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Interview Lomepal sort son second album, "Jeannine" : "La folie comme si c'était un don"

Lomepal, le rappeur-skateur auteur de "Yeux disent", "70" et "Pommade", révélation 2017 avec son premier album "Flip", est de retour avec "Jeannine", un second round dédié à sa grand-mère schizophrène. Sur ses 17 titres, Antoine Valentinelli dévoile plus avant son vrai moi, invite OrelSan, Roméo Elvis et Katerine, et explose les dernières cloisons de la case rap en chantant franchement. Rencontre.
Article rédigé par Laure Narlian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 12 min
Lomepal sur scène aux Eurockéennes de Belfort en juillet 2018.
 (Daniel Wambach / L'Est républicain / MaxPPP)
Ce second album est-il venu facilement ? L'as-tu écrit en tournée ?
Lomepal : J'ai fait cet album en bonne partie sur la route. Il parle de ma vie qui a été très nomade cette année. Même si j'écrivais parfois en rentrant chez moi, tout ce que j'avais à dire venait de la semaine que j'avais passée aux quatre coins de la France en tournée. Et même à l'étranger puisque je suis allé à Montréal et à Los Angeles. Sur l'album précédent je parlais de moi et sur celui-ci je parle davantage de ma famille. J’essaye d’être moins autocentré, j’ai l’impression d’avoir déjà tout dit sur moi et du coup j’ai fait des morceaux un peu fictifs et d'autres qui parlent de ceux qui m’entourent, mes amis, mes proches.

Pourtant tu parles de choses encore plus personnelles, hyper intimes.
En fait je crois que j’ai beau essayer, je n'arrive pas écrire autrement. Il y a deux morceaux quand même, "X-Men" et "La Vérité", où je ne parle pas du tout de moi. C’est déjà un pas par rapport à "Flip" où il n’y en avait qu’un. 

Double disque platine pour "Flip, ça met la pression pour le second album. Tu es stressé ?
C’est beaucoup de pression, beaucoup plus que pour "Flip". Mon premier objectif c’était de ne surtout pas faire "Flip" 2. C'est ça qui a été le plus dur. Car même quand on ne veut pas, on a tendance à reproduire la même chose. C’était un énorme effort de ne pas donner aux gens ce qu’ils attendent de moi. A un moment je me suis dit que "Flip" était parfait et que je n’arriverais jamais à faire aussi bien. J'ai donc travaillé un album très différent et qui me plaît. Mais "Jeannine" n'est possible que parce que les gens me connaissent déjà. C'est une très belle deuxième partie. Qui amènera d’autres parties plus tard.

La folie dans ce qu'elle a de plus inspirant

Qu’est ce qui t’a fait penser que tu pouvais te montrer encore plus vulnérable, montrer davantage tes failles et celles de ta famille ?
Ça s’est fait naturellement. Je pensais m'être déjà lâché à fond sur le premier album alors que je pouvais me montrer encore plus vulnérable. Grâce au succès de "Flip", j'ai réalisé que mon public m'acceptait tel que j'étais, sans que j'aie à mentir sur moi-même. Je m'y suis habitué et j'ai pu cette fois aller encore plus loin. Il y avait des morceaux plus agressifs sur le premier album, là il n’y en a aucun. Même la pochette est paisible. Au milieu de mon profil ce sont les yeux de ma grand-mère.

La folie de ta grand-mère c’est un peu le fil rouge de ce nouvel album…
Oui mais c'est juste un fil rouge : "Jeannine" n’est pas un concept-album.

