Des zombis envahissent le musée du Quai Branly-Jacques Chirac et interrogent notre rapport à la mort
L'exposition Zombis. La mort n'est pas une fin ?, organisée du 8 octobre au 16 février 2025 au musée du Quai Branly-Jacques Chirac, à Paris, est construite autour de cette interrogation. "Il va falloir oublier tout ce que vous croyez savoir sur les zombis", nous prévient Philippe Charlier, commissaire de l'exposition et directeur du Laboratoire anthropologie, archéologie, biologie (LAAB) à l'université Paris-Saclay.
Médecin légiste, anthropologue et historien, il dit s'intéresser aux "morts qui ne se tiennent pas tranquilles". Le jour de notre visite, nous rencontrons aussi Erol Josué, prêtre vaudou et directeur général du Bureau national d'ethnologie à Port-au-Prince, la capitale d'Haïti. Cette petite république des Caraïbes est "le territoire des zombis", explique Philippe Charlier.
Guidés par le son des tambours, nous suivons les deux hommes vers un temple qui ouvre l'exposition. C'est la reproduction à l'échelle 1/1 d'un péristyle qui a été pratiquement détruit lors des récentes violences liées aux gangs en Haïti.
Une colonne centrale rouge, un ciel de petits drapeaux colorés, un sol couvert de sable, des chaises et de multiples objets rituels : tambour, hochet, hache, calebasse, croix... Philippe Charlier nous fait remarquer un dessin tracé sur le sable avec des poudres de couleur. Réalisé par Erol Josué, il représente Baron Samedi, l'esprit de la mort et de la résurrection. Lors des cérémonies, le prêtre utilise ce dessin pour appeler cette divinité.
Le vaudou haïtien, un mélange d'influences
Le vaudou haïtien est une religion à part entière avec son clergé, ses rituels de transe et de possession. Une religion syncrétique mélangeant les influences : les cultes rapportés par les esclaves venus d'Afrique durant la traite négrière, ceux des Taïnos, ces hommes à peau rouge qui peuplaient l'île d'Hispaniola (aujourd'hui Haïti et République dominicaine) avant la colonisation et le catholicisme.
Tous les esclaves qui débarquaient sur l'île étaient systématiquement baptisés par les colons. Les cérémonies vaudoues étaient interdites, passibles de mort ou d'emprisonnement. On retrouve ces influences multiples sur plusieurs tableaux présentés dans l'exposition et notamment sur une magnifique bannière entièrement brodée de perles créée par l'artiste haïtienne Myrlande Constant.
La justice parallèle des Bizangos
Nous découvrons ensuite un dressing étonnant fait de robes et de chemises colorées. Ces vêtements dévotionnels sont portés pendant les cérémonies et également par les membres des sociétés secrètes. À droite se trouve une robe blanche, une seule. "Le blanc, c'est la couleur des initiés. Celle-ci appartenait à ma mère", nous confie Erol Josué en nous la montrant. "Chez les Bizangos, les couleurs sont le rouge et le noir", explique Philippe Charlier.
Le commissaire de l'exposition nous décrit ce qui s'apparente à une forme de justice parallèle en Haïti. "Quand certaines personnes font le mal, qu'elles soient criminelles, voleurs, violeurs, captateurs d'héritage ou, chose très mal tolérée dans la société haïtienne, qu'elles vendent une terre qui ne leur appartient pas, la peine classique est la zombification", raconte-t-il. En Haïti, certains vont recourir à la justice classique, d'autres vont déposer plainte devant une société secrète.
"Le mis en cause sera convoqué sept fois, contre trois maximum devant les tribunaux classiques." Il se met dans la peau d'un accusé et raconte la suite : "On vous prend de force où que vous soyez, on vous emmène à l'arrière d'un pick-up et on vous dépose en pleine pampa devant une société secrète dont les membres vivants sont attablés. Derrière eux, des statues avec des fétiches bizangos. Quand ils sont amassés en groupe, on les appelle l'armée des ombres."
