Redécouvrir Dire Straits, groupe intronisé au Rock and Roll Hall of Fame
Un groupe devenu célèbre sur un malentendu ?
Vous avez déjà essayé de dire "et bien moi, Dire Straits j’aime bien !" en famille, au travail ou avec des amis ? Faites l’expérience, et vous risquez fort de croiser des regards dépités, des gloussements, voire carrément des retournements de talons. En revanche, ce sera cool, ou tendance, de dire qu'on aime Les Beatles, Les Stones, Les Doors ou même Les Clash ou The Cure...
Pour Dire Straits, rien à faire : le groupe garde son image presque ringarde de musiciens hasbeen susurrant un rock FM sirupeux, partenaire de Philips pour la promotion des tous nouveaux "compact discs" à l’époque où on les appelait encore des "disques lasers". Car si Pink Floyd a été le groupe de l’ère de la stéréo ("Dark side of the moon" restant l’étalon pour tester la qualité d’une chine Hi-Fi), Dire Straits a bien été le groupe de l’ère du numérique, avec "Brothers in arms" comme album de référence pour les tests de platine CD.
Alors cette image, la faute à qui ? Aux radios et à MTV qui a matraqué le tube "Money for nothing", qui pourtant (le comble !) raillait la chaine TV et l’ère de la consommation rapide de musique. Un malentendu de plus dans l’histoire du rock, qui a en connu d’autres, comme "Born in the USA" qui est tout sauf une chanson patriotique, "Cocaine" qui ne fait pas l’apologie de la drogue, bien au contraire, ou "Sweet home Alabama" qui est bien plus subtile qu’un brûlot sudiste et raciste de rednecks présentés comme bas du front.
Un songwriting inspiré
Dire Straits a parfois été qualifié de "groupe de pub-rock égaré en haut des charts", et ça leur correspond bien. En effet, Mark Knopfler, leader-auteur-compositeur-guitariste-chanteur-producteur de Dire Straits n’a jamais cherché à devenir une rock star, à vendre des millions d’albums, à se mettre sur le devant de la scène. C’est d’ailleurs cette trop grosse machine qu’il n’arrivera plus à gérer, qui le poussera à dissoudre le groupe au début des années 90 pour pouvoir enfin mener sa carrière solo, tranquille à l’abri des sunlights, à faire ce qu’il fait le mieux : écrire des chansons.
Car c’est bien là le secret de Dire Straits : des chansons, portraits ou instantanés du quotidien, écrites par un ancien journaliste et professeur d’anglais, passionné de musique et de guitare, qui au milieu des années 70 décide de tout lâcher pour se consacrer à sa passion. Il se trouve qu’en plus d’avoir une plume aiguisée, il développe un style guitaristique tout à fait inédit : jouer en fingerpicking (c’est-à-dire avec les doigts au lieu d’un médiator) sur une guitare électrique, en s’inspirant des grands maitres du blues (BB King, Bukka White) et de la country (Chet Atkins, Hank Williams), ainsi que du héros de son enfance, Hank Marvin des Shadows, à qui il emprunte le gimmick de la Stratocaster rouge (qui deviendra aussi symbole de Dire Straits, comme pour les Shadows).
Des débuts en pleine vague Punk
En 1978, alors en pleine vague punk, quand les Clash et les Sex Pistols dominent la production musicale anglo-saxonne, un groupe londonien au nom improbable, Dire Straits (littéralement "dans la dèche", traduction de leur situation à l’époque) arrive sur la scène pub-rock avec des mélodies impeccables, un son de guitare fluide et cristallin, une voix semi-parlée semi-chantée à la JJ Cale, et une écriture à la Dylan (l'autre idole de Mark Knopfler). Le premier album, éponyme, démarre doucement, mais certaines chansons font mouche, notamment "Sultans of swing", ou "Lady writer", un an plus tard.
