"Art et science-fiction, les portes du possible" au Centre Pompidou-Metz : l’art contemporain s'empare des mondes futurs
Alexandra Müller, commissaire de l’exposition, aborde la science-fiction comme une prospective d’hier qui se réalise aujourd’hui. L’art contemporain fait régulièrement écho aux politiques internationales, scientifiques, sociales et sociétales, des sujets sur lesquels la SF est souvent alarmiste depuis Georges Orwell et son renouveau dans les années 1970. Art contemporain et science-fiction ne pouvaient que se rencontrer, c'est chose faite au Centre Pompidou Metz jusqu’au 10 avril.
Du Meilleur des mondes d’Aldous Huxley aux alertes écologiques, en passant par le cyberespace, les robots et l’afro-futurisme, l’exposition répartit en cinq salles des thèmes qui privilégient la vie des hommes sur Terre, même si l’exploration spatiale ou les extraterrestres sont évoqués. Installations, sculptures et peintures se succèdent dans une muséographie ouverte et lumineuse. Mais les cloisons entre les salles et alcôves sont déchirées, détruites, comme les ruines d’une guerre.
Cités politiques
La science-fiction est identifiée à un genre paranoïaque où les prospectives sociales, scientifiques ou politiques sont envisagées au carrefour d’utopie et de dystopies. La première salle consacrée au politique situe la ville comme son point d'ancrage puisque que la politique, c'est organiser la cité. La ville idéale comme nombre d’architectes l’ont conceptualisée depuis l’Antiquité est souvent devenue dans la SF un univers déshumanisé.
Elle peut être réduite à une structure horizontale-verticale vide de sens, une tubulure rouge vide de vie, une plastique circulatoire sans âme. Répétition de Kevin McGloughin voit des immeubles tels des ascenseurs s’élever vers des espaces toujours plus hauts, mais carcéraux. Ils jouxtent Masterplan [Plan directeur] de Gordon Cheung où des archéologues explorent au milieu de ruines un plan urbain sur un fond de couleurs acides. Idéalisation et chaos sont au cœur de la science-fiction.
Cyberworld
Avec Neuromancien, William Gibson inventait en 1984 le Cyberpunk, nouveau genre de la SF fondé sur la jonction technologique, politique, culturelle et sociétale née de la fusion entre l’informatique et l’humanité. Générateur d’une nouvelle médiation du monde par le foisonnement des informations et des moyens de communication, le digital a aussi engendré une esthétique propre.
Tishan Hsu capte l'"homocybernitus" dans Breath 4, dans la pixelisation graphique et la symbiose entre le biologique et l'électronique du sujet. Avec "l’algorithmisation" de nos vies, un autre dirigisme politique donne un nouveau visage à Big Brother. La SF contemporaine se situe justement du côté des hackers créatifs qui le contrent. Néo dans Matrix (1999) en est le fer de lance.
Robot Blues
Le robot est une figure emblématique de la science-fiction avec son icône Robby le robot du film Planète interdite (1956). La boîte de conserve anthropoïde s’est d'abord transformée en androïde mimétique de forme humaine avec cinq sens artificiels. Puis le cyborg a fusionné l’homme et la machine en tout ou parties. Le transhumanisme contemporain en est la matérialisation la plus patente, notamment dans le domaine de la santé et de la chirurgie.
Tulpa, l'homme nid d'abeille (2019) de Tujo Honeycombman incarne parfaitement le transhumain dans la fusion entre l'homme et la machine, sur le chemin d'une biomécanique futur. Le cyborg, c’est aussi un corps sur lequel on peut agir, en choisissant son genre, en l’exhibant comme porte-voix politique, ou manifeste artistique. Les états d’âme de la machine tiennent aussi une grande place dans des succès populaires comme les films Ghost in the Schell (1995) ou Alita (2019). Et la révolte des robots n'est jamais très loin.
Paradis perdu
La sonnette d’alarme écologique est tirée depuis les années 60 et la contre-culture venue des Etats-Unis. Elle est devenue un thème majeur dans la SF des années 70, tant en littérature qu’au cinéma, avec un titre phare : Soleil vert de Richard Fleischer (1973) adapté du roman d’Harlan Harrison (1966). La révolte de la nature est surtout animale au cinéma, dans la foulée des Oiseaux (1963) d’Hitchcock (fourmis, reptiles et batraciens, lombrics…), voire de mutations animales (Les Insectes de feu, Prophecy, Soudain les monstres, adapté de H. G. Wells).
Nancy Grossman récupère en 1966-67 des tubulures pour en faire un manifeste anti-pollution dans All Stoker (Le Soudeur). Si les gaz d'échappement sont nocifs, l’usage de l'atome est en première ligne comme moyen de destruction de la planète. La nature est sauvegardée dans d’immenses arches interstellaires dans Silent Running (1972). La surpopulation menace également la Terre et est au cœur du roman de John Brunner Tous à Zanzibar, de Soleil Vert, mais aussi des films comme L’Âge de Cristal (1976), ou Zero Population Growth (1972).
L’Afrique future
Extraire la SF de son enracinement occidental est la mission que s'est donné l’afrofuturisme depuis les années 1990. Le mouvement, né du traumatisme colonial, prône une globalisation fondée sur l’addition et le respect des différences. D’où le pluriel qui lui est parfois accolé, on parle des afrofuturismes.
Fleur indigène, Prométhée fleurit de Rins Banerjee (2018) convertit des matières et motifs traditionnels africains en une construction totémique extraterrestre. La technologie dominante en SF est reléguée au bénéfice de la spiritualité, un animisme mystique qui réécrit l’histoire. Sa manifestation la plus populaire en est le Wakanda natal de Black Panther, le superhéros des studios Marvel. Littéraire et plastique, l’afrofuturisme a aussi sa musique, celle du jazz cosmique de Sun Ra et de la soul de Gil Scott Heron.
Art et science-fiction, les portes du possible
Centre Pompidou-Metz
1 Parvis des Droits de l'Homme, 57020 Metz
Horaires : 10h - 18h (fermé le lundi)
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