Au domaine de Chaumont-sur-Loire : peintres et sculpteurs racontent la magie, la beauté et les blessures de la nature
Depuis fin mars et jusqu'à l'automne (27 octobre 2024), quatorze artistes, peintres et sculpteurs ont investi le Domaine de Chaumont-sur-Loire. La Saison d'art 2024 est l'occasion de découvrir l'art contemporain dans un château Renaissance et un parc aux arbres majestueux. Franceinfo Culture a rencontré cinq de ces quatorze artistes qui, à leur manière, racontent la nature et notre terre.
1 Miquel Barceló et sa "Grotte Chaumont"
Dans un bosquet du parc, Miquel Barceló a posé son monstre en céramique prêt à dévorer les promeneurs. L'artiste de Majorque a songé à la grotte Chauvet. "Des visiteurs penseront à l’épisode biblique de Jonas, d’autres encore à La Porte de l’Enfer de Rodin… Il y a beaucoup d’exemples de ces grandes gueules ouvertes dans l’histoire de l’art", déclarait-il lorsque l'œuvre de 8 tonnes a débarqué, venue de son atelier à 1 200 kilomètres de là par bateau, puis en camion par convoi exceptionnel.
Sur son île de Majorque, il lui a fallu construire un four de 10 mètres de diamètre pour une cuisson à 1 100 degrés. Des chiffres qui caractérisent bien Barceló et sa démesure. Les 300 m2 magistraux de céramiques dans la cathédrale gothique Santa Maria de Palma de Majorque en témoignent. La Grotte Chaumont de Barceló est la dernière arrivée dans le parc où elle va côtoyer d'autres œuvres, d'autres folies comme celle d'Eva Jospin ou la main de Penone. L'énergie et la démesure de Barceló, par tous les temps, raconteront aux promeneurs du parc que les monstres rôdent toujours sur Terre.
2Vincent Bioulès et ses jardins de lumière
Vincent Bioulès est un peintre du Sud et depuis l'enfance, observer la nature est son plaisir. Il raconte à Franceinfo Culture que gamin, lors de ses travaux d'écolier, penché sur ses versions grecques, il observait la lumière et les couleurs de son jardin et le ballet des saisons par la fenêtre. Quatre-vingt ans plus tard, il peint toujours cette évasion vers son parc de lumière, sur des grands formats qu'il présente à Chaumont. Dans les galeries hautes, par les fenêtres, le visiteur aperçoit une Loire large et apaisée, dans cette lumière froide de la Touraine. Sur les murs, ce sont les couleurs chaudes de la Méditerranée qui résonnent, une série nommée Paysages présentée par la galerie La Forest Divonne.
Durant la conversation, le peintre demeure optimiste malgré les saisons qui sont devenues fluctuantes comme il dit, et c'est sur la lumière qu'il a un avis généreux : "La lumière est la seule chose que les hommes n'ont pas pu démolir, par exemple dans la banlieue de Montpellier qui était campagnarde, maintenant, ce sont des zones artisanales sans intérêt, mais certains soirs, ces lieux faits de baraquements sont baignés par une lumière extraordinaire, ils sont transfigurés par la lumière", nous dit-il avec un sourire malicieux.
Après un passage remarqué dans les années 1960 au sein du mouvement abstrait Support-Surface en compagnie de Claude Viallat, le peintre se tourne vers le paysage et la figuration. “Le paysage a un visage", aime-t-il à dire. Sa série de 40 tableaux, ses jardins et ses fenêtres, avec des inspirations à la Bonnard, illuminent les salles et sont les portraits d'une nature encore vivante.
Bioulès termine l'entretien par cette phrase, lui, l'homme de 86 ans qui aujourd'hui encore rejoint son atelier chaque jour, pour peindre : "Quand on vieillit, on est de plus en plus libre, et en vieillissant, nous créons du futur."
3 Gloria Friedmann et son "Locataire"
En passant sous le porche des écuries du château, le visiteur aperçoit au fond, un homme assis en déséquilibre sur une boule, sur une Terre, elle-même portée par une tortue. C'est Le Locataire, sculpture en terre de Gloria Friedmann. Une installation monumentale.
