: Interview Cyril Teste dirige Adjani dans "Opening Night" : "Isabelle est une kamikaze"
Isabelle Adjani mise en scène par le talentueux Cyril Teste dans une adaptation théâtrale du film bouleversant de John Cassavetes. Avec une affiche aussi prestigieuse, la pièce était forcément très attendue. Un peu trop peut-être. C’est en tout cas le sentiment de Cyril Teste. Sur l'écran géant installé au milieu du décor, comme une immense télévision dans un salon, le metteur en scène affiche d'emblée le dispositif : "Essai n°16 - laboratoire public". La pièce ne sera pas une histoire avec un début un milieu et une fin mais un spectacle en chantier, réinventé chaque soir avec le public.
Une place immense pour l'improvisation
Opening Night nous plonge au coeur de la création d’une pièce de théâtre. Myrtle Gordon (touchante et audacieuse Isabelle Adjani), actrice célèbre et tourmentée par la peur de vieillir, perd pied suite à la mort accidentelle d’une jeune admiratrice. Alors qu’elle répète une nouvelle pièce, elle vacille au point de ne plus pouvoir interpréter son rôle, une comédienne en manque d'amour. On retrouve ici le dispositif cinématographique cher au fondateur du collectif MxM : les acteurs sur scène et en coulisses sont filmés en plan séquence. La vidéo projetée en direct sur grand écran vient augmenter l'espace imaginaire du plateau et raconter le hors-champ. Un procédé qui a fait le succès de ses précédentes créations : Nobody en 2015 et Festen en 2017. Mais cette fois-ci la mise en scène laisse une très grande place à l'improvisation, qu'aimait tant Cassavetes. Une démarche artistique périlleuse mais assumée. Cyril Teste s'en explique au soir de la seizième représentation. Rencontre à Lyon dans les loges du théâtre des Célestins.-Culturebox : En quoi cette pièce est-elle complètement différente de vos précédentes ?
-Cyril Teste : Tout mon travail est basé sur la notion d’architecture. Tout est maitrisé, tout est contrôlé, écrit. On travaille au millimètre et au quart de seconde. Depuis 8 ans on travaille sur la performance filmique et désormais on comprend l'outil et les chemins que l'on emprunte pour écrire.Il arrive un moment qui est terrible c’est le moment où vous commencez à vous labelliser. Le moment où vous allez commencer à produire ce que l’on attend de vous. Cela vous éloigne de ce qui est vivant et petit à petit vous commencez à créer en pensant peut-être un peu trop que vous avez envie de plaire ou d’être là où on vous attend.
Artistes, comédiens ou metteurs en scène, on est de plus en plus exposés. On attend de nous des produits consommables. Et moi j’ai peur, parce que j’aime l’art. Je n'ai que 44 ans, je ne suis encore pas trop vieux et je me dis que si je fais ça c’est fini, dans 5 ans je suis mort.
-Qu’est-ce qui a provoqué ce changement, ce déclic ?
-C’est d’abord la rencontre avec Isabelle. C’est quelqu’un qui ne veut pas approcher le travail autrement qu’en étant kamikaze. C’est une femme qui est totale dans le travail. Il ne s’agissait pas de faire un écrin pour elle. Si vous le faites elle ne brillera pas. Ce dont elle a besoin c’est d’être en recherche, toujours en dehors du cadre. Je pense que c’est sa force.Il y a aussi l’œuvre de Cassavetes. C’est quelqu’un qui s’est toujours affranchi des règles du récit, des règles de l’écriture. Il était totalement libre et mettait à mal toutes les attentes qu’on pouvait avoir d’un film et d’une écriture normés. C’est une autre voie que je suis en train de découvrir là. J’ai de plus en plus envie de me rapprocher des gens de manière plus anarchique, essayer de saisir au vol des émotion. Je ne suis pas habitué à ça.
-Se renouveler chaque soir, cela veut dire quoi concrètement ?
En montant ce spectacle je me suis rendu compte que la création ne se raconte pas. Ça s’expérimente en public. Il y a même des moments où j’y vais, j’interviens dans la pièce, on s’en fout on casse, on reprend. Il faut voir aussi où ça mène. Si j’avais monté Opening Night comme j’avais monté Festen, j’aurais échoué. D’ailleurs c’est ce que j’ai commencé à faire et j’ai compris que je faisais un hors-sujet.
-Quand avez-vous compris que vous faisiez un hors sujet ?
-La veille de la première. Je me suis dit merde, j’ai fait pareil. J’ai fait un beau spectacle, propre. Mais il y a quelque chose qui ne va pas. Ce n’est pas un spectacle que je veux faire, c’est une démarche. Avez Isabelle Adjani, MXM et Cassavetes, on attend de nous l’objet parfait. On ne le fera pas. Parce que ça veut dire qu’on va commencer à écrire en fonction de ce qu’on attend de nous. Et c’est dangereux, surtout avec quelqu’un comme Isabelle. Pour moi Isabelle est une impératrice et une artisane. Elle travaille comme nous. On écrit, on se trompe ou échoue, on recommence, on trouve, on perd. On mise, on perd beaucoup. On gagne. On perd.Ce qu’on veut raconter c’est la grande honnêteté d’un geste artistique. Dire : on a rencontré une œuvre qui nous met à mal dans notre savoir-faire. Et Cassavetes dit : tu ne peux pas faire autrement si tu veux aborder mon travail, met tout en chantier, casse tout, dissout tout. A partir de là peut-être que tu peux trouver quelque chose.
-Culturebox : Vous prenez le risque de perdre une partie du public ?
-Oui. Mais ce n'est pas grave. Ce public là on le retrouvera plus tard. Il faut faire attention, si on fait les choses pour le public ça devient dangereux. On fait les choses pour nous d’abord, parce qu’on veut apprendre à mieux vivre, parce qu’on veut comprendre ce qu’est la vie. Et à partir de là, parce qu’on le fait bien, on touche les gens. J’ai un immense respect pour le public, mais il ne faut pas se tromper dans l’ordre des choses.Opening Night
avec Isabelle Adjani, Frédéric Pierrot et Morgan Lloyd Sicard
mise en scène Cyril Teste
d'après le scénario de John Cassavetes
- Théâtre des Célestins, Lyon, du 26 mars au 3 avril
- Bonlieu Scène Nationale, Annecy, du 6 au 12 avril
- Théâtre National de Nice, du 24 au 27 avril
- Théâtre des Bouffes du Nord, Paris, du 3 au 26 mai
- Théâtre du Gymnase, Marseille, du 3 au 6 juin
- Printemps des comédiens de Montpellier, du 12 au 15 juin.
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