Au mémorial du camp de Rivesaltes, trois artistes contemporains posent leur regard sur l'exil et le déracinement
Comment faire vivre un lieu qui a connu l'horreur de la déportation et de l'internement ? C'est à partir de cette question que Philippe Domergue, Nicolas Cussac et Nissrine Seffar ont abordé l'histoire du camp de Rivesaltes (Pyrénées-Orientales). Les trois artistes plasticiens présentent leurs œuvres en résonance avec le lieu jusqu'au 28 janvier 2024. Des images, des installations ou des dessins intimistes, la déambulation propose des visions et des techniques spécifiques à chacun des artistes.
Transformé en lieu mémoriel depuis 2015, le camp de Rivesaltes donne régulièrement la parole à des artistes pour faire vivre l'histoire. Avec cette exposition temporaire intitulée Art In Situ, Philippe Domergue, Nicolas Cussac et Nissrine Seffar livrent leur regard personnel, intimiste et sensible. Immergés dans les lieux le temps de la création, les trois artistes contemporains liés à ce territoire et à cette histoire ont chacun écrit leur vision de l'internement et de l'exil.
Trois artistes contemporains narrateurs du passé
Ponctué de matières, formes et images différentes, le parcours du camp de Rivesaltes donne à voir un foisonnement d'images et de réflexions où la liberté est centrale. Le résultat est poignant, profond et émouvant. À travers son regard singulier, le plasticien Philippe Domergue investit le premier espace. Pour cette exposition, il a prélevé des restes de lattis abandonnés au sol dans les ruines des baraques pour les réparer, les relever et en faire la matière même de ses œuvres. Ces pièces de bois sont porteuses de traces, de souvenirs. En se les réappropriant poétiquement et en les combinant avec des photographies de l’époque, il crée une alchimie troublante entre supports et images, matière et mémoire.
Le deuxième espace propose une lecture beaucoup plus contemporaine du site. L'artiste franco-marocaine Nissrine Seffar arpente depuis 2012 le camp de Rivesaltes. Seule face aux baraquements en ruine, elle prend des photographies, réalise des dessins sur plâtre qui témoignent de l’érosion de ces habitations sommaires. Ses installations, vidéos ou photographies s'apparentent à une enquête dans laquelle elle recense et questionne le vécu, l’exil, l’errance, les cicatrices.
La troisième exposition présente les dessins sur carnets de route de Nicolas Cussac. Ces carnets, empreints de poésie, rappellent ceux des artistes internés à Rivesaltes, et montrent la vie du mémorial aujourd'hui. Pour s'imprégner de cette ambiance particulière, Nicolas Cussac s'est installé durant plus de neuf mois à Cussac. Une "résidence" hors sol qui lui permet de laisser le temps faire son œuvre jusqu’à ce que l’inspiration surgisse. De l'errance nait l'idée et le trait. Simple, épuré, efficace.
Un lieu chargé d'histoires d'exils
Le camp de Rivesaltes a été le témoin de trois conflits majeurs que la France, l’Europe, mais aussi l’Afrique du Nord ont vécu en à peine trois décennies : la guerre d’Espagne, la Seconde Guerre mondiale et la Guerre d’Algérie. Pendant cette période, les baraques du camp de Rivesaltes ont vu défiler des milliers de personnes, hommes, femmes et enfants, d’origines, de cultures et de nationalités différentes. Le passage de ces groupes de population au camp de Rivesaltes est le reflet des déplacements forcés issus de ces conflits et des mouvements de décolonisation qui agitent le XXe siècle.
Initialement construit pour être un centre d’entraînement militaire, le camp de Rivesaltes fut entre autres un "centre d’hébergement" pour étrangers indésirables, un camp d’internement pour les populations victimes de la politique d'exclusion du régime de Vichy, un camp de déportation vers Auschwitz-Birkenau via Drancy, un camp de prisonniers de guerre allemands, une zone de transit pour les supplétifs étrangers de l’armée française, mais aussi un "camp de regroupement des harkis et de leurs familles". Donc son histoire est à la fois celle des républicains espagnols, des juifs étrangers, des Tsiganes, des prisonniers de guerre de l’Axe, des harkis, des prisonniers FLN, des Guinéens, des Nord-Vietnamiens et de tous ceux qui y vécurent dans des conditions souvent très dures.
"Art In Situ" au mémorial du camp de Rivesaltes jusqu'au 28 janvier 2024. Ouvert du dimanche au vendredi de 10 heures à 18 heures.Tarifs : 9,50 euros et 6,50 euros. Gratuit pour les moins de 18 ans.
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