Dora Maar photographe de mode, artiste surréaliste et peintre, au Centre Pompidou
Au-delà de la photographe surréaliste et de la maîtresse de Picasso, c'est une Dora Maar inconnue que nous fait découvrir le Centre Pompidou dans une grande rétrospective.
Dora Maar amante et muse de Picasso ? Dora Maar photographe surréaliste ? Oui bien sûr, mais c'était aussi une photographe professionnelle qui a eu un grand succès très jeune dans la mode et la publicité. C'était une femme dont le travail témoigne de l'engagement politique et une peintre reconnue dans les années 1940 et 1950, qui a continué ses recherches dans l'ombre, jusqu'à sa mort.
Ce sont toutes les facettes de Dora Maar (1907-1997) que le Centre Pompidou dévoile à travers plus de 400 œuvres. Cette rétrospective, la plus grande qui lui ait été consacrée, entend porter un regard nouveau sur son oeuvre. Pour la photographie, les deux commissaires, Damarice Amao et Karolina Ziebinska-Lewandowska, se sont appuyées sur les collections du Musée national d'art moderne, qui possède 1900 négatifs et plus de 300 contacts ainsi qu'une trentaine de tirages d'exposition. Pour la peinture, ça a été plus compliqué puisque quand Dora Maar est décédée son travail est parti aux enchères, par lots, sans même être inventorié, et s'est dispersé entre les mains de centaines de collectionneurs.
1Une photographe commerciale reconnue
Après trois ans de formation en arts décoratifs dans une école pour les filles, le Comité des dames, puis une école de photographie et de cinéma, Dora Maar publie sa première image à 23 ans, en 1930. L'année d'après, elle a sa première commande importante, des illustrations pour un livre sur le mont Saint-Michel. Elle ouvre alors un studio à Neuilly-sur-Seine avec le décorateur de cinéma Pierre Kéfer.
A partir de là, tout va très vite. Elle est sollicitée pour des portraits, des photographies de mode, des publicités. Elle travaille pour Jean Patou, Lanvin, Chanel, Schiaparelli, pour une marque de fers à friser, pour la lotion capillaire Pétrole Hahn ou Ambre solaire. Ses photographies sont publiées dans des dizaines de magazines. Comme de nombreux photographes des années 1930, elle fait des photos de nu pour des revues de charme, une activité bien payée.
Des dizaines de tirages et de négatifs projetés en diaporama au début de l'exposition rendent compte de cette activité commerciale. De belles images assez classiques mais portant parfois la marque du surréalisme. Dora Maar utilise parfois des montages, comme dans un projet pour une crème anti-rides, Les années vous guettent, où elle surimpose en négatif une toile d'araignée sur le visage de Nusch, la femme de Paul Eluard, une amie proche.
2Une artiste engagée
Dora Maar n'a pas fait que des photos de studio, posées, et des expérimentations formelles. Elle est aussi "descendue dans la rue" à partir de 1933, pour un travail plus documentaire qui traduit son engagement et ses idées politiques. Elle est proche à l'époque du groupe Octobre, une troupe d'agit-prop pour un théâtre "prolétarien", avec Jacques et Pierre Prévert. Elle participe aussi au groupe de Contre-attaque qui réunit des intellectuels et artistes de gauche antifascistes et elle participe en 1935 à l'exposition "Documents de la vie sociale", organisée par la section photo de l'AEAR, Association des artistes et écrivains révolutionnaires.
A Barcelone en 1933 elle photographie avec empathie et talent les vendeuses au marché, un bidonville, les enfants qui jouent sur le trottoir, une vieille mendiante recroquevillée. A Paris, elle s'intéresse à la "zone", les terrains vagues qui entourent Paris et où sont installées des populations pauvres.
A Londres en 1934, le regard est un peu plus ironique sur le pittoresque des tenues et des chapeaux. Elle sait capter les attitudes et, là aussi, la misère d'une chiffonnière ou d'un homme au visage déformé.
3Une photographe surréaliste
Comme Eugène Atget (1857-1927), photographe admiré des surréalistes, Dora Maar a cherché l'étrange dans la rue, dans le quotidien. Avant même de se lancer dans des expériences de photomontages surréalistes, elle a cherché le fantastique des mannequins en vitrine, des reflets, de la vision incongrue d'un kangourou en rotin sur un trottoir de Londres, des sombres silhouettes de statues enveloppées dans des housses.
