Chez Tourgueniev à Bougival, et Raymond Devos près de Paris, à la découverte du label "Maisons des Illustres"

Ce macaron rouge décore la façade de maisons-musées dédiées à la vie et à l'œuvre de personnalités ayant marqué l’histoire du pays. Reportage à la découverte de deux d'entre elles, la Datcha Tourgueniev et la Maison-musée Raymond Devos.
Article rédigé par Juliette Pommier
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 6 min
Au premier étage de la Datcha, Ivan Tourgueniev avait installé son bureau et sa bibliothèque, où il aimait se retirer pour écrire. (Juliette Pommier)

La propriété leur a tout de suite plu. Des arbres à perte de vue, une belle demeure néoclassique des années 1830 et un terrain assez vaste pour y bâtir une deuxième maison. À l’été 1874, l’affaire est conclue : l’écrivain russe Ivan Tourgueniev et le couple Viardot, Pauline est une célèbre cantatrice, Louis critique d’art et traducteur, acquièrent le domaine des Frênes, à Bougival (Yvelines).

Quelques mois plus tard, l’auteur de Premier amour pose ses valises dans la Datcha : un chalet aux murs blancs et roses qu’il a fait construire en surplomb de la villa des Viardot. Les trois amis, inséparables depuis leur rencontre à Saint-Pétersbourg, trente ans auparavant, sont déjà voisins rue de Douai, à Paris. Dans cette banlieue tranquille, ils partagent leurs quartiers d’été, jusqu’à la mort de Tourgueniev en 1883. On raconte que depuis sa fenêtre, le romancier peut observer à loisir celle de Pauline…

Redonner vie aux Illustres

Aujourd’hui reconvertie en maison-musée, la Datcha reçoit plusieurs centaines de visiteurs par an. En janvier 2023, le site a obtenu le label Maison des Illustres. Un macaron rouge créé en 2011 par le ministre de la Culture d’alors, Frédéric Mitterrand, pour mettre en avant des lieux préservant la mémoire d’hommes et femmes s’étant illustrés dans l’histoire politique, scientifique, sociale et culturelle française.

Entre 1874 et 1883, le romancier Tourgueniev passe ses étés dans la Datcha qu'il a fait construire à Bougival (Yvelines), juste à côté de la villa des Viardot, ses amis intimes. (Juliette Pommier)

“C’est une récompense pour le travail accompli par les bénévoles depuis l’ouverture du musée en 1983, se réjouit Christine Dezaunay, vice-présidente de l’association des Amis d'Ivan Tourgueniev, Pauline Viardot et Maria Malibran (sœur de Pauline, NDLR), en charge de la maison Tourgueniev. Ce label montre que la Datcha est un lieu riche, où les visiteurs vont découvrir et apprendre à connaître une grande figure littéraire.”

Au premier étage, la chambre et le bureau de l’écrivain ont été conservés à l'identique. "On peut vraiment l'imaginer lire et écrire dans sa bibliothèque, contempler le parc alentour sur le balcon de chambre." Discret clin d'œil aux Mémoires d'un chasseur (1847-1874), les vitraux de la porte d'entrée illustrent des scènes du recueil de nouvelles le plus connu de l'auteur, qu'il a achevé à Bougival. “Ici, Tourgueniev vivait comme à la campagne. Il appelait ce chalet l’autre nid, en référence à son premier nid, la maison familiale de ses ancêtres à Spasskoié, en Russie”, poursuit la responsable.

Plus de 250 maisons labellisées

Comme la Datcha, plus de 250 bâtisses réparties sur tout le territoire, et certaines à l'étranger, détiennent le précieux label. Un atout non négligeable pour mettre en avant un patrimoine parfois peu connu du public. “L’attribution du label représente une reconnaissance officielle de l’intérêt patrimonial du lieu”, avance Monica Preti, historienne de l’art et auteure d’un article intitulé Maisons-musées. La patrimonialisation des demeures des illustres, dans la revue Culture & Musées.

Sur la porte d'entrée de la Datcha, les vitraux illustrent des scènes tirées des "Mémoires d'un chasseur". Un recueil de nouvelles que le romancier russe Ivan Tourgueniev a achevé dans cette demeure, à Bougival, en 1874. (Juliette Pommier)

Les maisons labellisées n’obtiennent pas directement de subventions mais elles peuvent solliciter l’expertise et des conseils des services de la Drac (Direction régionale des Affaires Culturelles) pour la conservation et la restauration de leurs collections, la médiation culturelle et l’accueil des différents publics… "Plusieurs collectivités territoriales ont pris conscience de la valeur de ce label aux yeux des visiteurs, explique le ministère de la Culture. C'est un vrai atout pour le développement touristique d'un territoire."