Est-ce douloureux cette maladie mentale, crains-tu d'en avoir hérité ?
Non. Sur l'album je retourne le truc : je fais passer ça pour un pouvoir, comme si c'était un don. Alors qu’en réalité, il y a bien sûr un côté très sombre et même énormément de souffrance dans la tête de ma grand-mère, je ne le cache pas. C’est juste que ça ne m’intéressait pas d’en parler dans cet album, ce n’était pas le sujet, je voulais vraiment récupérer ce qu’il y avait de plus poétique et de plus libre dans sa folie car ce côté-là est très inspirant. Ma grand-mère arrivait à convaincre tout le monde, elle se sortait de n’importe quelle situation, elle avait quelque chose de très mystique et elle était extrêmement forte. C’est un modèle de ce côté-là. Elle se sentait par ailleurs persécutée, elle était schizophrène et elle souffrait, mais ce n’est pas ce dont j’avais envie de parler. Elle était dans une secte en Angleterre pendant un an. Elle emmenait ses quatre enfants partout, elle les faisait déménager toutes les trois semaines, dans la nuit, en voiture. Ma grand-mère a vécu des histoires incroyables.
 
Des histoires que tu abordes très peu, en fait, sur l'album…
J’ai interviewé ma mère durant deux heures et elle m’a raconté toutes ces histoires que je connais déjà par cœur mais je n’avais pas envie d’en faire trop. J’ai récupéré dans ses propos les parties les plus ouvertes, qui pouvaient faire penser à plein de choses et pas forcément à l’histoire de ma grand-mère. J’avais envie que ce soit plus philosophique, que ça puisse rejoindre plusieurs émotions, que ça parle à tout le monde. J'ai juste mis trois petits extraits, courts, pour qu’on capte la "vibe" sans que ce soit pesant.

"Avant, je passais ma vie à fantasmer sur des filles que je n'avais jamais"

Tu parles pas mal dans l’album du fait de coucher avec des filles sans rien ressentir émotionnellement. Est-ce un des aspects les plus décevants du succès, ce désir sans âme ?
Bizarrement non. C’est hyper pathétique, je m’en rends parfaitement compte, mais tout en étant ce que je déteste, je suis aussi ce que je voulais être lorsque j’étais plus jeune. Je suis aimé, j’ai du succès et les choses sont faciles, j’ai du pouvoir et du coup même quand je baise avec une fille qui ne m’intéresse pas – bon bien sûr j’essaye quand-même de construire de petites histoires, que ça soit un peu intéressant mais souvent c’est pas top, ce n'est pas ce que je cherche – j’ai toujours la satisfaction d’avoir réussi une fois de plus. Comme si j’étais finalement le beauf que je voulais être.
 
Tu te venges un peu.
Oui c’est ce que je dis dans "Evidemment". C’était tellement impossible pour moi d’avoir cette vie-là avant, je passais ma vie à fantasmer sur des filles que je n'avais jamais. Du coup à chaque fois c’est plus fort que moi, c’est une satisfaction d’avoir réussi, pour le jeu. Comme si je mangeais du sucre alors que je suis diabétique. Je ressens un vide en le faisant mais j’assume.

Le succès ne t’a visiblement pas guéri d’une forme de dépression…
C'est vrai. De toute façon rien ne guérit rien. Ni l’argent, ni le succès. J'aspirais au succès mais je me doutais bien que ça n’allait pas me guérir. Je savais, au fond de moi, que ça n’allait rien changer.

Le succès est-il plus dur à gérer que tu ne l’imaginais ?
Non, parce que j’ai une magnifique équipe autour de moi et ça change tout. J’ai vraiment réussi à m’entourer des meilleures personnes, j’ai une chance énorme. Mon management, une petite dizaine de personnes, les gens qui m’accompagnent en tournée, les techniciens, les gars avec qui je bosse en musique ne sont que des gens que j’adore et que j’estime énormément. Du coup il y a d’abord un grand professionnalisme, chacun bosse pour sa tâche et je ne me retrouve pas à faire le boulot des autres. Ensuite il y a une bienveillance collective, on travaille tous ensemble pour la réussite d’un truc. Bref on est hyper unis et ça me donne beaucoup d’air.
 

