles de Salvador Dalí, Joan Miró et autres Max Ernst, et sont exposées au Centre Pompidou.

Le commissaire de l'exposition Didier Ottinger assure que "près de la moitié des œuvres présentées sont inédites." Franceinfo Culture vous invite à découvrir ces trois femmes artistes à travers l'exposition Surréalisme, qui se tient jusqu'au 13 janvier 2025.

Ithell Colquhoun (1906-1988)

Trop surréaliste pour les surréalistes. Ithell Colquhoun, figure emblématique de la peinture britannique, a consacré soixante-dix ans de sa vie à explorer le mysticisme à travers des thèmes végétaux et organiques, influencé par Salvador Dalí. Née en 1906 en Inde et élevée en Angleterre, elle a étudié dans des écoles d'art renommées avant de plonger dans le surréalisme dans les années 1930, côtoyant des figures comme Breton. Elle connaît un succès initial, elle est écartée du mouvement surréaliste britannique en 1940 en raison de son intérêt pour l'occultisme.

Aujourd'hui, l'héritage d'Ithell Colquhoun est redécouvert, notamment grâce aux recherches d'Amy Hale, biographe de l'artiste, et à l'acquisition de ses archives par la Tate Gallery en 2019. Ses œuvres des années 1940, comme Gorgon (1960), explorent la sexualité et le genre à travers le mythe, utilisant des techniques telles que la décalcomanie pour créer des compositions évoquant des espaces souterrains et intra-utérins, fusionnant anatomie féminine et nature dans un univers empreint d'ésotérisme.

"Alcove I" d'Ithell Colquhoun, 1946. (PAUL DUBOIS)

Chez les surréalistes, les femmes occupent une position ambivalente. On leur promet la libération des normes, mais dans les faits, elles restent souvent prisonnières d'un univers façonné par des désirs masculins. Vénérées et craintes, elles sont réduites à des archétypes : femmes-enfants, muses, sorcières, objets érotiques. Dans une lettre à The Oxford Journal en 1981, Ithell Colquhoun note que, malgré leur discours sur la liberté, "la plupart des disciples de Breton n'en étaient pas moins machistes", et que les femmes étaient souvent "autorisées, mais non nécessaires". Par conséquent, leurs contributions artistiques ont été marginalisées, voire invisibilisées.

À la fin de sa vie, l'œuvre de Colquhoun témoigne de son intérêt croissant pour les traditions ésotériques, fusionnant des éléments mystiques et occultes avec des thèmes liés au pouvoir féminin et à l'exploration spirituelle. C'est le cas des trois tableaux exposés au Centre Pompidou dans la salle sur le mythe de Mélusine. L'héritage de cette artiste singulière est ainsi redécouvert, et elle est désormais reconnue comme une figure majeure du surréalisme, avec une exposition prévue à la Tate Modern de Londres en 2025.

Remedios Varo (1908 - 1963)

Imaginez être une femme, républicaine et surréaliste dans l'Espagne de la fin des années 1930. Remedios Varo, née María de los Remedios Alicia Rodriga Varo y Uranga, en 1908, a été encouragée par une famille libérale. Son passage dans une école catholique a profondément influencé son parcours et son art. Artiste engagée en 1936, Remedios Varo participe à l'exposition Logicofobista à la Galeria Catalonia de Barcelone, où elle fait la connaissance du poète surréaliste français Benjamin Péret, qui s'est rendu en Espagne pour soutenir les anarchistes de la colonne Durruti sur le front de Teruel.

Le thème de l'enfermement est central dans son œuvre, reflet de son vécu tragique. Après avoir fui la guerre civile espagnole, elle trouve refuge à Paris, où elle se lie d'amitié avec la peintre Leonora Carrington et côtoie le groupe surréaliste et collabore à la célèbre revue Minotaure. Exilée au Mexique, elle enrichit sa création en explorant des motifs de captivité et de résistance, souvent à travers des figures féminines enchaînées et des paysages oniriques.

"La creación de las aves" de Remedios Varo, 1957. (PAUL DUBOIS / FRANCEINFO CULTURE)

Au Mexique, elle a affiné son style en participant à des pratiques artistiques collectives comme le "cadavre exquis", ce qui lui a permis d'explorer de nouveaux processus de créations. Passionnée par des maîtres comme Jérôme Bosch, elle peuple ses œuvres de créatures mythiques et d'éléments symboliques médiévaux, créant un univers où magie et mystère l'emportent sur le réalisme. C'est pourquoi trois de ses tableaux sont exposés dans la salle thématique de la pierre philosophale et l'alchimie dans le mouvement au sein de l'exposition.

Comme de nombreuses artistes de son époque, elle a dû affronter des préjugés sexistes au sein du mouvement surréaliste, souvent laissée de côté dans des manifestes rédigés en grande partie par des hommes. À l'instar d'Ithell Colquhoun, elle célèbre la féminité et explore le psychisme féminin à travers des symboles éloignés de l'imagerie sexualisante. Véritable outsider, elle a tout de même connu un succès commercial lors de sa première exposition. Aujourd'hui, Remedios Varo est une figure emblématique du mouvement, elle entre donc ici dans le panthéon surréaliste à l'occasion de cette exposition-centenaire.

Yahne le Toumelin (1923-2023)

Le bouddhisme et le surréalisme peuvent-ils coexister ? Yahne Le Toumelin, née le 27 juillet 1923 à Paris et ayant grandi au Croisic, l'a prouvé. À l'âge de 10 ans, elle se découvre une passion pour le dessin. Après avoir été admise à l'école des Beaux-Arts de Paris, elle rejoint l'Académie de la Grande chaumière, où elle rencontre des personnalités comme le philosophe mystique russe Georges Gurdjieff et le poète René Daumal.

En 1945, elle se marie avec Jean-François Ricard et le couple s'installe d'abord en Algérie, puis à Mexico. Là-bas, Yahne réalise une fresque géométrique pour l'Institut français d'Amérique latine et crée notamment des affiches de films. Elle côtoie ensuite des figures emblématiques telles que Frida Kahlo et Luis Buñuel, et se lie d'amitié avec la surréaliste Leonora Carrington, également mise à l'honneur dans l'exposition de Beaubourg.

"Le cheval de Merlin l'enchanteur" de Yahne Le Toumelin, 1953. (PAUL DUBOIS / FRANCEINFO CULTURE)

De retour à Paris, elle s'immerge dans le milieu artistique, exposant même en 1955 à l'Étoile scellée, galerie d'André Breton. Sa quête spirituelle la conduit à se convertir au bouddhisme en Inde, où elle prend des vœux de nonne, dont elle devient la première française. Dans les années qui suivent, elle compose des œuvres marquantes, dont une fresque pour Maurice Béjart. Entre 1969 et 1975, elle évolue vers l'abstraction lyrique, avec des expositions marquantes dans les années 1980, dont une au Grand Palais en 1989.

Sa carrière se poursuit avec des rétrospectives et des publications, notamment un livre en 2016. L'art de Yahne Le Toumelin est marqué par des rencontres et des réflexions profondes sur la spiritualité. Elle s'est éteinte en 2023 à l'âge vénérable de 99 ans, après avoir connu une reconnaissance tardive. Son œuvre, Le Cheval de Merlin l'enchanteur, réalisée en 1953, est exposée aux côtés des plus grands surréalistes au Centre Georges-Pompidou, dans la salle thématique dédiée à la pierre philosophale. Un thème qui résonne particulièrement avec son goût pour le lyrisme et l'onirisme de son art.

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