Cité internationale de la langue française : comment le château de Villers-Cotterêts est devenu "l'adresse" du français

La Cité internationale de la langue française, projet culturel unique au monde pour l'heure, est le résultat d'une volonté politique du chef de l'Etat. Il s'agit aussi d'un titanesque chantier de restauration du château de Villers-Cotterêts, vestige français de la Renaissance.
Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Le logo de la Cité internationale de la langue française, abritée au château de Villers-Cotterêts et qui sera inauguré le 19 octobre 2023. (CMN)

Le château de Villers-Cotterêts (Aisne) fait office de "maison" où la langue française se "pose" mais "pas pour y rester", explique à franceinfo Culture Paul Rondin, le directeur de la Cité internationale de la langue française. Ce lieu est une promesse du candidat Emmanuel Macron, alors à la conquête du fauteuil présidentiel en 2017. Le projet culturel, qui a suscité la controverse, se concrétise enfin sous son second mandat.

La Cité sera inaugurée le 30 octobre. Plus de 211 millions d'euros (budget prévisionnel) ont été consacrés à cette initiative du Président. "De la République, je le rappelle toujours accessoirement", complète Paul Rondin qui se réjouit d'être au service d'un projet qui prouve "que la République (est) en mesure, encore aujourd'hui (...) de réinventer sans arrêt la politique publique de la Culture. Le choix de ce territoire, c'est aussi cela."

"La Cité internationale de la langue française contribuera à l’attractivité du pays du Valois, terre littéraire qui a vu naître Alexandre Dumas (Villers-Cotterêts), Jean Racine (Ferté-Milon), Jean de la Fontaine (Château-Thierry) ou encore Paul Claudel (Villeneuve-sur-Fère)", soulignait en janvier 2023 le communiqué annonçant la nomination de Paul Rondin. C'est dans ce château de l'Aisne que François Ier prit l'ordonnance de 1539 qui fit du français la langue officielle pour tous les actes administratifs du royaume. La renaissance de Villers-Cotterêts est à la fois le fruit d'une volonté politique, d'une exceptionnelle entreprise de restauration, de la symbolique linguistique attachée au château de François Ier et de l'implication des habitants d'un territoire.

L'engagement d'un candidat, le marqueur d'une présidence

"Et le beau château abandonné de François Ier aura une vocation dans la francophonie française. Je veux ici m’engager à ce que nous portions ce projet, cher Jean-Jacques (Aillagon), porté quand tu étais ministre de la Culture, commencé à ce moment, qui est de redonner à ce château ce que son histoire porte en elle. De le rouvrir, mais de le rouvrir en lui faisant aussi porter ce qui est sa vocation : la langue française dans tout ce qu’elle emporte", affirmait Emmanuel Macron le 17 mars 2017 à Reims lors de sa première campagne présidentielle.

Comme le chef de l'Etat le souligne déjà à l'époque, Villers-Cotterêts est un dossier qui traîne dans les tiroirs. L'animateur Stéphane Bern revenait, alors qu'il préparait une émission consacrée à la Cité, sur la façon dont il avait attiré l'attention d'Emmanuel Macron sur ce château en ruines. "En 2017, j'ai réalisé ici un Secrets d'histoire et j'ai découvert à cette occasion l'état de délabrement avancé (du château) et j'ai alerté l'opinion (...). Il se trouve que j'ai discuté patrimoine avec le futur président de la République et je lui ai dit : 'S'il y a vraiment un endroit à sauver, c'est bien le château de Villers-Cotterêts'. Et je crois qu'il est venu pendant sa campagne. Il allait ensuite à Reims, me semble-t-il. C'était le chemin royal par excellence (...) et je crois qu'il a pris conscience de l'importance de sauvegarder ce patrimoine", confiait-il à L'Ardennais. Presque "tous les élus du territoire", à l'instar de "Jacques Krabal qui était député à l'époque et qui a beaucoup milité pour sauver" le lieu, "tous les amoureux du patrimoine et effectivement Stéphane Bern, qui en est aujourd'hui l'incarnation, se sont préoccupés du sauvetage du château de Villers-Cotterêts tant son état était alarmant", précise à fanceinfo Culture Xavier Bailly, directeur délégué de la Cité internationale de la langue française. 

En 2018, Emmanuel Macron effectue une autre visite, surprise cette fois-ci, pour conforter sa décision. "Je n'étais pas venu pour faire une annonce. J'étais venu pour vraiment être sûr de la décision. Là, je suis sûr", déclare-t-il au micro de France 3 Hauts-de-France. Le projet est officiellement confié cette année-là au Centre des monuments nationaux (CMN). Le colossal chantier de la restauration est lancé en 2020. Outre ces visites, "il nous a aussi honorés de sa présence pendant le déroulement du chantier, indique Xavier Bailly. "C'est un projet qui lui tient à cœur". Emmanuel Macron s'est inscrit dans une vieille tradition qui a toujours fait du français "une affaire d'Etat".

Une "grande aventure" patrimoniale

Cette nouvelle affaire a mobilisé sur son chantier "600 compagnons de 220 entreprises pour 65 corps de métiers". Xavier Bailly, auparavant administrateur du château, décrit "(une) grande aventure de transformation (du château en Cité) au travers d'une restauration exceptionnelle, celle qui a consisté à sauver un château dont l'histoire est assez rocambolesque".

