Cet article date de plus de cinq ans.

Braque, Calder, Miró à Varengeville : histoire d'une amitié artistique, au musée des Beaux-Arts de Rouen

A partir du début des années 1930, des artistes se retrouvent à Varengeville-sur-Mer, sur la côte normande, autour de l'architecte Paul Nelson et du peintre Georges Braque. Le musée des Beaux-Arts de Rouen raconte cette histoire artistique et amicale qui réunit entre autres Joan Miró et Alexandre Calder. Jusqu'au 2 septembre 2019.

Article rédigé par Valérie Oddos
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Georges Braque, "Nu couché", 1935, Suisse, Genève, Collection particulière (Helly Namhad) (© Paris, ADAGP 2019)

Après Picasso et Marcel Duchamp, le musée des Beaux-Arts de Rouen poursuit son exploration des grandes figures de la modernité, avec une exposition sur Braque, autour de ses séjours à Varengeville-sur-Mer (Seine-Maritime), où de nombreux artistes se sont rendus en vacances et ont travaillé, dans le sillage de l'architecte américain Paul Nelson qui y avait acheté une maison en 1928.

Avec ses falaises, Varengeville est un endroit qui a inspiré de nombreux artistes avant eux, de Jean-Baptiste Corot ou Eugène Isabey à Claude Monet

Georges Braque a grandi non loin, au Havre. Il rend visite à son ami Paul Nelson avant d'y faire construire une maison et un atelier en 1931. Il y effectuera des séjours réguliers jusqu'à sa mort en 1963. Il est enterré au cimetière de Varengeville.

Georges Braque "Marine noire", 1960, Suisse, Genève, Collection particulière (Helly Namhad) (© Paris, ADAGP 2019)

Le retour du paysage

Au début des années 1930, Braque, qui est aux origines du cubisme avec Picasso, arrive à la maturité artistique. A l'approche de la cinquantaine, il gagne une reconnaissance internationale. A Varengeville, il va renouer avec des sujets qu'il avait mis de côté, comme le paysage.

Il se met aussi à la sculpture, une pratique nouvelle pour lui : il réalise des volumes en taille directe dans la pierre tendre de la région, qu'il assemble. Ou bien il coule des dalles de plâtre qu'il recouvre de peinture noire dans laquelle il grave des dessins qui apparaissent en blanc. Deux grands panneaux couverts de lignes enchevêtrées, prêtés par la fondation Maeght, sont particulièrement impressionnants.

"Toute la sculpture de Braque de cette époque est inspirée de l'Antiquité. Ça rappelle la céramique grecque avec ses figures noires, elles aussi incisées", remarque Syvain Amic, le directeur de la Réunion des musées métropolitains Rouen Normandie.

Anonyme, Groupe d'artistes à Varengeville, vers 1938 (Paris, Centre Georges Pompidou, Bibliothèque Kandinsky, Fonds Nelson)

Une communauté liée par l'amitié et l'art

L'exposition du musée des Beaux-Arts de Rouen s'intéresse particulièrement aux liens amicaux entre les artistes qui se retrouvent à Varengeville, autour de Paul Nelson, pilier de cette petite communauté. Ils sont là pour un week-end, une semaine, un mois. "C'est souvent Nelson qui les héberge, les accueille, organise des sorties ou des déjeuners chez lui", raconte Joanne Snrech, co-commissaire de l'exposition.

Un temps fort de ces retrouvailles, c'est l'été 1937 : les artistes sont ensemble à Varengeville après l'exposition internationale où Miró a peint sa première composition monumentale (disparue aujourd'hui) pour le pavillon de la République espagnole. Calder y a présenté sa "Fontaine de mercure", hommage également aux Espagnols en pleine guerre civile. Une exposition où le pavillon nazi et le pavillon soviétique se font face, qui se déroule dans un moment de grande tension.

Et juste après, donc, Joan Miró, Alexandre Calder, Hans Hartung, Paul Nelson, Georges Braque et d'autres, des artistes venus de tous les pays, se retrouvent à Varengeville pour une espèce de parenthèse enchantée à la veille de la guerre. Des photos prises par Hartung sur la plage témoignent de ce moment privilégié. "On est au bord du gouffre, mais c'est un moment de bonheur et de plénitude", commente Sylvain Amic.

Alexander Calder "Constellation biomorphisme"1943 (©Calder Foundation New York / ADAGP, Paris Localisation : Paris, Centre Pompidou - Musée national d'art moderne - Centre de création industrielle Photo ©Centre Pompidou, MNAM-CCI, Dist. RMN-Grand Palais / Philippe Migeat)

Objets de Calder

L'exposition montre des œuvres et des objets qui témoignent de cette amitié et des échanges entre les artistes. Des objets parfois inédits retrouvés dans des collections particulières. On ne sait pas toujours quand ils ont été réalisés, mais on sait que Calder s'est servi du garage de Nelson comme atelier cet été-là, qu'il y a produit un certain nombre de ces petits objets.

