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Zénith, Seine Musicale, Cirque Phénix : les grandes salles parviennent-elles à s'adapter aux nouvelles jauges ?

Nous avons enquêté auprès des directeurs de grandes salles parisiennes, déstabilisés depuis les nouvelles annonces concernant le spectacle vivant. Certaines salles ne pouvant pas respecter les jauges se résignent à reporter et parfois à annuler des représentations. 

Article rédigé par franceinfo Culture - Nisrine Manai
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
La salle parisienne du Zénith, vidée de son public. (NICKO GUILHAL)

"Ça nous est tombé sur la tête comme une épée de damoclès". Déjà une semaine qu’Alain Pacherie, directeur du Cirque Phénix (Paris 12e), se limite à remplir 2 000 sièges dans le plus grand chapiteau du monde. Comme lui, plusieurs directeurs de salles de spectacles parisiennes ont dû s’adapter au retour des jauges annoncées par Jean Castex lors de la conférence de presse du 27 décembre. "Les concerts debout seront interdits" et " la consommation de boissons et d'aliments sera interdite dans tous les cinémas, théâtres", avait ajouté le Premier ministre.

Des mesures inattendues qui forcent certaines salles à reporter voire à annuler certains spectacles pour des questions d’organisation et de rentabilité. Parmi elles, le Zénith, la Seine musicale et le Cirque Phénix. Les directeurs nous racontent.

Le Zénith

Jamais deux sans trois. Programmé au Zénith de Paris pour mars 2020, le concert de Bon Entendeur avait été reporté au mois de septembre, puis en avril 2021 pour finalement être de nouveau repoussé au mois de janvier 2022. "Et maintenant, il est reporté en avril ou mai 2022", s’exaspère Lily Fisher, directrice de la célèbre salle parisienne. Depuis les annonces du gouvernement, le Zénith a déjà reporté une dizaine de spectacles.

 Pour cette grande salle de plus de 6 800 places, maintenir les concerts avec une jauge de 2 000 personnes est une option qui a vite été mise de côté. “Le problème, c’est que quand nous ouvrons la billetterie pour un spectacle, il est mis en vente pour une certaine jauge. Par exemple, Bon Entendeur était mis en vente en jauge complète”, raconte Lily Fisher. "Cela voudrait dire qu’il faudrait sélectionner une partie des détenteurs de billets pour pouvoir faire le spectacle. Sans parler de sa rentabilité", lâche la directrice.

En cas de report, les spectateurs auront la possibilité de se faire rembourser ou de conserver leur billet pour la nouvelle date. Néanmoins pour le Zénith, un billet conservé ne garantit pas forcément la venue du spectateur. "Lorsque les spectacles ont lieu, on se rend compte qu’on a beaucoup de 'no show'. Et plus il y a de reports, plus ils sont nombreux", relate Lily Fisher. "Et à chaque fois qu’il y a des annonces du gouvernement, les ventes s’arrêtent et les gens attendent de voir ce que ça donne avant de revenir", remarque-t-elle.

Malgré une réorganisation de la programmation, la machine doit continuer de tourner. "On a quand même une équipe qui continue de travailler parce qu'il y a des dates à reprogrammer, des contrats à modifier, des avenants à faire. On a aussi beaucoup de frais d’entretien. Il faut par exemple continuer à chauffer la salle sinon elle s'abîme. C'est beaucoup de travail. Et forcément, c’est énormément de pertes, surtout pour une salle comme le Zénith", confie sa directrice. Des pertes conséquentes pour cette salle qui n’a pu organiser que 20 représentations en deux ans contre 150 par an habituellement.

La Seine Musicale

Du côté de la Seine Musicale (Boulogne-Billancourt), la salle maintient ses spectacles avec moins de 2 000 spectateurs. Moins de chance pour les spectacles organisés sur la Grande Seine qui compte de 4 000 à 6 800 places assises. "Au mois de janvier, on avait prévu d'accueillir ‘Roméo et Juliette’ chorégraphié par Benjamin Millepied, une création mondiale qu’on a déjà reporté quatre fois. Malheureusement, il était impossible de maintenir la représentation en dessous de 2 000 personnes. On aurait perdu de l’argent. Nous avons donc décidé de le reporter au mois de septembre", regrette Olivier Haber, directeur général de la Seine Musicale.

"Mais c’est important de savoir que quand on reporte un spectacle, on ne règle pas un sujet économique. En réalité, le report prend la place d’autres spectacles" clarifie Haber, qui a dirigé le Crazy Horse avant de prendre les rênes de la Seine Musicale.

Comme Lily Fischer, Olivier Haber estime que ces restrictions ont un impact sur le public. "Ça ne donne pas envie aux gens de retourner dans les salles de spectacles. On mesure quotidiennement l’impact sur la billetterie. On vend moins bien. Et cela, même sur les spectacles à 1 100 places. En réalité, on est très en recul sur nos objectifs et on n'est pas très optimiste pour la suite."

Le Cirque Phénix

Pour Alain Pacherie, l’instauration d’une jauge a eu l’effet d’une bombe sous le chapiteau du Cirque Phénix. "Quand on a appris qu’il y avait des jauges on a paniqué parce que nous avions prévu des séances à 5 500 personnes", se remémore-t-il. Mais contrairement à d’autres directeurs de salles, Alain Pacherie est propriétaire de l’établissement qu’il dirige. Un avantage de taille dans ce genre de situation : "En étant propriétaire, on avait la possibilité d'ajouter des séances. Alors on a décidé de fractionner les séances pleines"

Une décision que l’administration du cirque a prise en urgence. "Jean Castex a parlé à 18 heures, le lendemain à 11 heures on proposait cette solution à nos clients. Au lieu de baisser les bras, on a décidé de se battre", raconte le directeur.

Au Cirque Phénix, les équipes sont payées à la séance. En fractionnant les séances, les cachets se décuplent alors qu'à l'inverse, les billets ne s'écoulent plus. "Depuis les annonces du premier ministre, on ne vend plus rien. Ça a complètement bloqué la dynamique. Dans les saisons habituelles, entre le 3 janvier et le 16, on fait entre 200 et 300 000 euros de chiffres d’affaires. En 5 jours j’ai fait 10 000 euros, donc on est loin du compte !" témoigne Alain Pacherie. "On a aussi fermé les bars, les machines à pop corn alors que ça représente entre 7 et 10% de notre chiffre d'affaires. Là encore c’est un manque à gagner important", poursuit-il.

Pour l'année 2021, le Prodiss (syndicat national du spectacle musical et de variété) estime entre 80 et 85% la perte de chiffre d'affaires du spectacle vivant. Les grandes salles, au nombre de 150 en France, faisant partie des plus touchées. 

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