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De la Renaissance au "lolcat" : la folle histoire des bronzes attribués à Michel-Ange

Des historiens de l'art et des experts britanniques assurent que "Bacchants chevauchant des panthères" pourraient bien être des œuvres de Michel-Ange, devenant ainsi les seules réalisations connues du maître italien façonnées dans ce matériau. 

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Paul Joannides et Victoria Avery du Fitzwilliam Museum, à Cambridge (Royaume-Uni) observe un bronze attribué à Michel-Ange, lundi 2 février 2015.  (JACK TAYLOR / AFP)

"Ils sont beaux, nus, musclés et chevauchent triomphalement deux panthères féroces." Voilà qui sonne comme l'audio-description du prochain clip du boys band One Direction. Il s'agit, en réalité, des termes choisis pour décrire Bacchants chevauchant des panthères, deux bronzes d'un mètre de haut, qui secouent actuellement le monde de l'histoire de l'art. Car, selon une équipe d'historiens et d'experts britanniques, ils auraient été réalisés par Michel-Ange, alors sur le point de donner les premiers coups de pinceau au plafond de la chapelle Sixtine, en Italie, aux alentours de 1506. 

Sauf erreur de leur part, il s'agirait donc des seuls bronzes réalisés par le maître italien jamais découverts. Un miracle alors que ses deux seules œuvres connues façonnées dans ce matériau ont été soit perdues, soit fondues en pièces d'artillerie. Francetv info retrace l'histoire extraordinaire de Bacchants chevauchant des panthères, faite de suppositions, d'expertises savantes et d'analyses farfelues. 

Une œuvre entourée de mystère depuis plus de 500 ans

Lorsqu'ils ont approché, pour la première fois en 2012, ces deux hommes nus chevauchant le poing levé des panthères, les spécialistes de la Renaissance italienne ont été "éblouis", se souvient Philippe Sénéchal, qui enseigne l'histoire de l'art moderne à l'Université de Picardie Jules-Verne, à Amiens. A l'époque, la Royal Academy of Arts, à Londres, présentait pour la première fois cet "éblouissant" duo, dans le cadre d'une exposition consacrée aux bronzes. L'œuvre aurait été réalisée "dans l'entourage de Michel-Ange", lit-on alors dans le catalogue. "Dès lors, tout le monde a pu constater qu'il s'agissait d'une œuvre exceptionnelle réalisée par un très grand nom", explique Philippe Sénéchal. Mais lequel ? 

L'un des deux bronzes attribués, lundi 2 février, à Michel-Ange et exposé à Cambridge (Grande-Bretagne).  (DARREN STAPLES / REUTERS )
 

Faute de pouvoir l'étudier longuement, impossible d'en déterminer la paternité. Issues d'une collection privée appartenant à un Britannique depuis leur vente en 2002 chez Sotheby's (le catalogue indiquait, à l'époque, qu'il s'agissait sûrement de bronzes signés Benvenuto Cellini, un contemporain de Michel-Ange), ces œuvres reposaient loin des yeux experts des historiens de l'art. Et voilà comment ces deux bronzes ont passé cinq cent ans dans l'anonymat, poursuit l'historien, contacté par francetv info.

"C'est vraisemblablement une commande très particulière, réalisée pour quelqu'un de très puissant et de très cultivé. (...) Or, il y a des cabinets de souverains auxquels le public n'avait aucun accès, détaille-t-il. Si les historiens n'ont jamais pu l'observer et que l'œuvre a été mal répertoriée dans les inventaires, alors elle peut rester inconnue pendant des siècles." En effet, il a fallu attendre 1878 pour qu'un document mentionne enfin ces deux éphèbes. A l'époque, les bronzes sont répertoriés dans la collection du baron Adolphe de Rothschild qui, selon The Guardian, aurait pu les acquérir auprès d'un roi Bourbon napolitain. 

