Le monastère de la Visitation au cœur d'une bataille entre le diocèse de Paris et des défenseurs du patrimoine
L'endroit est immense et décrépit, au cœur de Paris : le monastère de la Visitation, dont certains bâtiments doivent être détruits pour être remplacés par un pôle de solidarité, oppose ceux qui veulent en faire un "lieu de charité" à ceux qui dénoncent un "gâchis" patrimonial.
Niché entre les très chics rues du Cherche-Midi et de Vaugirard, l'hôtel de Clermont-Tonnerre, construit au XVIIIe siècle autour de 4 000 m2 de jardins, végète depuis que les sœurs visitandines ont quitté le monastère en 2012.
Un permis de construire accordé en 2019
"Elles auraient pu le vendre très cher à un promoteur, elles ont préféré le donner au diocèse de Paris à condition de ne pas le revendre et d'en faire un lieu de charité", explique Jean Chausse, l'économe du diocèse. L'Eglise compte installer sur le site une colocation solidaire pour 90 personnes.
Cela suppose de rénover l'ancien hôtel de Clermont-Tonnerre pour y loger sans-abris et femmes en grande fragilité. Mais aussi de construire un second bâtiment, adapté aux personnes en situation de handicap côté Cherche-Midi et un immeuble de rapport de sept étages côté Vaugirard, ainsi que deux autres bâtiments.
Le projet, pour lequel un permis de construire a été accordé par la ville de Paris en 2019, est évalué à 50 millions d'euros. Il entraînera l'arrachage de plusieurs arbres et la destruction de certains bâtiments annexes : un clapier, de petits oratoires très dégradés, et une ancienne "vacherie" en brique construite en partie sur une ancienne chapelle, et aujourd'hui réaménagée en bureaux fonctionnels.
Cela fait bondir les défenseurs du patrimoine : "C'est une opportunité majeure qui va disparaître", estime Julien Lacaze de l'association Sites et monuments, qui déplore qu'aucun des bâtiments du site ne soit classé monument historique. Défendant "un patrimoine passionnant" mentionné par Emile Zola dans L'Oeuvre, il s'inquiète de la "grande brutalité" architecturale du futur bâti et défend "l'une des dernières opportunités de faire un jardin public à Paris".
Le projet comporte un volet patrimonial, disent ses défenseurs
Sept associations (dont Sites et monuments) ont donc demandé début décembre le placement sous instance de classement et l'expropriation du jardin et de la ferme urbaine. "Idéalement on aimerait en faire une ferme pédagogique avec une vache, un potager. On reste fidèles à l'esprit des sœurs qui étaient écologiques avant l'heure", assure Julien Lacaze. L'argent de l'expropriation permettrait au diocèse "de mener le projet ailleurs".
"Il est un peu choquant qu'on dise les pauvres, c'est bien, mais pas au cœur de la ville", rétorque Jean Chausse, agacé des arguments des opposants. La tradition de ferme urbaine ? "C'est tiré par les cheveux, il n'y a plus d'animaux dans le parc depuis 70 ans." Le jardin ? Aujourd'hui fermé au public, il sera en partie "ouvert en journée, avec une aire de jeu", conservera ses 4 000 m2, tandis que le sol gorgé de plomb sera dépollué et plusieurs arbres replantés.
Le projet architectural en lui-même "comporte un volet patrimonial", insiste-t-il, avec une rénovation intégrale de l'hôtel particulier, chapelle, dallages et caves comprises. Quant à l'immeuble de rapport, il relève de la "saine gestion" en produisant 600.000 euros brut de loyers par an : "On ne sait pas quelle sera la situation financière de l'Eglise d'ici 30 ans", soupire l'économe du diocèse.
L'affaire dure depuis des années. L'élue EELV à la mairie du 6e arrondissement Antoinette Kis a dénoncé en 2022 "un échec patrimonial et écologique". Gérard Depardieu, propriétaire de l'hôtel particulier voisin, a un temps soutenu la fronde. Le Conseil d'Etat lui-même s'est prononcé en 2021. Jusqu'ici, les opposants ont toujours été déboutés, si bien que le diocèse espère lancer les travaux fin 2024.
Les associations, pourtant, ne désarment pas. Ayant obtenu une visite de la Drac (Direction régionale des affaires culturelles) fin décembre, elles en appellent désormais à la ministre de la Culture Rachida Dati. "C'est un dossier test, qui va montrer sa préoccupation et son courage dans le domaine patrimonial (...) sachant qu'elle veut être maire de Paris", assure Julien Lacaze.
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