Depuis 2019, des événements et rencontres intermuséales sont organisés par le club des Illustres, chargé d'animer le réseau. "Le club est un relais supplémentaire sur lequel s'appuyer pour gagner en visibilité", présente Jean-François Bourasseau, cofondateur de l'association et secrétaire général du musée national Clemenceau de Lattre (Mouilleron-en-Pareds).

Du salon au grenier, des lieux truffés de références

Pour obtenir le label, les maisons doivent remplir plusieurs critères. Le lieu doit notamment avoir préservé des traces tangibles du passage de l’Illustre qui a habité la demeure, être ouvert au public au moins 40 jours par an et ne pas poursuivre un but essentiellement commercial.

Dans la maison-musée Raymond Devos, la loge de l'humoriste a été recrée à l'identique : maquillage, boîte à nez de clowns et dédicaces de proches et admirateurs trônent sur le meuble. (Fondation Raymond Devos)

À Saint-Rémy-lès-Chevreuse (Yvelines), en banlieue parisienne, Raymond Devos avait prévu de faire de sa maison un musée bien avant sa mort, en 2006. Une manière, pour l’humoriste, de continuer à partager son œuvre même dans “l’après-lui”, selon ses mots. Ouverte au public depuis 2016, la maison labellisée illustre a été presque entièrement réaménagée pour mieux mettre en lumière l’héritage du comédien.

“L'intérieur a été repeint dans deux couleurs principales : le rouge et le noir. Plutôt courant pour un homme de théâtre, souligne Jean-Philippe Bruttmann, administrateur général de la Maison-musée Raymond Devos. On retrouve aussi du blanc, en référence au cirque, qui était un élément essentiel de son univers.” Du salon au grenier, la bâtisse est truffée de références au cirque : ici un portrait du clown Grock avec lequel Devos s’était lié d’amitié, là une panoplie de nez rouges déposés dans une réplique de la loge de l’artiste.

A l'image du reste de la maison-musée, la salle des récompenses est peinte en rouge et noir, deux couleurs symboliques pour l'homme de théâtre qu'était Raymond Devos. (Juliette Pommier)

À chaque demeure sa muséographie

Un escalier plus haut, une pièce entière est dédiée aux instruments de musique de Devos (il en maîtrisait pas moins de dix-sept) : mandoline, scie musicale, concertina côtoient les “instruments trafiqués” par l'humoriste pour ses spectacles, tels que la clarinette molle (montée sur un tuyau d’arrosage) et le trombone à tout faire (agrémenté d’un moulinet de canne à pêche). “Raymond Devos n’hésitait pas à prendre six mois de cours pour maîtriser un son”, relate Jean-Philippe Bruttmann.

Clou du spectacle, le grenier de l'illustre : du sol au plafond la pièce regorge de castagnettes, jouets, masques, livres, cassettes, malles, bric-à-brac en tout genre. Autant d'objets "achetés, possédés et utilisés" par Raymond Devos pour nourrir ses sketchs. "Il passait tellement de temps dans cette pièce, il ne prenait même pas la peine de descendre un étage pour se reposer, et faisait la sieste sur le petit lit qu'il avait fait monter", rapporte le chargé de patrimoine.

Au dernier étage de la maison-musée Raymond Devos, le comédien avait rassemblé quantité d'objets en tous genres pour élaborer ses spectacles. (Fondation Raymond Devos)

“Ces maisons-musées prennent une valeur symbolique après avoir été habitées par un personnage reconnu comme digne et dont la mémoire mérite d’être transmise aux générations futures, analyse l’historienne Monica Preti. Elles reproduisent non seulement des espaces de vie et de travail, mais aussi et surtout une atmosphère suggestive qui éveille chez les visiteurs des émotions, lui permettant d’entrer dans la sphère intime du lieu et de ses habitants.”

En 2021, châteaux, villas et ateliers d'Illustres ont attiré près de 2,5 millions de visiteurs, selon le ministère de la Culture. "Depuis 2017, le Guide des Maisons des Illustres recense toutes les bâtisses labellisées, note Jean-François Bourasseau, co-fondateur du club des Illustres. De quoi faire un vrai tour de France des Illustres !"

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