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Le "Zapping", le programme que Bolloré n'a pas réussi à télécommander

Après avoir fait ses adieux à Canal+ en 2016, le programme piloté par Patrick Menais change de chaîne et revient sur France 2, sous le nom de "VU".

Article rédigé par Elise Lambert
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
France 2 diffuse, lundi 16 janvier 2017, sa version du célèbre "Zapping" de Canal+. (MAXPPP)

"A tchao Canal". Sept mois qu'on n'entend plus les "scrrrtch" qui ponctuent les 5 minutes d'images saccadées du "Zapping". Sept mois que l'une des émissions les plus cultes de la télévision française n'est plus. Le 2 juillet 2016, le "Zapping" a tiré sa révérence après vingt-sept ans d'existence sur Canal+ et plusieurs mois de bras de fer avec son nouveau propriétaire, Vincent Bolloré.

"Tant que ce n'est pas mort, ce n'est pas enterré", assurait l'animateur Arthur, dans un des extraits choisis pour l'ultime édition du programme de Canal. Lundi 16 janvier, sur France 2, le "Zapping" renaît, sous le nom de "VU". Poil à gratter, impertinent et libre, comment est né cet ovni de la télé ?

"Ça fait de l'audience et ça ne coûte rien"

Le concept de base du "Zapping", c'est "l'histoire qu'on te raconte à la machine à café le matin", explique Patrick Menais, le responsable de l'émission depuis 1989, aux Inrocks. "Il y avait toujours quelqu’un qui avait manqué le fait marquant de la veille et à qui on rafraîchissait la mémoire. Nous, on voulait remontrer cette image pour que celui qui l’avait manquée puisse se faire sa propre opinion."

Initié par le directeur des programmes de Canal+ de l'époque, Alain de Greef, le "Zapping" est d'abord une pastille hebdomadaire diffusée dans l'émission "Demain" de Michel Denisot. Un chroniqueur isole chaque jour la minute de télévision la plus regardée par les téléspectateurs et y ajoute un commentaire.

En 1989, le "Zapping" prend du grade. En 2 minutes et 30 secondes, il compile tous les jours des images diffusées la veille sur les sept chaînes du canal hertzien français. Drôles, marquantes, parfois choquantes, les images se succèdent dans un ordre précis afin de créer "un point de vue" et "un récit de ce qui a été diffusé la veille", poursuit Patrick Menais. "C'est la plus belle arnaque de la télé, décrira Michel Denisot une vingtaine d'années plus tard, sur le plateau des "Enfants de la télé". "Ça marche, ça fait de l’audience, ça coûte rien au nom du droit à l’information..." 

Miroir de la télé et de la société

Dans les années 1990, le programme court dépeint avec de simples images sans commentaires les sujets majeurs de l'actualité de l'époque : la fécondation in vitro, la vache folle, le port d'armes aux Etats-Unis, la guerre du Golfe... Des émissions telles que "On ne peut pas plaire à tout le monde", "Tout le monde en parle" ou "Le Juste Prix" ont régulièrement leurs secondes de gloire dans l'émission, juste avant d'être détrônées à l'aube des années 2000 par les téléréalités, comme la "Star Academy", "Popstars" ou "Loft Story".

Quelques séquences du "Zapping" deviennent cultes, comme le 11 septembre 2001, lorsque tout juste débarqué à France Télévisions, le journaliste David Pujadas est filmé en train de s'extasier devant l'effondrement des tours du World Trade Center. "En tant que journaliste, il a vu ces images qui l’ont dépassé", analyse Patrick Menais aux Inrocks. "Il s’était excusé de ses propos."

Le "Zapping" accompagne et critique les évolutions de la société, miroir de la télé, sans jamais les nommer. L'un des objectifs est de "remettre un peu de sens dans le non sens de ce flux d’images aujourd’hui", expliquera Patrick Menais sur France Inter en 2009, à l'occasion des 20 ans de l'émission. "C'est un montage subjectif de la réalité objective", de "ce spectacle de fin du monde qui est nous est donné à voir tous les jours".

Une marque non déposée

Si le concept du "Zapping" est bien né chez Canal+, le mot "zapping" fait encore l'objet de discussions. Journaliste à franceinfo, Philippe Vandel en revendique la paternité. "Je n'ai pas inventé la séquence du 'Zapping' mais le terme. (...) Il est apparu dans le mensuel Actuel dans un article que j’avais écrit en mars 1986 donc bien avant l’arrivée du 'Zapping' sur Canal+", défendait-il sur France Inter le 6 janvier 2017.

Dans cet article, le journaliste revient sur le chamboulement provoqué par la création de la télécommande chez les publicitaires américains : "Avec la télécommande, on change de chaîne et on ne regarde pas la pub." Un comportement désigné par "to zap" en anglais, que le journaliste traduit par "zapping" en français. "C'est l'article d'Actuel qui l'a popularisé en France, ni plus ni moins", assure le journaliste. "A l'époque, je ne savais pas qu'on pouvait déposer un nom pour faire de l'argent, et c'est peut-être mieux comme ça."

Car, aussi surprenant que cela puisse paraître, la marque "Zapping" n'a jamais été déposée, explique Le Figaro. L'un des "penseurs" de l'émission, longtemps collaborateur de Michel Denisot, regrette d'ailleurs de ne jamais y avoir songé. Interviewé par Le Télégramme en 2007, le producteur de télévision Philippe Eckerlé déplore : "Je ne le regarderai sans doute pas, car je pleurerais en pensant à tous ces droits d'auteur qui m'échappent."

