Rufus Wainwright, un enchanteur à fleur de peau à la Philharmonie de Paris

L'auteur-compositeur-interprète canadien a posé ses valises pour trois soirées thématiques à la Cité de la musique. Nous avons assisté aux concerts de lundi et mardi. Des moments de toute beauté.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié
Temps de lecture : 5 min
Le chanteur canadien Rufus Wainwright sur scène à Nashville le 20 septembre 2023 (ERIKA GOLDRING / GETTY IMAGES NORTH AMERICA)

Intense, ardent, avec une touche de stress et une bonne dose d'autodérision... Lundi 9 octobre à la Philharmonie de Paris, sur la scène de la Cité de la musique, Rufus Wainwright a offert deux heures dix minutes de joie, d'émotion et d'humour au public. Il donnait le premier concert d'une ambitieuse trilogie visant à survoler quelque trente ans de carrière. Mardi 10 octobre, le concert a duré environ un quart d'heure de plus que la veille... La Rufus-Retro-Wainwright-Spective, non chronologique, se compose de trois soirées thématiques : Chansons de jeunesse et d’addiction (9 octobre), Chansons d’amour et de désir (10 octobre) et enfin Chansons de dédain et de résistance (11 octobre). Soit trois programmes distincts pour (re)découvrir un répertoire avec des arrangements différents de ceux des versions studio aux orchestrations sophistiquées.

Au plus près de l'essence des chansons

Des arrangements minimalistes, donc, pour savourer les chansons dans la saveur et la puissance de l'épure. Et juste trois hommes sur scène : Rufus Wainwright, barbe grise, cheveux mi-longs et combinaison noire, son guitariste Zak Hobbs et son pianiste Jacob Mann. Avec un quatrième protagoniste, Gioele Amaro, présent par le biais des superbes illustrations vidéo projetées à l'arrière de la scène. Et enfin, des invités pour un dialogue en pointillé au fil du concert, "une idée de dernière minute", explique le chanteur canadien au public. Lundi, le réalisateur et journaliste Thierry Klifa, assis tout à la droite de la scène, a posé quelques questions à Wainwright. Mardi, c'était au tour de l'actrice Alkistis Poulopoulou, amie du chanteur, l'occasion d'entendre des confidences parfois cocasses, parfois émouvantes. Pour l'infatigable Canadien, ce mini-festival constitue une digression aussi impressionnante qu'originale en plein milieu de sa tournée américaine.

Rufus Wainwright, tantôt debout à l'avant de la scène, tantôt au piano installé au centre, tantôt muni d'une guitare acoustique, donne à entendre, chaque soir, une bonne vingtaine de chansons, dont certaines n'ont pas été jouées sur scène depuis des années. À ses côtés, Jacob Mann, passant des claviers au piano, et Zak Hobbs à la guitare électrique. À l'arrière, suspendu au-dessus des musiciens, un grand écran rectangulaire sur lequel sont projetées les vidéos qui accompagnent les chansons.

Un tour de chant comme dans un salon de musique


Rufus Wainwright, qui s'exprime essentiellement en français, affiche une simplicité et un naturel désarmants. Lundi soir, il se trompe au piano et doit s'y reprendre plus d'une fois pour finir la première chanson du concert, Cigarettes and Chocolate Milk. "Je suis très nerveux, alors soyez gentils s'il vous plaît", dit-il au public qui l'encourage par des applaudissements. "Vous savez, j'ai plutôt l'habitude de terminer mes concerts avec cette chanson..." Un peu plus tard, il aborde un autre titre à la guitare avec un peu d'appréhension, confiant que les accords sont encore tout frais dans sa tête... Wainwright assure ainsi son tour de chant parisien avec chaleur et spontanéité, comme s'il avait convié tout le monde à un salon de musique au coin du feu, glissant ici et là anecdotes et souvenirs, évoquant son coming-out, son mari "présent dans la salle", des amours d'antan, sa fille, sa famille musicienne, et même son chien Siegfried...