On a un mobile en fil de fer très léger, cadeau de Calder que Braque a accroché pendant des années dans son atelier. Calder lui fait aussi cadeau d'un pot bricolé avec un fond de boîte de conserve découpé, qui a servi longtemps de cendrier. "Ces objets incarnent le lien intime entre les artistes et la capacité de Calder de réaliser une œuvre à partir de trois fois rien", remarque Joanne Snrech.

Une gracieuse danseuse ("The Dancer") en tôle découpée et peinte, de Calder toujours, se retrouve sur les étagères de la maison de Nelson.

On n'a pas trouvé d'œuvres créées par Miró à Varengeville en 1937. Mais l'artiste catalan revient l'été 1938 et réalise une fresque pour le salon de Nelson sur six mètres de long qui évoque un animal marin. De cette oeuvre il ne reste aujourd'hui que des fragments, mais on peut en voir des photos uniques publiées dans les pages d'une revue communiste américaine, Partisan, datées de 1941.

Joan Miró, "Le vol d’un oiseau sur la plaine II", 1939, Suisse, Genève, Collection particulière (Helly Namhad) (© Paris, ADAGP 2019)

Miró dans les étoiles aux heures sombres de la guerre

L'heure est de plus en plus sombre et Miró séjourne longuement à Varengeville en 1939-1940. C'est à ce moment qu'il commence ses célèbres "Constellations". Elles ne sont pas à Rouen mais on peut y voir des peintures sur toiles de jute qui annoncent les motifs de ces gouaches sur papier, liés à l'idée d'évasion : des oiseaux, des étoiles, des lunes. "Ces quelques mois correspondent à une période de tension et d'inquiétude énormes et aussi de concentration très importante. Il a vraiment l'impression que c'est peut-être la dernière fois qu'il va pouvoir créer", raconte Sylvain Amic.

Pendant ce temps, Georges Braque, qui s'est aussi retiré à Varengeville au moment de l'exode, peint des toiles sombres pleines de crânes et de poissons morts.

Après la guerre, tout devient plus léger, les couleurs vives reviennent chez Braque dans des compositions inspirées du jardin et du quotidien. Puis il explore le thème de l'oiseau, tantôt blanc sur un fond sombre, tantôt noir et très stylisé sur un ciel blanc.

Georges Braque, "The Garden Table", 1952, USA, Washington, National Gallery of Art, Collection of Mr. and Mrs. Paul Mellon (© Paris, ADAGP 2019)

Les photos de Mariette Lachaud, un témoignage unique

On voit Braque travailler à ses oiseaux dans des photos de Mariette Lachaud. Il faut dire deux mots de cette femme qui était la fille de la cuisinière de la famille Braque. Ses images accompagnent toute l'exposition, comme elle a accompagné le couple Braque tout au long de leur vie. Braque avait remarqué qu'elle avait un œil et lui avait offert un appareil photo. Ses images sont un témoignage important sur la vie de Braque et sur son travail. "Elle est toujours là au bon moment et elle cadre toujours ce qu'il faut cadrer. C'est un témoignage indispensable si on veut étudier Braque", remarque Sylvain Amic.

"Et comme elle est très proche du couple Braque, les photos ne sont pas du tout posées, donc on a des photos qui sont plus naturelles et plus intimes que pas mal d'autres reportages qu'on connait", souligne Joanne Snrech.


A la fin de sa vie Braque réalise des petits paysages panoramiques dépouillés à l'extrême et particulièrement émouvants. Des marines grises où la mer se fond dans le ciel, des vues de campagne réduites à deux bandes, le jaune du colza et le ciel. Son dernier tableau représente une sarcleuse, comme un squelette posé dans un champ qui évoque Van Gogh. "'La Sarcleuse', c'est un peu sa faucheuse et un résumé de ce que représente pour lui Varengeville, l'attachement à la terre et l'horizon", commente Sylvain Amic.

Braque, Miró, Calder, Nelson… Varengeville, un atelier sur les falaises
Musée des Beaux-Arts de Rouen
Esplanade Marcel Duchamp, 76000 Rouen
Du 5 avril au 2 septembre 2019
Tous les jours 10h-18h sauf les mardis, le 25 décembre, le 1er janvier et le 1er mai
Tarifs : 9€ / 6€, gratuit pour les moins de 26 ans et les bénéficiaires des minimas sociaux

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.