Dans une petite salle étroite et sombre, éclairée de bougies, une vingtaine de ces fétiches bizangos, plus effrayants les uns que les autres, sont réunis. On ne voudrait pas se trouver à la place de l'accusé qui comparaît à genoux dans ce tribunal terrifiant. Le médecin légiste ajoute que "ces fétiches ne sont pas simplement des statues. Elles ont à l'intérieur des éléments symboliques de la mort et notamment un crâne qui est celui d'un des anciens adeptes. Il y a aussi des instruments de pouvoir, assez souvent une canne et quelque chose qui découpe la vie, comme des ciseaux ou un coupe-coupe."
Il a réalisé un examen scanographique, présenté juste derrière un fétiche bizango dans une vitrine de l'exposition, pour voir ce que ce fétiche avait dans le corps. "À l'intérieur se trouve une croix de cimetière en bois. Donc il y a vraiment la mort, mais ce n'est pas un mort au sens où nous l'entendons. C'est quelqu'un qui a changé de dimension. Il est toujours vivant pour la société secrète bizango. C'est un ancien adepte qui continue d'agir sous cette forme. Ce que l'on appelle la longue chaîne des vivants et des morts."
"Il est effrayant pour montrer tous les pouvoirs de métamorphose que peuvent avoir les membres de cette société et que peut avoir la mort elle-même. Les miroirs qu'il porte servent à repousser les mauvais sorts. C'est une protection du fétiche qui ne peut pas bouger", précise le scientifique.
Comment devient-on un zombi ?
Les zombis sont issus de l'histoire coloniale d'Haïti qui a acquis son indépendance en 1804 après la révolte des esclaves, impulsée notamment par Toussaint Louverture. Ils en ont fait l'instrument de leur justice par opposition à celle des colons. Des sorciers vaudous, les bokors, administrent aux personnes condamnées des poisons qui simulent la mort ou les maintiennent dans un état second. L'expression est entrée dans le langage courant : ils deviennent des zombis.
Dans une vitrine, un étrange poisson en forme de ballon attire l'œil. C'est le poisson-globe pêché dans la mer des Caraïbes, celui que les Japonais appellent fugu. On extrait de son foie une toxine mortelle, la tétrodotoxine, aussi appelée TTX. Avec cette drogue, on peut vous intoxiquer progressivement, par petites doses, jusqu'à obtenir un effet où "le sujet n'est ni un vivant ni un mort". L'utilisation de ce type de drogue mélangé à d'autres substances peut entraîner un état de mort apparent. Il existerait plus de 30 formules différentes du "poison zombi", dont des neurotoxines qui ralentissent le système nerveux, des psychotropes qui modifient la perception et l'état de conscience et des substances irritantes.
Les condamnés seraient enterrés vivants après avoir été drogués puis exhumés la nuit suivante par le bokor. Ils sont ensuite transportés à l'autre bout de l'île pour vivre en esclaves au service d'un maître. D'après le certificat de décès, ils sont officiellement morts. Des morts-vivants. Le zombi n'est plus qu'un corps, il n'a plus aucun libre arbitre. Il est renommé, isolé et parfois fouetté.
"Les descendants des anciens esclavagisés reproduisent, chez ceux qui font le mal, un esclavage. En faire des corps sans âme, c'est littéralement de l'esclavage", précise Philippe Charlier. C'est pourquoi, en Haïti, la zombification est considérée comme pire que la peine de mort. Elle est ancrée dans le réel avec des cas d'empoisonnement avérés, mais aussi dans la croyance avec la religion.
À la fin de l'exposition, un cimetière vaudou est reproduit avec des tombes et un grand arbre couvert de poupées vaudoues. Elle s'achève sur ces histoires de zombis-vampires véhiculées très tôt par Hollywood. Plus de 600 films ont porté sur ce sujet, à commencer par The White Zombi en 1932. Une petite salle de cinéma permet d'en visionner quelques extraits. Histoire de se faire peur.
"Zombis. La mort n'est pas une fin ?"
Du 8 octobre au 16 février 2025 au musée du Quai Branly-Jacques Chirac - Ouvert tous les jours sauf le lundi de 10h30 à 19h. Entrée 12 euros, tarif réduit 9 euros, 1er dimanche du mois gratuit
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.