L'artiste, d'origine allemande, qui travaille en Bourgogne, nous décrypte son œuvre : "Cette sculpture représente le vivant, l'homme assis sur la boule s'appelle le locataire. Un locataire doit laisser en bon état sa location en partant. (...) Essayons de faire la même chose avec cette planète." Friedmann aime la nature et le vivant et c'est son terrain de création depuis plus de 30 ans. Le dérèglement climatique l'inquiète depuis longtemps. Gardant le sourire, elle rappelle que : "Je suis allemande, personne ne se souvient des pluies acides, mais quand je suis arrivée en France dans les années 1980 et que j'évoquais d'écologie, tout le monde rigolait."
Il n'aurait peut-être pas fallu rigoler de l'avertissement. Son Locataire pose la vision d'une destinée inquiétante. La tortue marche lentement dans un sens et soutient la Terre, l'homme, assis à l'envers, finira sûrement par tomber. Cette installation dégage, malgré son message et la fragilité de cette Terre qui semble prête à s'effriter, une délicatesse propre à Gloria Friedmann qui avec malice a bien remarqué que la pendule au-dessus de son œuvre est en panne. Bon signe ?
4Damien Cabanes, le peintre sur le motif
Le 150e anniversaire de la naissance de l'impressionnisme a remis l'expression "peindre sur le motif" ou en plein air, sur le devant des chevalets. Damien Cabanes, lui, en septembre dernier, a appliqué à la lettre ce principe. Il a posé au sol de longs lés de papier de 6 mètres de long et durant 10 jours a peint les massifs de fleurs et les bords de Loire suivant une discipline bien réglée. Il attendait, depuis quelques mois, la fenêtre météo pour profiter des lumières qu'il désirait. Il nous raconte ses journées : "J'étais plongé entièrement dans la nature, on ne pense qu'à la peinture. Le matin, je peignais les grands parterres de fleurs pendant quatre heures, puis une pause, une sieste et l'après-midi, je partais dans les ombres de la vallée, toujours pour peindre."
Le résultat exposé dans la cour Agnès Varda transporte le visiteur au plus proche de ces parterres de fleurs. Quasiment grandeur nature, sur ces papiers, la couleur des massifs floraux jaillit et explose. Comme les grands paysagistes, cet admirateur de Monet et de Matisse, ce peintre d'une soixantaine d'années qui vient de l'abstraction, plonge le visiteur dans la couleur.
Chantal Colleu-Dumont, la directrice du lieu et commanditaire de cette résidence parle de ce travail avec ferveur : "C'est une très belle transfiguration, il s’est inspiré de toutes ces couleurs, et c'est à la fois ce que l’on connaît et c'est son regard. Il a transfiguré ces jardins, il y a une générosité du végétal qu'il a su rendre avec ce mouvement."
Ces peintures sur papier de Cabanes et les paysages de Bioulés racontent une Nature encore vive, épanouie, solide et fraîche. Un choix pour Chantal Colleu-Dumont : "Les fleurs, la nature, c'est l’exaltation du bonheur et les artistes présents durant cette saison d'art 2024, avec leur usage parfait de la couleur apporte une énergie, une dynamique encore plus primordiale dans cette période de noirceur."
5 Les vestiges des Poirier
Anne et Patrick Poirier ont toujours travaillé sur les mondes en ruine, ils explorent les vestiges des civilisations disparues. Depuis le début de leur carrière, ce couple parcourt le monde. Cette saison à Chaumont, ils ont installé, sur le bassin qui ouvre la perspective du parc, trois maquettes flottantes de temples, des îles. Ce sont des sculptures en bronze dorées à la feuille d'or inspirées par le site de Tikal au Guatemala. Le message est clair : voici de magnifiques architectures, de géniales créations humaines, mais ce sont bien des paradis perdus.
Les lumières de Touraine changent de minute en minute, de jour en jour, de saison en saison. Ces trois dorures sur eau changeront ainsi d'apparence et de reflets à l'entrée du domaine, c'est sûrement cela, la magie des Saisons d'art du Domaine de Chaumont.
Saison d'Art 2024 du Domaine de Chaumont-sur-Loire du 30 mars au 27 octobre 2024
Heures d'ouverture à vérifier suivant la période sur le site.
Billeterie : entre 9 et 20 euros et voir tarif famille.
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