"Pauvre Bitos - le dîner de têtes" de Jean Anouilh : un "Dîner de cons" avant l’heure au théâtre Hébertot, à Paris

La comédie de Jean Anouilh écrite en collaboration avec son épouse Nicole, rappelle "Le Diner de cons", la pièce (1993) de Francis Weber dont il tira le film en 1998. Un cercle de bourgeois y invite un "con" pour se payer sa tête, ce dont ils feront les frais. Pauvre Bitos - le dîner de têtes les préfigure de plus de 40 ans, mais tire sur d’autres cordes, plus politiques, autour de la tyrannie du discours vertueux comme mode d'accès au pouvoir.

Maxime d’Aboville et Adrien Melin ont resserré la pièce originale de trois heures à une heure vingt, réservant à cette comédie grinçante, un rythme enlevé, avec une belle scène et huit comédiens et comédiennes qui se donnent la réplique avec bonheur. Pauvre Bitos - le dîner de têtes est au théâtre Hébertot, à Paris, jusqu’au 31 mars.

Une première depuis 1967

Quelques années après la Libération, un cercle d’amis de province organise un "dîner de têtes" qui consiste à se grimer à l’effigie de grandes figures révolutionnaires, autour d'un repas. André Bitos, d’origine modeste et devenu un magistrat à la réputation irréprochable, est à l’honneur, habillé en Robespierre. Alors que les procès pour collaboration se multiplient, la bonne société qui l’entoure va se retourner contre Bitos, lors d’un jeu de massacre ayant pour cible l’affichage ostentatoire de son intégrité.

Selon Thierry Harcourt, à la mise en scène, Pauvre Bitos n’a pas été montée depuis 1967. Lors de sa création en 1956, la France est sortie du conflit en Indochine depuis deux ans et est en guerre en Algérie depuis deux autres, alors que la collaboration avec l’occupant allemand n’est pas encore digérée. C’est dans ce contexte morose que Jean Anouilh créé Pauvre Bitos, sur un ton inattendu de comédie. Scandale en son temps, la pièce divisa la critique et le public, tout en remportant le succès.

Père la vertu

En prenant de front le sujet collaborationniste, Anouilh montre combien il est encore chaud en 1956, tout en interrogeant ce qu’il révèle de la nature humaine. Les hôtes de Bitos vont le désigner, à l’image de Robespierre dont il porte la défroque, comme un humaniste autoproclamé, dont l'intégrité affichée lui permettrait d’agir en despote. Leur but ? L’enivrer pour lui faire avouer ce qu’il pense au fond de lui de l’institution qu’il sert, afin de lui faire perdre son poste.

Pas dupe, et non moins étonné de leur action, Bitos va développer un argumentaire qui va faire vaciller ses contradicteurs. D’abord antipathique, sous le jour d’un père la vertu, Bitos devient victime de ses entremetteurs et se voit attirer toutes les sympathies du public. C’est l’art de la pièce, entre comédie et étude de mœurs, de faire passer d’un sentiment à l’autre, et de dénoncer les simplifications manichéennes, tout en divertissant. La belle mise en scène de Thierry Harcourt sert huit comédiens et comédiennes aux magnifiques atours XVIIIe siècle, qui font revivre, dans une communauté de troupe, un texte oublié, perspicace et drôle, qui n’a rien perdu de son mordant.

Pauvre Bitos - diner de têtes
De Jean Anouilh
Mise en scène : Thierry Harcourt
Avec : Maxime d’Aboville, Adel Djemai, Francis Lombrail, Adrien Melin, Étienne Ménard, Adina Cartianu, Clara Huet, Sybille Montagne
Du mercredi au samedi à 19h et matinée le dimanche à 17h30
Relâche exceptionnelle le jeudi 7 mars 2024
Représentations exceptionnelles les mardis 5 mars, 19 mars et 2 avril 2024 à 19h.
Théâtre Hébertot
78 bis boulevard des Batignolles, 75017 Paris
Tél : 01 43 87 23 23
Du lundi au samedi de 11h à 18h. Le dimanche de 11h à 16h