Une découverte (aussi) due au hasard 

En 1864, Jules Bonnet-Mel lègue au musée Fabre de Montpellier (Hérault) une précieuse collection de dessins. Parmi eux figure la copie d'un croquis réalisé par un élève de Michel-Ange. En bas à gauche de la feuille, apparaît la silhouette d'un homme nu, perché sur une panthère, le bras triomphalement levé. Paul Joannides, professeur émérite d'histoire de l'art à l'université de Cambridge (Royaume-Uni), n'a plus qu'à faire le rapprochement.

Une page du catalogue "L'Atelier de l'œuvre", paru en 2012, recensant des collections du cabinet d'Arts graphiques du musée Fabre de Montpellier Méditerranée Métropole.  (MUSEE FABRE )

S'il prend connaissance de ce document, qu'il cite dans plusieurs études, dès 2002, ce n'est qu'en 2014 qu'il fait le rapprochement avec le bronze admiré deux ans plus tôt à Londres. Le "concetto" ("petit dessin") "prouve incontestablement" que "Michel-Ange travaillait activement sur cette thématique, plutôt inhabituelle, d'hommes nus chevauchant des panthères", écrit Paul Joannides dans son argumentaire de 83 pages, cité par le critique d'art britannique Benjamin Sutton dans cette analyse (en anglais)

Un objet d'étude bien vivant 

La découverte d'un tel document a surtout permis de rouvrir le dossier du bronze de Rotschild et "de l'étudier sous un tout nouveau jour", s'enthousiasme Philippe Sénéchal. Enfin autorisé à examiner les Bacchants chevauchant des panthères, les experts de l'université de Cambridge ont pu le dater plus précisément. "De 'la fin du XVIe siècle', la fourchette chronologique s'est réduite à 'dans les premières années de ce siècle'. Du coup, le nombre d'artistes potentiels s'est considérablement réduit", assure l'historien. Les bronzes n'étaient-ils pas attribués au sculpteur italien baroque Tiziano Aspetti ? "1506-1508, c'est trop tôt pour être d'Aspetti." L'architecte et sculpteur italien Jacopo Sansovino, peut-être ? "Impossible. Ils n'ont rien de 'sansovinesque'", tranche encore l'universitaire, plutôt séduit par la thèse de son confrère britannique. 

Car les partisans de Michel-Ange ont de solides arguments, à commencer par l'extraordinaire précision anatomique des deux éphèbes. On distingue jusqu'au tendon péronier de ces personnages de bronze, assure dans le Guardian (en anglais) Peter Abrahams, anatomiste de l'Université de Warwick chargé d'étudier les deux œuvres. Si The Telegraph (en anglais) relève la patte de Michel-Ange dans les torses et les visages des protagonistes, Peter Abrahams se veut encore plus précis, assurant que la représentation des poils pubiens ("luxuriants et proéminents"), ainsi que le nombril (tourné vers l'intérieur) sont quasiment "des signatures", explique-t-il dans The International Business Times (en anglais)

Le critique Benjamin Sutton préfère, quant à lui, mettre en lumière le contraste entre la perfection des corps et l'allure "cartoonesque" des panthères. A défaut d'être réalistes, ces félins fantaisistes parviennent à moderniser cette œuvre vieille de plus de 500 ans, se réjouit-il. Plus pragmatique, Philippe Sénéchal assure "qu'il est peu probable que Michel-Ange ait eu le temps, dans sa vie, d'observer de près et longuement des animaux sauvages. Cela ne s'est répandu qu'au XVIIe siècle !" 

Le critique a, en tout cas, trouvé une façon très "XXIe siècle" de rendre hommage à ces panthères étranges et ces magnifiques cavaliers nus (probablement un peu saouls - Bacchus oblige -) : il a ouvert une page où les internautes peuvent en faire "un mème", sur le modèle des "lolcats", ces chats devenus des stars sur internet. Sur l'une des contributions, on peut ainsi lire : "Je peux être attribué à Michel-Ange ? [Michelangelo, en anglais] Cowabunga !" Le cri de guerre de Michelangelo... pas l'artiste, la Tortue Ninja.

 

Capture écran d'un "mème" réalisé à partir de l'œuvre "Bacchants chevauchant des panthères". (MEMEGENERATOR.NET)

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