"Game of Thrones" : "On a été des millions à être déçus, heureux, à se déchirer, à s'engueuler ..."
Pierre Langlais, spécialiste des séries à "Télérama", qualifie la série "Game of Thrones", dont le dernier épisode vient d'être diffusé, de "grand rendez-vous populaire".
L’épisode final de la série Game of Thrones a été diffusé dans la nuit de dimanche 19 à lundi 20 mai sur HBO. Pierre Langlais, spécialiste des séries à Télérama, salue une "grande œuvre fédératrice", une "hyper série". "J'ai été souvent déçu par Game of Thrones, sauf qu'on a été des millions à être déçus, heureux, partagés, à se déchirer, à s'engueuler voire à s'insulter sur les réseaux sociaux. On était tous ensemble là-dessus, qu'on aime ou qu'on n'aime pas", explique-t-il.
franceinfo : Vous avez vu le dernier épisode. Qu'est-ce que vous en avez pensé ?
Pierre Langlais : Je ne le dirai pas. Parce qu'on a atteint un tel degré de phénomène avec Game of Thrones, que même dire ce qu'on en pense est très mal accueilli. Vous dites à quelqu'un 'j'ai bien aimé' ou 'je n'ai pas aimé', ça peut influencer. Parce que les gens sont tellement à l'écoute, sont tellement concentrés, qu'ils n'ont pas envie qu'on leur gâche leur ressenti. Si vous dites à quelqu'un 'je n'ai pas aimé quelque chose', ils vont avoir un a priori.
Pour les fans c'est vraiment plus qu'une série, il y a aussi ce côté mystique, comment vous l'expliquez ?
Il y a quelque chose qui s'est fait autour de cette série qui s'est vu assez peu dans l'histoire des séries. Il y a quand même eu des séries comme Urgences, Buffy, Lost, ce genre de séries-là qui ont vraiment été les grands rendez-vous pour le public. Disons que ça a été une 'messe' au sens où ça réunit des millions voire des milliards, si on les accumule, de téléspectateurs.
Même ceux qui n'aimaient pas le genre médiéval ?
Moi le premier d'ailleurs, ce n'est pas du tout mon genre. Le Seigneur des anneaux, ça m'a fait presque dormir. Je ne suis pas le seul d'ailleurs et parmi ces gens-là, plein ont aimé cette histoire parce que c'était bien plus, c'était un 'soap' comme on dit. C'est une grande histoire de sentiments, de famille, de trahison, de déchirement comme beaucoup de séries télé mais c'était aussi une série d'actions, c'était une série métaphorique, c'était une série métaphysique, c'est une hyper série avec tout ce qu'il faut dedans. Y compris pas mal de problèmes d'un point de vue scénaristique, il y a plein de gens qui sont déçus. Moi aussi j'ai été souvent déçu par Game of Thrones, sauf qu'on a été des millions à être déçus, heureux, partagés, à se déchirer, à s'engueuler voire à s'insulter sur les réseaux sociaux. On était tous ensemble là-dessus, qu'on aime ou qu'on n'aime pas. Chacun avait son sentiment, mais on a eu l'impression de partager quelque chose d'extraordinaire. Et je crois vraiment que Game of Thrones, c'est la série qui aura réussi à faire ça et qui peut-être illustre un étage supérieur dans la popularité des séries, c'est-à-dire de ce grand rendez-vous populaire.
Est-ce que d'après vous, spécialiste, c'est la plus grande série de l'histoire des séries l'histoire récente ?
Non absolument pas. Par 'plus grande série' on sous-entendrait la meilleure. Mais je pense que même ceux qui adorent Game of Thrones sont capables d'admettre que ce n'est pas au niveau. Alors évidemment on va me dire 'voilà encore la critique, encore un certain regard sur les séries.' Mais contrairement à une série comme Les Sopranos, The Wire, ou Six Feet Under, plus récemment Mad Men ou Breaking Bad, la critique admet que c'est un très grand divertissement, grand public à applaudir avec les deux mains. Mais en revanche, ce n'est pas un chef-d'œuvre, c'est juste un très bon divertissement. D'ailleurs je ne crois pas que les créateurs de la série aient voulu faire un chef d'œuvre, au sens où il y a des séries d'auteur plus pointues, plus techniques, plus exigeantes, plus fines sur les personnages.