"Je n'aurais jamais cru chanter un jour mais maintenant je pense que le rap est limité"

Qu'est-ce qui a changé pour toi au quotidien ?
Je vis toujours avec ma mère et mon coloc Yacine dans le 13e. J'aime bien vivre avec elle, c'est une artiste-peintre, et puis je suis toujours en voyage alors j'aime bien la voir quand je rentre, on passe de bons moments. Avec le premier album j'ai gagné pas mal d'argent et je vais sans doute investir dans la pierre pour ma sécurité et celle de mes proches. Mais je ne veux pas me précipiter. Je réfléchis aussi à investir dans l'art et dans le social parce que je n'ai pas envie d'être très riche. Faire de l'argent pour faire de l'argent ne m'intéresse pas.

Le rap chant était une des grandes affaires de ton premier album, et sur le second tu chantes carrément. As-tu des modèles et as-tu essuyé des critiques dans le rap par rapport au chant ?
J'aime beaucoup Julian Casablancas des Strokes. Il m'inspire pour l'interprétation. Ça s'entend parfois quand je chante, non ? Certains préfèrent quand je rappe que quand je chante, je le conçois très bien. Mais j'ai été critiqué de la part de débiles qui ne vivent que pour une seule question, chaque fois qu'ils écoutent un morceau : "est-ce que c'est du rap ou est-ce que ce n'est pas du rap ?". C'est ça leur débat. Ok ce n'est pas du rap, je m'en fous. Moi je fais de la musique, t'aimes bien, t'aimes pas, c'est ça la question. Je n'aurais jamais cru chanter un jour mais maintenant je pense que le rap est limité, parce qu'un morceau se construit aussi avec la mélodie. C'est pour ça que les meilleurs rappeurs aujourd'hui sont aussi des chanteurs. Booba, Damso ce sont des chanteurs. Orelsan et PNL sont des chanteurs. Avec le rap, c'est comme si on était en 2D et la troisième dimension, le dernier truc, c'est la mélodie. Il n'y a pas que le rythme. Il y a le rythme, l'intonation, les paroles et puis aaahhh!!! : le facteur mélodie ça ouvre, ça démultiplie tout. C'est trop intéressant, ce serait trop bête de se limiter ! 

"Roméo Elvis, je l'ai vu grandir à toute vitesse, il a tout compris hyper vite" 

Ton grand pote Roméo Elvis est à nouveau invité sur un titre de l'album, comme sur le premier. Avez-vous prévu de concrétiser un projet commun ou pas ?
C'était une idée de départ mais là ça marche tellement bien pour nous chacun de notre côté qu'on va attendre un peu. Pour le moment on adore se regarder dans nos ascenseurs respectifs et se voir monter l'un l'autre. C'est très émouvant de se voir évoluer, réussir, de monter sur scène l'un avec l'autre.

JeanJass, en featuring sur "X-Men", c'est encore la connexion belge…
Oui sauf que la connexion avec JeanJass est bien plus ancienne. J’ai connu Caballero (partenaire de JeanJass NDLR) en premier, en 2011 et il est devenu rapidement mon meilleur pote. On était tout le temps l’un chez l’autre : j’allais à Bruxelles, il venait à Paris. A ce moment-là ils avaient une super énergie, les Belges. Ils l’ont toujours d’ailleurs, sauf qu’à l’époque c’était totalement underground, personne ne les connaissait. Leur passe-temps c’était d’aller dans l’appart d’un gars ou d’un autre et ça écrivait sur des instrus, ça enregistrait des milliers de freestyles, alors qu’à Paris, en tout cas moi et mes potes, on était plus à rapper dans la rue, on faisait bien moins de sessions d’écriture ensemble. Avec JeanJass j’ai pris une claque. Il avait un truc de ouf, hyper touchant. Après j’ai fait une tournée belge, il s’est passé plusieurs années. Je n'ai rencontré Roméo Elvis qu'en 2016, cinq ans après Caballero et JeanJass. A l'époque, Roméo et l’Or du Commun m’ont été présentés comme étant la génération d’après, celle des plus jeunes qui assuraient les premières parties. Roméo, je l'ai vu grandir à toute vitesse, il a tout compris hyper vite. Rapidement, j’ai dû m’habituer à ce qu’il soit mon égal alors que j’étais beaucoup plus ancien.