L'un des créateurs du "Zapping", Philippe Eckerle, photographié à Carantec (Finistère), le 28 décembre 2007. (MAXPPP)

Plus de 130 heures d'enregistrement par jour

Au fil des ans, l'équipe s'étoffe et se rôde. De trois magnétoscopes et trois personnes chargées de regarder les grands "primes" (les émissions diffusées en première partie de soirée), le "Zapping" emploie dans les années 2000 une dizaine de personnes à temps plein pour visionner "toutes les chaînes hertziennes et quinze à vingt chaînes du câble", écrit Le Parisien en 2004.

L'équipe s'abreuve de télé en permanence, nuit et jour. "On récupère entre 130 et 140 heures d’enregistrement par jour. On est assez exhaustif sur les 10 grandes chaînes de télé qui représentent plus de 90% de ce que les gens regardent – en termes d’audience. Après, on picore en fonction de l’actualité sur les chaînes info ou sur la TNT", relève Patrick Menais dans Les Inrocks.

Les zappeurs n'ont pas de profil type ni de diplôme ? Agés de 26 à 44 ans, "ils sont ancien photographe, ex-danseuse, graphiste, documentaliste" décrit La Croix, et doivent surtout être capables "de regarder plusieurs écrans à la fois et de maîtriser le discours médiatique, pour ne pas être dupes face à l'image, quelle que soit son origine", précise Patrick Menais.

Une journée ordinaire commence à 7h30. L'équipe est toujours composée de quatre personnes, plus Patrick Menais, en roulement. Elle note les passages éligibles au "Zapping" et monte les 5'30'' finales, décrit Rue 89. Le plus difficile est évidemment de ne rien rater, et de donner du sens à ce flux d'images et de créer un point de vue.

Le premier travail au 'Zapping' est de ne pas tronquer le propos d’une personne, quand on y arrive pas, on s’abstient.

Patrick Menais

sur France Inter

L'effet Koulechov pour créer un montage subjectif

Cet ADN du "Zapping" – donner du sens par un montage soigné d'images – n'est pas nouveau. En 1921, le réalisateur russe Lev Koulechov démontre dans une expérience "que la juxtaposition de deux images permet de faire surgir un sens absent des deux images originelles si on les prenait séparément", explique le journaliste Bruno Donnet, dans une chronique sur France Inter"Il (le "Zapping") prouve que l'on peut sans le moindre mot de commentaire produire des éditoriaux d'une rare acuité."

Libre, audacieuse, l'émission est engagée. Elle soutient l'association Solidarité sida à partir de 1996 grâce à ses "Nuits du Zapping" diffusées dans plusieurs villes de métropole et d'Outre-mer. En 2010, le "Zapping Show" s'installe au pied de la tour Eiffel.

Marco Prince, Sébastien Folin, Patrick Menais, Antoine de Caunes et Luc Barruet lors de la première édition du Grand Zapping Show, à Paris, le 10 septembre 2010. (GHNASSIA ANTHONY/SIPA)

Trop irrévérencieux pour Bolloré

Mais l'émission est parfois jugée trop impertinente. En 2009, le CSA la met en garde après la diffusion d'images érotiques. L'équipe est obligée de mettre un message de prévention avant chaque diffusion : "Le 'Zapping' reflète la télévision. Il peut contenir des images non adaptées à un jeune public."

Celui qui aura, sans doute, jugé l'émission beaucoup trop insolente à son goût, est Vincent Bolloré, le patron de Canal+. Le 24 septembre 2015, le "Zapping" diffuse une déclaration polémique de Maïtena Biraben, l'animatrice du "Grand Journal", qui qualifie le discours de Marine Le Pen de "discours de vérité".

Le 8 octobre, alors que le reportage avait été déprogrammé de Canal+, le "Zapping" diffuse des extraits de l'enquête sur le Crédit mutuel diffusée sur France 3. A plusieurs reprises, l'animateur de "Touche pas à mon poste", Cyril Hanouna, est épinglé.

Si l'émission ne s'attaque pas frontalement à Vincent Bolloré, elle titille ses proches. "Il faut que vous arrêtiez de faire passer Hanouna pour un demeuré et inversement. Je veux que nous développions une vraie logique d’entreprise", met alors en garde l'homme d'affaires. En mars 2016, Le Canard enchaîné affirme que Vincent Bolloré tiendrait une liste noire de personnes à évincer, dont Patrick Menais. La rupture est prononcée en juin, lorsque la chaîne présente sa grille de rentrée, dans laquelle le "Zapping" ne figure pas. 

Au cours de l'été Patrick Menais fait l'objet d'une procédure de licenciement pour faute grave, après avoir déposé le nom de "Zapping" à l'Institut national de la propriété industrielle (Inpi), la chaîne lui reprochant de vouloir s'approprier un nom lui appartenant. Après sept mois de silence, le "Zapping" débarque finalement sur France 2, sans rien laisser filtrer de sa nouvelle formule. Elle "proposera un regard impertinent et libre sur le monde de l'image", assure Patrick Menais. A vérifier dès lundi, donc.

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