Dans les années 1935-1938, elle est particulièrement proche des surréalistes. "Ce qui nous a frappées, c'est que pendant ces trois courtes années, elle expose huit fois avec eux et fait partie des trois ou quatre photographes exposés, comme Man Ray ou Hans Bellmer", remarque Karolina Ziebinska-Lewandowska. "Pendant cette période, elle fait au moins vingt photomontages. Et notre archive permet d'expliquer sa technique de travail."
Elle trouve des images anciennes dans des brocantes et les combine avec ses propres photographies. L'exposition prend l'exemple du Simulateur, une de ses icônes. Pour le fond, elle a utilisé une architecture de Versailles qu'elle a rephotographiée, recadrée, retouchée. Dessus, elle colle une figure prélevée sur une de ses photographies de rue de Barcelone. Puis elle rephotographie l'ensemble à la chambre grand format.
4Dora Maar et Picasso, un échange artistique
Dora Maar a eu une relation amoureuse avec Pablo Picasso pendant environ huit ans. "Dans cette exposition nous traitons cette période de sa vie juste comme une des périodes de sa vie, pas celle vers laquelle elle arrive et qui finit sa vie", explique Ziebinska-Lewandowska. "Il faut réaliser que quand ils se rencontrent, à l'hiver 1935-1936, Dora Maar est une photographe vraiment bien établie à Paris. En 1934 elle a eu six ou sept expositions. En 1935 elle expose avec les surréalistes. Elle participe à toutes les manifestations importantes de la photographie française à Paris et à l'étranger. Elle publie dans plus de 40 magazines."
Picasso a réalisé de nombreux portraits de Dora Maar. Mais elle n'est pas que La Femme qui pleure (1937), du nom d'un célèbre tableau de l'artiste espagnol. Leur relation passionnée est aussi marquée par un échange artistique et intellectuel intense. A ce moment-là, encouragée par Picasso, Dora Maar se remet à la peinture, une vocation de jeunesse qu'elle avait abandonnée. Ils se peignent mutuellement. Elle photographie toutes les étapes de la création de Guernica. Elle l'aide à réaliser des clichés-verre, réalisés avec une plaque transparente couverte de peinture où les contours de son visage ont été grattés.
5Une peintre reconnue dans les années 1940-50
En 1943 Picasso rencontre Françoise Gilot et quitte Dora Maar. Deux ans plus tard elle fait une dépression sévère, elle est internée quelques jours et se réfugie dans la religion catholique.
Elle ne photographie plus et se consacre entièrement à la peinture, jusqu'à la fin de sa vie. C'est un paradoxe, souligne Damarice Amao : "La carrière photographique de Dora Maar est la plus connue et elle a duré à peu près dix ans. Sur ce qui l'a occupée pendant près de 40 ans, on avait très peu de choses. Il a fallu reconstituer l'atelier, aujourd'hui dispersé dans les mains de centaines de collectionneurs."
Plus tard elle se retirera du monde, se réfugiant dans la méditation. Mais "nous avons été étonnées de découvrir que dans les années 1940 et 1950 elle était exposée et faisait partie du paysage artistique français", raconte Karolina Ziebinska-Lewandowska. Elle partage son temps entre son atelier parisien et sa maison de Ménerbes, dans le Luberon (Vaucluse). Elle est régulièrement exposée dans les galeries, à Paris et aussi à Londres.
Après la guerre elle réalise des natures mortes aux formes géométriques, très colorées, comportant une zone de lumière forte. Puis elle se consacre à des paysages de plus en plus abstraits. Jusqu'à la fin des années 1950, elle n'est pas isolée : elle collabore avec le poète André du Bouchet, et fréquente d'autres artistes comme Nicolas de Staël.
Dans les années 1980, Dora Maar effectue une espèce de jonction entre le dessin et la photographie, retouchant des négatifs qu'elle gratte, dont elle altère l'émulsion pour en réaliser des tirages, proches de ses dessins à l'encre abstraits. "Pour nous, la découverte c'est que, jusqu'à la fin de sa vie, à 80 ans, elle est en recherche constante. Ses carnets témoignent d'une activité quotidienne", raconte Karolina Ziebinska-Lewandowska.
Dora Maar
Centre Pompidou
Paris 4e
Tous les jours sauf le mardi, 11h-21h, le jeudi jusqu'à 23h
Tarifs : 14€ / 11€
Du 5 juin au 29 juillet 2019
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