Le groupe phare des eighties, bien malgré lui
Ce qui va se produire avec l’album suivant reste encore 30 ans après un mystère : comment un disque de morceaux typiquement influencés par le rock et la country a-t-il pu devenir l’un des symboles des années 80, alors en pleine mode de synthétiseurs et boîtes à rythmes ? Comment une chanson se moquant ouvertement de MTV et des yuppies des eighties a-t-elle pu à ce point symboliser la chaîne musicale anglaise en plein essor ?
L’album "Brothers in arms" enregistré aux Bahamas fin 1984, sort au printemps 1985, et va servir pour faire la promotion du nouveau format que lance Philips : le Compact Disc. Le single "Money for nothing" (et son refrain chanté par Sting "I want my MTV") fait un carton, notamment grâce à son clip tourné en images de synthèse, révolutionnaire pour l’époque, et qui va tourner en boucle sur la chaine télé dont il se moque.
Forcément, la production sonne "d’époque" : un son léché, des nappes de synthé, les guitares plutôt discrètes, et du saxophone. Mais en les réécoutant aujourd’hui, ces chansons ne correspondent en rien à l’esprit eighties. "Why Worry" est une ballade country, reprise d’ailleurs par les Everly Brothers, “Walk of life” est un rockabilly tout ce qu’il y a de plus classique, "Money for Nothing" fait plus penser aux Stones ou ZZ Top qu’aux Cure, U2 ou Depeche Mode de la même période. Et "Brothers in arms" est depuis devenu un classique des morceaux anti-militaristes, digne successeur de "Masters of war" (Bob Dylan, 1963) ou "For what it's worth" (Stephen Stills / Buffalo Springfield, 1967).
Pourtant, cet album reste toujours dans l'imaginaire collectif estampillé "années 80", et Dire Straits, qui entamme derrière une tournée mondiale étalée sur deux ans, est en passe d’acquérir le statut de plus grand groupe du moment. Ils participent aux grands évènements musicaux de l’époque, comme le Live aid, ou les concerts de charité du Prince Charles, et on dit que c’était le groupe préféré de Lady Di. Le look un peu décalé de Mark Knopfler, avec bandana et poignets en éponge à la manière d’un tennisman, finira de cataloguer Dire Straits dans une imagerie surannée dont ils ne sortiront plus.
Un mastodonte dont il faut se débarasser
Un peu dépassé par l’envergure qu’a pris son groupe, qu’il voulait au départ comme simple véhicule de ses chansons, Mark Knopfler fait d’abord une grosse pause de cinq ans pendant laquelle il s’adonne à des projets qui lui tiennent à cœur : il continue de composer des musiques de films comme il l’avait déjà fait en 1983 pour "Local hero" et 1984 pour "Cal", il produit les albums de ses amis (Randy Newman, Willy Deville...) et il revient à ses premières amours, le bluegrass, la country et le western swing, avec un disque en duo avec Chet Atkins ("Neck & neck" en 1990), et le groupe éphémère The Notting Hillibillies qui reprennent des vieux standards de l’entre-deux-guerres ("Missing..presumed having a good time" en 1990).
Mais en 1991, les sirènes du succès le poussent au comeback de son groupe qu’il ne voulait pourtant plus gérer, et Dire Straits revient pour un ultime album "On every street" et ses singles "Calling Elvis" (dont le clip met en scène des marionnettes inspirées des "Thunderbirds"), "Heavy fuel" ou ecore "The bug". Suit une tournée gigantesque. Ce sera la dernière, et l’album live "On the night" qui sort en 1993 scelle l’aventure discographique de Dire Straits.
Cela fera alors exactement 40 ans que Dire Straits avait débuté avec son premier album et "Sultans of swing" (avril 1978), et son intronisation au Rock’n'Roll Hall of Fame le 14 avril 2018 sera une juste reconnaissance de ce groupe à l’image toujours un peu en décalage avec ce qu’il était vraiment.
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