La topographie de Villers-Cotterêts, "c'est celle qu'a voulue François Ier", lance Xavier Bailly. "Nous sommes à l'aube des années 1530. Il revient de captivité après la défaite de Pavie (1525). Il abandonne le Val de Loire et recentre un peu ses résidences autour de Paris. Il s'intéresse donc à Villers-Cotterêts parce qu'elle a un atout majeur : la forêt de Retz." Elle n'a "pas d'équivalent : ce n'est pas Rambouillet, ce n’est pas Chantilly, ce n'est pas Compiègne". Cette forêt forme "un croissant qui ceinture toute la ville et qui a une porte d'entrée, le vieux château médiéval que François Ier fait reconstruire totalement pour ses usages. Quand on rentre dans le Logis royal, on emprunte le passage qui était celui de l'entrée dans le château médiéval avec son pont-levis que les archéologues ont retrouvé".

Villers-Cotterêts est "l'un des grands châteaux de la Renaissance, un peu oublié par le grand public, poursuit Xavier Bailly. Pour autant, il n'y a pas un manuel d'histoire de l'art qui ne (le) cite comme étant l'un des jalons de l'histoire de l'architecture Renaissance en France". Le site abrite également trois bijoux de la Renaissance. "L'escalier du Roi, par lequel le visiteur (entrera) dans le parcours (permanent dédié au français). Celui-ci pourra ainsi visiter la chapelle de François Ier "qui est le deuxième grand chef-d'œuvre et descendre à la fin de ce parcours de visite, qui se situe au premier étage, par l'escalier de la Reine". Pour Xavier Bailly, Villers-Cotterêts et ses trésors ont été "(sauvés) à la faveur d'un projet culturel d'envergure qui n'a pas d'équivalent dans le monde". "La légitimité de ce projet, c'est l'ordonnance de Villers-Cotterêts. La boucle est bouclée."

Un lien séculaire avec langue française

"Un prétexte magnifique" que "cette fameuse ordonnance de 1539" pour installer la Cité de la langue française à Villers-Cotterêts, confirme Paul Rondin, son directeur. Le document   "(n'éradique) pas les langues régionales" mais instaure "une langue commune pour la justice, l'administration, pour (que le citoyen soit) entendu, écouté (et) reconnu". Le document original signé par François Ier a été déposé au château le 9 octobre 2023. Pendant quelques mois, les visiteurs du parcours permanent le verront, avant qu'il ne regagne les Archives nationales dont il a été extrait.

En 2017, l'analyse des effets de l'ordonnance de Villers-Cotterêts par le candidat Emmanuel Macron avait d'ailleurs fait polémique. Des historiens étaient montés au créneau pour préciser la portée réelle du document, qui a surtout mis fin au règne du latin dans la rédaction des documents officiels dans le royaume de France.

Une langue alors "enfermée chez les seuls qui en (avaient) la maîtrise, en l'occurrence le clergé et les cours", rappelle Paul Rondin. François Ier met ainsi en place "un tronc commun" alors même que "pas loin de 90% des Français ne parlent pas le français". L'installation de cette cité à Villers-Cotterêts apparaît comme une évidence. En 1539, analyse Paul Rondin, "il y a les fondements de quelque chose qui a à voir avec la nation et la République (...) C'est exactement le bon endroit."

Un territoire mobilisé autour du château et de son avenir

La restauration du château a été un projet fédérateur. "Les habitants de Villers-Cotterêts ou des environs éprouvaient déjà de l'amour pour leur château. Ils étaient déjà inquiets de savoir ce qui allait s'y passer, comment on allait le sauver, s'il allait être sauvé un jour. Quand je prends mes fonctions, ici, en 2019 (en tant qu'administrateur du château), le chantier n'est pas encore commencé (...). C'est l'administrateur du Mont-Saint-Michel qui arrive à Villers-Cotterêts, un peu comme pour dire 'oui, c'est le plus gros projet et il va prendre corps'".

La naissance de la Cité internationale de la langue française a été pensée comme une aventure participative. La centaine d'actions pour informer les populations locales a réuni "20 000 participants", "10 000 visiteurs" ont pris part aux "journées découverte dans le cadre de la Semaine de la langue française et de la francophonie" en mars 2022. De même, "12 journées portes ouvertes" ont été organisées.

Paul Rodin se remémore une récente rencontre, "ouverte aux habitants". "On ne savait plus où mettre les gens (dans la maison dédiée au projet). C'était très bienveillant, dans l'attente d'en savoir plus, de venir visiter... Nous avons organisé beaucoup de rencontres, que ce soit avec des acteurs économiques ou politiques du territoire ou avec monsieur et madame tout le monde, une expression que je n'aime pas beaucoup. On sent une vraie excitation (...). Nous sommes au début d'une aventure, collectivement".

Le "ciel lexical" au-dessus de la cour du Jeu de Paume en est la matérialisation. Les visiteurs le découvriront dans le Logis royal, après avoir traversé une cour ouverte à tous de 10 heures à 18 heures et les soirs de spectacle. Les mots qui le composent ont été choisis "par les habitants de Villers-Cotterêts avec les scolaires que nous avons rencontrés", indique Xavier Bailly qui a trouvé une jolie formule pour évoquer la Cité. "La langue française a désormais une adresse, elle est à Villers-Cotterêts". Le château accueillera en 2024 le sommet de la Francophonie qui réunira les dirigeants des pays ayant en partage le français.

Le "ciel lexical" de la Cité internationale de la langue française, abritée par le château de Villers-Cotterêts (Aisne), le 9 octobre 2023. (FG/FRANCEINFO)

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