Bach réunit la danseuse Kaori Ito et le pianiste Francesco Tristano dans un spectacle-performance : en accès gratuit sur le net
Une rencontre autour de Bach, un peu par hasard, réalisée au théâtre de la Scala à Paris par la danseuse franco-japonaise Kaori Ito et le pianiste Francesco Tristano.
C'est une belle rencontre entre la danseuse franco-japonaise Kaori Ito et le pianiste Francesco Tristano, l’une improvisant sur le jeu de l’autre. Un jeu dédié à Bach mais pas seulement… Et c'est à savourer en streaming sur le site de La Scala jusqu'au 11 avril.
On ne saura pas exactement comment ces deux-là se sont rencontrés. Cela n’a d’ailleurs aucune importance car une vraie complicité est née entre la petite danseuse japonaise (pieds nus, robe rouge à fleurs) et le pianiste luxembourgeois.
Improvisation et complicité
Il y a quelques semaines, dans cette salle si particulière de Paris (ancien music-hall, puis cinéma, puis cinéma porno et désormais dévolue, rénovée, à toutes les musiques), Francesco Tristano avait enregistré les Suites anglaises de Bach (à paraître) C’est en partie sur elles mais aussi sur des passages improvisés et plus contemporains que Kaori Ito a improvisé, elle aussi, sa chorégraphie.
Improvisé ou préparé, ce sont les mystères de la création. Admettons que ce spectacle-là naisse sous nos yeux. Un piano sur scène à jardin, et c’est tout : à cour la danseuse, éclairée plus ou moins, et par des lumières très jaunes qui ressemblent à des servantes, ces lampes qui restent allumées la nuit quand les théâtres dorment (et aujourd’hui, on le sait, les théâtres sont toujours dans la nuit).
Les pleins et les déliés du corps
Quelques notes, au début. Ou pas. Des silences. Une mise en forme. Mouvements d’élongations, jambe gauche tendue, pied gauche tordu, bras droit à l’opposé. Puis changement. Des gestes, presque de mime, qui ramènent du ciel (Ito tête levée) la lune ou un poisson d’or. Ou au contraire une corde qui monte ou descend. Tristano, T-shirt noir, porte des bracelets de force, mais ils sont en éponge…
Bach. La danse peut commencer. Elle dynamise le mouvement. L’espace s’élargit, série de pirouettes, glissades vers le bas, moments de respiration en position fœtale. Et toujours cette incroyable anatomie du pied, des pieds, quasi tordus, dont on compte chaque muscle, chaque nerf. Jambe comme appuyée sur le muscle, en une sorte de grand écart qui s’interrompt, comme si Ito allait accoucher accroupie, devant nous. Les pleins et les déliés du corps. La jupe remontée pour se donner plus d’aisance, presque impudique parfois.
Une danse sur le dos du pianiste
Et Ito (voilà pourquoi ce sentiment de spectacle se faisant devant nous est quand même si fort), dans un moment plus fluide, moins rythmé, cherche alors à trouver un langage différent, sans forcément y parvenir. Moments de fixité perplexe où elle se réfugie sous le piano, comme si elle se disait "Qu’est-ce que tu me fais ?"
Mais justement : jusqu’alors il y avait un pianiste d’un côté, une danseuse de l’autre. Cela crée soudain entre eux une sorte de télépathie (jouée), un dialogue, même quand l’un sort de scène et l’autre pas : "T’es où ?" Il y aura d’autres moments délicieux qui ponctueront la suite de cette (petite) heure : Kaori Ito vient se blottir derrière Tristano, sur le tabouret du piano, comme s’il la portait sur son dos en jouant (on pense à cette vieille femme de La balade de Narayama qui faisait ainsi son dernier voyage dans la neige, recroquevillée sur le dos d’un fils ) et Ito, la seconde fois où elle va derrière lui, caresse ses bracelets, lui fait des petits massages des omoplates du bout des doigts, joint les siens aux doigts de Tristano, imperturbable, contemple avec intensité une partition qui n’existe pas. Instants pleins d’humour où Bach prend tout à coup une tendresse inattendue.
Tous les styles de danse passés en revue
Tristano enchaîne alors les improvisations contemporaines aux extraits de Bach, dont la Gavotte sautillante de la Suite n° 3, moments qu’il joue avec un grand dépouillement, sans la jubilation qu’y met Glenn Gould mais avec le sens de l’énergie légère de cette musique. Ito essaie mille choses : sur un passage plus fluide, des gestes de robot, façon voguing, sur la Gavotte une sorte de chevauchée sautillante et si gracieuse.
Elle est moins bien dans le style jazzy et ils ne réussissent pas vraiment cette fausse fin où il disparaît et où elle essaie d’appeler son fantôme dans l’ombre presque complète, "T’es où" (encore) Mais alors les lampes se rallument, violentes. Elle tourne autour de la scène en poussant de petits cris, tente une danse de cour avec humour, jupe relevée…
Et, sur une très belle improvisation qui monte en nappes puissantes (Tristano composerait sans doute de formidables musiques de films ou de scène, mais y tient-il vraiment ?) Kaori Ito nous fascine une dernière fois avec des mouvements d’oiseaux, des gestes de papillons, mais accrochée au sol, avec ce pied qui lui donne son assise, entre traditions de la danse africaines et européennes. Autre chose encore. Le Japon.
Kaori Ito (danse) et Francesco Tristano (piano), spectacle sur des musiques de Bach, Tristano et improvisations. Enregistré à La Scala, Paris, le 28 mars. En streaming sur le site de La Scala jusqu'au 11 avril
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