Il y a 4 ans, on jetait ses coupons numériques à la poubelle... Aujourd'hui, on s'arrache les NFT rescapés de Robbie Barrat, pionnier du crypto-art
Il fait partie des artistes qui ont flairé le bon coup des NFT avant les autres, au risque d'être totalement incompris. Aujourd'hui, les œuvres numériques de Robbie Barrat sont devenues très rares... et très chères.
Quand le crypto-artiste Robbie Barrat, né à Dublin, élevé aux États-Unis, a offert des NFT à des congressistes réunis chez Christie's il y a quatre ans, bien avant l'essor fulgurant de ces objets numériques protégés par des lignes de code, il a eu la mauvaise surprise de voir ses cadeaux finir à la poubelle...
Ce jour-là, invité à donner une conférence à la maison d'enchères londonienne avec le collectionneur Jason Bailey, Barrat a vu 300 de ses coupons, donnant accès à des œuvres créées à l'aide de l'intelligence artificielle, "balancés" à la corbeille. Une douzaine de personnes a gardé ces petites fiches, et le NFT - "non-fungible token", jeton non fongible en français - qui va avec. Une simple série de chiffres, unique et infalsifiable, attestant de l'authenticité de l'image et faisant office de titre de propriété. Ces certificats sont protégés par la technologie des chaînes de blocs ("blockchain"), qui encadre notamment les échanges de cryptomonnaies.
Par la suite, les œuvres de Robbie Barrat sont devenues très rares, au point d'être surnommées les "Lost Robbies", et s'arrachent aujourd'hui pour des sommes à six chiffres.
"Je leur ai dit : c'est l'avenir ! Ne jetez pas cette vignette !"
De son côté, Jason Bailey, connu sous le pseudo "Artnome", est l'un des pionniers du crypto-art et des NFT, un marché qui a explosé ces deux dernières années avec 44,2 milliards de dollars de transactions en 2021, selon le cabinet Chainalysis. "Christie's m'avait demandé d'intervenir deux fois à Londres, en 2018", à l'époque où "personne ne savait ce qu'étaient les NFT", a confié le collectionneur à l'AFP lors d'une visioconférence. La maison d'enchères lui propose de venir avec un "cadeau". Il sollicite alors Barrat, qui crée des vignettes représentant le dessin d'une carte de crédit, sorte de sésame vers une œuvre protégée par NFT.
Pour ce projet, Robbie Barrat a récupéré 10.000 nus de l'ère classique dans son ordinateur, et les a modifiés grâce à un système qui fait "combattre" deux algorithmes afin de générer l'image finale, explique l'artiste de 22 ans, étudiant aux Beaux-Arts d'Amsterdam. Le résultat fut une série de masses difformes aux tons rose et marron, pouvant rappeler des peintures de Salvador Dali ou de Francis Bacon. "Je leur ai dit plusieurs fois : 'c'est l'avenir (...) Ne jetez pas cette vignette'", assure Jason Bailey. "Il s'agissait de collectionneurs traditionnels, pour sûr qu'ils se sont dit : 'Qui est ce taré ? Personne ne collectionne d'art numérique'", s'amuse-t-il.
Une des "Lost Robbies", appelée "Nude Portrait#7frame#64", s'est vendue le 2 mars à la maison Sotheby's pour quelque 630.000 livres sterling, soit environ 750.000 euros.
Frustré d'entendre plus parler d'argent que d'art, Barrat a pris ses distances avec les NFT
Malgré son succès, Robbie Barrat se dit frustré de n'entendre parler que du "prix" au lieu de "l'image elle-même", et ne compte pas commercialiser d'autres NFT pour le moment. "J'ai eu beaucoup de chance. Mais si on regarde les artistes sur OpenSea (la principale plateforme de vente de crypto-art, ndlr), l'immense majorité n'a pas vendu une seule vignette", pointe le jeune homme.
Quatre ans après l'épisode chez Christie's, Jason Bailey continue de défendre le bien-fondé des NFT, qui permettent aux créateurs de percevoir des droits d'auteur sur chaque vente. "Je comprends tout à fait et respecte le choix de Robbie de prendre ses distances avec les NFT. Ils ne peuvent pas convenir à tous."
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