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"La musique pop peut être une musique savante", le musicien et écrivain Fabio Viscogliosi sort Rococo, son 3e album

Dessinateur, écrivain et musicien, Fabio Viscogliosi nous a accordé une interview à l'occasion de la sortie de Rococo, son troisième album très attendu. Il nous explique aussi pourquoi il a choisi Harpo Marx et l'Ardèche comme personnages principaux de son prochain roman qui sort en janvier chez Actes Sud.

Article rédigé par Olivier Flandin
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11 min
Rococo est le troisième album de Fabio Viscogliosi, musicien mais aussi dessinateur et romancier. (Philippe Lebruman)

Cela fait 12 ans que ceux qui ont la chance d’être sensibles à sa musique attendaient une suite à Spazio et Fenomeno, ses deux premiers albums très réussis. Entre temps, Fabio Viscogliosi a dessiné et peint, beaucoup, écrit quatre livres et n’a cessé d’inventer des chansons. Dix d’entre elles paraissent enfin dans Rococo (Objet Disque) en attendant la sortie prochaine d’un deuxième volume. 

Mélodies enveloppantes, batteries au cordeau, sonorités rétros d’une touchante sincérité, mots doux et invitation constante au voyage : on retrouve tout ce qui fait le charme de cet artiste hors normes avec un petit truc en plus, des titres chantés pour la première fois en français.

Comme il est rare qu’un artiste dans une même année soit capable de sortir deux albums de chansons, un livre de recueil de dessins, des expos en Europe et un roman alléchant sur des aventures de Harpo Marx en Ardèche, on avait forcément de nombreuses questions à lui poser dans le brouhaha d’un bar de son quartier de la Croix-Rousse à Lyon.

Après deux albums de chansons en italien et en anglais, qu’est-ce qui vous a poussé à écrire en français ?

Avant on me posait la question inverse : pourquoi tu chantes en Italien ? Je pense que c’était lié à un moment particulier, celui de la disparition de mes parents (tous deux d’origine italienne, ils ont trouvé la mort dans l’incendie du tunnel du Mont Blanc en 1999, ndlr). Quelque chose était remonté et s’était imposé à moi, sans que je le décide vraiment. Tout ce que je fais n'est pas vraiment le fruit d’une volonté, mais plutôt d’une forme de lâcher prise. Si les chansons ne venaient pas de manière naturelle, je n’en ferais pas. Alors je pense que le français est venu tout simplement comme ça, parce ce que naturellement je vis dans un pays francophone. En fait, je pense que mon long chemin d’école buissonnière par l’Italie m’a forgé une forme d’esthétique. Cela m'a permis de trouver une écriture vocale liée à l’Italien mais qui s’est déplacée dans le français. Avec un phrasé qui m'est propre. 

Il est vrai que dans les chansons de cet album Rococo, la sonorité des mots en français semble dans votre voix très malléable, les syllabes paraissent presque élastiques...

Oui, Il y a une scansion, qui est peut être particulière, que je pratique naturellement en italien. J’aime quand les phrases des chansons sont à cheval les unes sur les autres. Une sorte de marabout-bout-de-ficelle en équilibre entre deux mesures ou entre deux strophes. Cette articulation permet de faire glisser le sens, le rend moins envahissant.  

Chanter en italien ou en anglais, c’est une façon aussi de mettre un filtre sur les mots, d’être plus pudique ? 

Je ne suis pas sûr, car il y a aussi des italiens qui m’écoutent, et de fait comprennent ce que je raconte. La chanson française, traditionnellement, insiste beaucoup sur le sens littéral, et les intentions. On le ressent généralement moins dans les chansons italiennes ou anglo saxonnes qui peuvent être simplement musicales et permettent de s’évader plus facilement, de ne pas être écrasé par le sens de chaque phrase, ou en tout cas que celui-ci reste ouvert à diverses interprétations.

