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Avignon 2016 : l'enfance au cœur du "Karamazov" de Jean Bellorini

Prendre la route alors que le soleil rougeoie, parcourir tous ensemble les chemins rocailleux qui débouchent sur la beauté minérale de la Carrière de Boulbon, lieu mythique des grandes sagas du Festival d'Avignon, avec cette curiosité mêlée d'excitation : découvrir ce que le jeune metteur scène, Jean Bellorini, allait faire des Frères Karamazov.
Article rédigé par Sophie Jouve
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
"Karamazov", mise en scène de Jean Bellorini
 (Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon)

Sur la scène c'est un enfant tout seul qui regarde le public s'installer peu à peu en rangs serrés sur les gradins. L'enfant semble fragile. Dans le fond de scène, une datcha ouverte qui abrite un petit orchestre et puis devant elle, deux cabines de verre. L'une est la chambre de l'enfant, l'autre un salon. Déjà l'enfermement…

  (Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon)

Déchirements familiaux

Pour démarrer la pièce un personnage que l'on croit sorti des Deschiens, incarné par Camille de La Guillonnière. C'est la coryphée, incursion d'une figure du théâtre grec dans cette histoire profondément russe, qui sera celle d'une famille et de tous ses déchirements : amoureux, moraux, métaphysiques.
  (Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon)

Le chef du clan, Fiodor Karamazov, est un débauché, deux fois marié et si peu père (Jacques Hadjaje, excellent dans la folie et l'excés). Cet homme sans foi ni loi, s'oppose dans la scène inaugurale à ses trois fils. Dimitri, né d'un premier mariage, est l'homme russe tiraillé entre vice et vertu, amoureux passionné (Jean-Christophe Folly, belle présence, mais il manque un peu de profondeur); Ivan, l'intellectuel tourmenté (Geoffroy Rondeau, un peu trop tourmenté, mais très applaudi dans son impressionnante tirade du Grand Inquisiteur condamnant le retour du Christ) ; Alexeï, tignasse platine et long manteau rouge, le croyant (très belle enterprétation de François Deblock, peut-être un peu trop pur). Il y a aussi le bâtard, Smerdiakov (très bon Marc Plas), écoeuré par sa condition de domestique, assoiffé de vengeance.
Geoffroy Rondeau (Ivan Karamazov) et François Deblock (Alexeï Karamazov)
 (Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon)

Bellorini expose leurs conflits intérieurs, leurs remises en question, mettant en valeur le mysticisme de chacun : "aucune civilisation n'aurait pu exister si on n'avait pas inventé dieu". 

L'inventivité de Bellorini

Le dispositif scénique foisonne de trouvailles, Bellorini joue sur de petits espaces dans lesquels l'homme apparait démuni face à l'immensité de la nature. L'espace de jeu est autant sur le toit de la datcha que sur des modules de décor qui traversent la scène sur des rails, en portant les comédiens dans de trés beaux va-et-vient.
  (Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon)

Et comme toujours chez Bellorini, les comédiens parfois chantent en chœur (magnifique chant russe d'ouverture), parfois tout seuls ("Tombe la neige" d'Adamo ! ) ou jouent d'un instrument comme à la parade. "C'est le chœur qui prend en charge la langue polyphonique de Dostoïevski", s'explique Bellorini. Quand ce n'est pas le pianiste (Michalis Boliakis) qui offre en respiration du Tchaïkovski ou des musiques plus contemporaines.

"Morceaux choisis"

De cet énorme roman de Dostoïevski, le metteur en scéne-scénographe a retenu des extraits, "des morceaux choisis". Et particulièrement, ce qui étonnera les bons connaisseurs du roman, les pages concernant l'enfance.
  (Christophe Raynaud de Lage/Festival d'Avignon)

Ces 5 heures passent sans difficulté, malgré une deuxième partie qui a moins d'ossature. L'inventivité de Bellorini nous ménage des moments d'une grande beauté plastique et parfois de burlesque. On pourra lui reprocher de ne pas mettre l'émotion au cœur des Karamazov, malgré la si belle fin sur la mort de l'enfant, sur la mort de l'enfance, d'où viendra tout de même, Bellorini en est persuadé, "la réinvention du monde… car le livre de Dostoïevski, aussi nihiliste soit-il, est un hymne à l'humanité."

Une équipe de France 3 a rencontré la troupe au Théâtre de Bayonne où elle se produisait début février :

Reportage : E. Clerc / C. Etchegaray / G. Haristoy 

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