Avec OrelSan "on avait plein d'idées de punchlines" pour "La Vérité"

Comment as-tu connu Philippe Katerine, qui est en featuring sur "Cinq Doigts" ?
J’étais fan et je tombe sur son passage chez Jimmy Fallon (en novembre 2017, Katerine joue "Moustache" au "Tonight Show" NDLR), et je trouve ça génial. A ce moment-là je préparais mon "Planète Rap" sur Skyrock et je cherchais des invités originaux. On le contacte, et en fait il écoutait déjà ce que je faisais. Il me l’a avoué il n’y a pas longtemps : il était à Parly 2 quand il est tombé sur la pochette de "Flip". Il a vu un "parental advisory" avec un gars maquillé en femme, il s’est dit trop bien, il l’a acheté et il l’a écouté en boucle. Donc quand je l’ai rencontré il connaissait déjà bien ce que je faisais, c’était hyper agréable. On s’est vus avant le "Planète Rap", je lui ai expliqué ce qu’était un freestyle. Il était hyper excité à l’idée de se confronter à des gars dont les codes sont très différents des siens : c’était la jungle et il allait devoir s’imposer. Comme il est très curieux, il a adoré cette expérience, on s’est revus et on s’est promis de faire un morceau ensemble. Au final on en a fait deux : j’en ai fait un sur son album et lui en a fait un sur le mien sur le thème de l'amitié.

Comment OrelSan se retrouve-t-il sur "La vérité" ?
OrelSan, je suis fan aussi, depuis 2011. J'ai sorti mon album mi 2017, il a sorti le sien six mois plus tard et durant la promo, à la question "qu’est-ce que tu écoutes en ce moment ?", il a répondu à plusieurs reprises Lomepal. Woah ça faisait plaisir ! Ensuite, vers septembre-octobre 2017 il m’a félicité sur Instagram. Forcément, je n’allais pas laisser passer cette chance. Il a dit ok très vite. Je lui ai fait écouter plein de trucs cet été et c’est ce morceau-là qu’il a préféré.

Dans cette chanson, "La vérité", vous évoquez les entourages incapables d'être honnêtes, incapables de vous dire quand vous n'êtes pas bons. As-tu l’impression aujourd’hui d’avoir une petite cour de flagorneurs ?
Non en fait je ne parle pas de moi dans ce morceau mais d’autres gens que j’ai pu observer, ça ne vise personne en particulier. La première chose que m’a dit OrelSan quand je lui ai proposé ce thème c'est "ah trop cool ! J’ai tellement de rimes de clash envers personne, je vais pouvoir les mettre dedans". On avait juste plein d’idées de punchlines, de petits jeux de mots type egotrip bêtes et méchants. Pour répondre à la question, mes amis sont très crus avec moi, ils ne me confortent pas, mais j’aime ça. S'ils n’aiment pas tel ou tel morceau, ils le disent. Parfois ça fait mal mais je sais que c’est important. Il faut dire que j'ai été bien formé par mon ex qui était vraiment dure avec moi. Parfois elle se trompait mais il n’empêche que sa franchise m’a rendu plus fort. Ça m’a poussé à réécrire des trucs et la plupart du temps il faut reconnaître que c'était mieux.

"Jeannine", le second album de Lomepal (Pineal Prod - Grand Music Management), est sorti vendredi 7 décembre (lire la chronique ici et écouter l'album ci-dessous sur Deezer)
Lomepal est en tournée dans toute la France à partir du 26 janvier 2019 avec deux haltes à Paris les 20 (complet) et 21 février 2019 au Zénith.

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