Quatre pièges à éviter pour les nouveaux auteurs d'Astérix
Les reprises de séries aussi populaires, mais aussi codifiées que Lucky Luke et Blake et Mortimer, laissent deviner l'ampleur de la tâche de Jean-Yves Ferri et Didier Conrad.
Jeudi 24 octobre, deux millions d'albums d'Astérix vont débarquer dans les librairies francophones. L'éditeur, Albert-René, espère épuiser le stock en deux semaines. Des traductions en scots et en gaélique sont prévues. La sortie d'Astérix chez les Pictes constitue l'évènement littéraire de l'année et le secret le plus total règne sur l'album. Pratiquement aucun journaliste n'a pu le lire et les cases ne fuitent qu'au compte-goutte. Après plusieurs albums du petit Gaulois éreintés aussi bien par la critique que par le lecteur, l'heure est à la relance. Et pourtant, les embûches ne manquent pas.
Dans l'univers de la série tu t'inscriras
Le piège. "Il ne faut pas que le lecteur se sente déboussolé, en se demandant 'qu'ont-ils fait avec Astérix ?'", reconnaît le scénariste, Jean-Yves Ferri, dans Sud Ouest. Pour l'occasion, Astérix renoue avec l'album de voyage, qui représentait un album sur deux période Goscinny-Uderzo, mais seulement un quart des productions du seul Uderzo.
Le ciel ne leur est pas tombé sur la tête. Comment plaire aux aficionados, a priori hostiles à toute dénaturation de leurs héros ? Faire comme les repreneurs de la série Blake et Mortimer, qui ont signé en 1996 l'album le plus apprécié des fans purs et durs d'Edgar P. Jacobs, L'affaire Francis Blake. Pour éviter tout procès en légitimité, tous les ingrédients évoqués furtivement par Jacobs sont mis en scène avec insistance dans l'album : l'appartement que les deux héros partagent à Park Lane, le Centaur Club où ils se remettent de leurs émotions de la journée (avec un single malt pour Mortimer et un cherry pour Blake). Toujours dans L'Affaire Francis Blake, on découvre que ce dernier, maître ès-contre-espionnage qui ne met pratiquement jamais les pieds au MI6, a une hiérarchie, un bureau, des missions. De la même façon, dans La machination Voronov, l'album qui suivra, on redécouvrira un Philip Mortimer, physicien de profession, en blouse blanche et penché sur ses calculs, ce qui ne lui était pas arrivé depuis quarante-cinq ans et Le secret de l'Espadon. De là à ce qu'Obélix reprenne de façon intensive la livraison de menhirs, il n'y a qu'un pas.
Aux ayants droit tu obéiras
Le piège. Albert Uderzo, 86 ans, a donné une grande liberté au scénariste de l'album Jean-Yves Ferri, mais a demandé de nombreuses retouches sur les dessins d'un Didier Conrad appelé en catastrophe après le burn-out de l'héritier désigné d'Uderzo, Frédéric Mébarki (parti à l'étranger, "loin de tout"). D'où des ajustements sur la petite lueur dans l'œil d'Astérix ou le nombre de rayures du costume d'Obélix.
Le ciel leur est tombé sur la tête. D'un ajustement à une contrainte, il n'y a parfois pas grand-chose. Laurent Gerra et Achdé, les repreneurs de Lucky Luke, auraient voulu que le cow-boy qui tire plus vite que son ombre renoue avec le tabac, arrêté en 1984, et le whisky, progressivement remplacé par du Coca-Cola pour ne pas influencer les têtes blondes. Veto des ayants droit de Morris, le créateur de la série : "Ce n'est pas de la censure, se défend Philippe Ostermann, directeur délégué des éditions Dargaud, dans Le Parisien. Mais il y a un personnage qui a été créé par Morris qui ne nous appartient pas. C'est une légende, il est largement plus grand que nous. La seule chose qu'on doive s'interdire, justement, c'est d'amener Lucky Luke là où Morris ne l'avait pas amené." Pourtant, La Belle Province, premier album sans Morris, est bourré de calembours, ce que l'auteur détestait par dessus-tout.
Du carcan scénaristique tu sortiras
Le piège. Albert Uderzo a demandé à Jean-Yves Ferri de retrouver la mécanique des scénarios de Goscinny des années 1970. "Astérix est une forme de bande dessinée dotée d'un déroulé et d'un tempo qui n'existent plus, explique-t-il au Monde (article abonnés). Cela n'a plus rien à voir avec ce qui se fait désormais. Les codes ont évolué."
Le ciel leur est tombé sur la tête. Une contrainte encore plus grande attendait les repreneurs de Blake et Mortimer. Leur "bible graphique" : l'album La marque jaune. Leur contrainte scénaristique : rester dans les années 50, l'époque de La marque jaune, explique Yves Sente, scénariste, sur le site officiel de la série. Ce qui a pour conséquence de briser la logique chronologique des albums – le dernier album dessiné par Jacobs se déroule dans le Japon des années 1980 – mais aussi de figer la série. Voire de "sécuriser le lecteur, l’installer dans un petit confort bourgeois, rigide et pantouflard où toute surprise est programmée, où le clin d’œil fait sa loi, et où l’émerveillement pur et simple de la magie jacobsienne a laissé sa place aux charentaises destructrices", fustige le blog L'œil privé, auteur d'une analyse bluffante de L'affaire Francis Blake.
Le lecteur nostalgique tu n'écouteras pas
Le piège. La mécanique des albums d'Astérix répond à toute une série de passages obligés dont les auteurs ne peuvent se détourner, sous peine de subir les foudres des lecteurs.
Le ciel lui est tombé sur la tête. Dans Le fils d'Astérix, le traditionnel banquet de clôture sous les étoiles a lieu dans la galère de Cléopâtre, le village gaulois ayant brûlé dans un incendie. Patatras ! Uderzo reçoit un tombereau de critiques. Depuis, plus jamais Astérix et Obélix n'ont manqué de conclure une aventure en dévorant des sangliers autour d'un grand feu, avec Assurancetourix attaché à un arbre. Uderzo le reconnaissait dans une interview à Livres Hebdo, en 2007 : "Le plus dur, c'est de réussir à faire du neuf avec les gimmicks de la série que les lecteurs nous demandent." Bon courage aux nouveaux auteurs.
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