En quoi cette série a marqué l'histoire du genre ?
Clairement on sent la fantaisie passer à un niveau de popularité encore supérieur, plus seulement réservé aux geeks. Cette série, qui était diffusée sur cette chaîne américaine HBO, qui est une chaîne payante, qui est assez difficile d'accès, qui est a priori la chaîne des auteurs et donc d'un public plus restreint, a complètement renversé toutes les frontières. Le mur est tombé et on s'est retrouvé à avoir un grand spectacle populaire, qui à la base devait parler à une partie du public et qui est finalement devenu complètement universel et donc a dépassé les propres attentes d'HBO elle-même.
Justement HBO a investi 90 millions de dollars sur la dernière saison. C'est un montant faramineux. On imagine qu'elle a récupéré ses investissements ?
Largement. C'est une série complètement rentable. C'est d'ailleurs pour ça qu'ils l'ont fait durer autant que possible. Il va y avoir ce qu'on appelle un 'spin-off', une série dérivée, une autre histoire qui se passe dans le passé. On va remonter le temps pour aller un petit peu à l'origine de toute cette histoire-là. C'est déjà en production, on sait déjà que Naomi Watts jouera un des rôles principaux.
Est-ce que ça va plaire aux fans ?
C'est quitte ou double, parce que c'est une histoire qui va s'appuyer sur Game of Thrones, évidemment on va l'attendre au tournant. Est-ce que ça va être de la récupération commerciale ou est-ce que ça va être un vrai projet d'un point de vue narratif, d'un point de vue de l'histoire ? On le verra. Ce qui est sûr c'est qu'il est rentable, parce qu'il y a aussi des tee-shirts, des lunettes, des jeux dans tous les sens.
Est ce qu'on trouvera une série de ce genre qui fait la quasi-unanimité ? A l'heure où les séries se multiplient, on a l'impression que tout va paraître un peu fade après ça ?
Alors 'fade', je ne sais pas, parce qu'il y a beaucoup d'œuvres très originales très intéressantes qui apparaissent. En revanche, est-ce qu'on va avoir une grande œuvre fédératrice comme celle-là, on peut se poser la question. D'autant que les chaînes se multiplient, les plateformes se multiplient, le public est de plus en plus divisé. Ceci étant dit, à la fin de Lost on avait dit 'oh là là c'est la fin quelque chose', à la fin de Desperate Housewives, 'oulala c'est la fin de quelque chose'. Si ça se trouve, dans deux ou trois ans, on va en avoir une autre qui va apparaître et qui va créer autre chose. Soyons ouverts d'esprit, peut-être que la prochaine étape sera autre chose qu'on n'aura pas vu venir.
Les acteurs ont un rôle, un personnage collé à vie. Est-ce que c'est facile pour eux de continuer une carrière après ?
Non c'est très compliqué. On sait très bien qu'il y a beaucoup d'acteurs de séries majeures qui ont eu du mal à rebondir derrière. Ceci étant dit, on est là encore à une autre époque, à une époque où les frontières entre Hollywood télé et Hollywood cinéma ont quand même bien chuté. Il n'y a presque plus de frontières. Donc il faut espérer que pour ces acteurs-là, en tout cas les meilleurs d'entre eux, ils aient une belle carrière derrière. Ceci étant dit, rien ne dit qu'ils aient tous envie de jouer dans des blockbusters. Peter Dinklage, qui joue Tyrion Lannister, était déjà un très bon acteur de cinéma avant cette série-là, il y en a d'autres plus jeunes qui ont été révélés. À eux maintenant de faire les bons choix de carrière. Est-ce que c'est une bonne idée comme Emilia Clarke de faire Terminator, d'aller faire des gros shows ? C'est à eux de décider. Ceci étant dit, ça a été un sacré révélateur de talents et il faut espérer qu'ils puissent en profiter.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.