Pour accentuer le côté intimiste, l'artiste interprète plusieurs chansons en piano-voix. Le mardi, il chante a cappella Candles, un titre qu'il avait écrit en hommage à sa mère disparue. Ce moment constitue l'un des temps forts des deux soirées, tout comme le souvenir émouvant que Rufus Wainwright évoque juste avant de chanter. Il se souvient qu'après la mort de sa mère, il était entré dans différentes églises de Montréal avec l'espoir d'y allumer un cierge. Mais deux d'entre elles étaient en rupture de stock, et la troisième n'avait que des bougies électriques, alors le jeune artiste avait jeté l'éponge. Plus tard, lors d'un séjour à Paris, il a eu l'idée d'entrer à Notre-Dame et il y a trouvé les bougies qui lui avaient tant manqué au Québec. "C'est peut-être ça que ma mère souhaitait, une cathédrale !", a-t-il plaisanté pour balayer l'émotion avec laquelle il s'était remémoré ce deuil.

Une voix hypnotisante


Le tour de chant parisien de Rufus Wainwright, c'est une succession de petits miracles où l'on savoure ou redécouvre la poésie de ses textes, la beauté de ses mélodies traversées parfois par des dissonances et d'inquiétantes harmonies, et surtout sa voix profonde, puissante, d'une expressivité saisissante. Certaines chansons nous hypnotisent, renforcées par les projections de vidéos où défilent des statues grecques, un Penseur de Rodin sur les flots, une cathédrale inondée où voltige un météorite qui se rapproche lentement de nous, un homme à la barbe recouverte de poudre blanche... Parmi les plus magnifiques illustrations visuelles, on se souviendra de ces séquences obsédantes tantôt déformées, tantôt ornementées d'images de synthèse, de baisers hollywoodiens où l'on reconnaît Gregory Peck, Ava Gardner, James Dean, Fred Astaire et tant d'autres...

Le tour de chant comporte enfin quelques reprises : Chelsea Hotel de Leonard Cohen, chantée les deux soirs, puis Across the Universe des Beatles, chantée le mardi. Et des chansons en français : La Complainte de la butte, titre de 1955 cosigné par Jean Renoir, que Wainwright avait repris pour la bande originale du film Moulin Rouge, proposée les deux soirs, et une chanson interprétée autrefois par Arletty, Cœur de Parisienne, offerte au public mardi. On se demande forcément ce qu'il prépare pour le dernier soir, ce mercredi...

Son "Dream Requiem" en création mondiale à Paris en 2024


Lors de son précédent passage parisien, le 30 mars 2022 au Grand Rex, Rufus Wainwright avait réussi le tour de force de faire monter Catherine Deneuve sur scène pour chanter, ce qu'elle n'avait jamais fait auparavant. Ensemble, ils avaient interprété Dieu fumeur de havanes de Serge Gainsbourg, un titre en duo qu'elle avait enregistré autrefois avec l'artiste français.

Habitué des scènes françaises, Rufus Wainwright sera de retour le 14 juin 2024 à Paris pour une création mondiale à l'auditorium de Radio France. L'éclectique musicien compose actuellement un requiem - forme musicale qui le fascine - intitulé Dream Requiem, sur un texte de Lord Byron. Sur scène, la pièce sera créée par l'Orchestre philharmonique, la Maîtrise et le Chœur de Radio France placés sous les directions respectives de Mikko Franck, Marie-Noëlle Maerten et Guillemette Daboval, avec la soprano Anna Prohaska.

Par ailleurs, mardi soir, lors de son dialogue à bâtons rompus avec Alkistis Poulopoulou, Rufus Wainwright a évoqué furtivement un projet théâtral censé rester confidentiel pour le moment... L'artiste de 50 ans n'a décidément pas fini de nous étonner.

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