Avec ces nouvelles chansons en français, un francophone de base peut tout de même saisir un peu plus de sens direct. Il est souvent question du temps qu’il fait, de neige, de chaleur, de printemps…

Quand j'écris une chanson, et c’est un peu la même chose lorsque je fais un livre, il y a d'abord un élément qui m'apparaît, comme un endroit. Un endroit informel, une sensation que je n’essaie surtout pas de définir de manière stricte. Les saisons, le temps qu’il fait, la météo, colorent les chansons, leur donnent le la. C’est quelque chose qui apparaît petit à petit, tout est lié.

 La nature est quand même particulièrement présente dans ce disque...

Oui... Si je devais à posteriori imaginer là où ça se passe, ce serait dans une campagne hybride, à proximité de la mer. Dans des époques qui pourraient être à fois antiques et très contemporaines. Comme si on roulait en voiture en Italie, tard le soir ou tôt le matin, en ressentant la présence d’une histoire ancienne, d'où le titre Peplum. Mais dans un lieu contemporain, avec le littoral et les abords des villes telles qu’elles existent aujourd’hui, un peu déglinguées. 

Vous avez une vision presque cinématographique et picturale de la musique…

C’est une vision faite de sensations, d’images associées aux mots, cela me vient comme ça. Quand j’écrivais l’album Spazio, c’était beaucoup sur l’espace, d’où le titre. J'imaginais vraiment une sorte d’errance spatiale et là, c’est une errance plus méditerranéenne.

Le titre La plage a été interprété par Vanessa Paradis dans son dernier album Les sources avant que l’on puisse découvrir votre version, l’originale, très différente... 

Elle en a fait une version plus groovie, plus dansante, il me semble, mais c’est très bien ! C’est bien naturel qu’elle ait eu envie de se l’approprier quand elle l’a choisie. C’est aussi ce qui justifiait le fait de sortir ma version sur ce disque. Si elles avaient été similaires, avec la même orchestration, cela aurait été moins intéressant.

Vanessa Paradis a enregistré une autre de vos chansons Mio Cuore.  Pourra-t-on l’entendre sur votre prochain disque ? 

Oui, là aussi dans une version très différente ! Ce sont deux disques qui vont se répondre, comme les volumes d’un journal. Ce qui m’intéresse dans tout ce que je peux faire, et dans l’art en général, ce n’est pas seulement l’aboutissement au sens "le tableau” ou “la chanson” parfaite, mais les liens, les motifs qui apparaissent et qui varient. J’aime beaucoup suivre ça chez les musiciens que j’admire comme Thelonious Monk ou Dylan par exemple. J’adore suivre leurs variations. Ce qui est intéressant, ce sont autant les formes et les objets que les espaces et les liens entre ces objets, des ellipses qui font que l’ont saisi quelques chose d’autre, entre les lignes. La réalité est en mouvement, toujours. 

Savoir saisir les nuances, c’est  aussi deviner la vie qui se cache derrière ?

Oui, inconsciemment, on ne cesse de se transformer tout en restant le même. Je me suis attaché durant toutes ces années à avoir ma propre écriture, avec mes propres limites, avec mes possibles qualités aussi s'il y en a, mais elle doit refléter honnêtement ce que je suis et ce que je peux faire, de mes propres mains.

C’est pour cela que vous jouez la quasi-totalité des instruments sur vos disques?

Il y a aussi des questions techniques, de moyens, de temps, de disponibilité....En général, ça va assez vite. La plageSeptembre, ou Peplum sont réellement venues en deux heures. Du coup, il y a une excitation, une urgence à enregistrer qui fait que je n’ai pas la patience d’attendre six mois. Si j’avais en claquant des doigts des musiciens qui pouvaient arriver dans les cinq minutes, pourquoi pas ? Ce serait le rêve !  Mais voilà, comme souvent je suis seul, je me dis qu’il faut s’y coller. Parce que j’ai envie de l’entendre vite cette chanson !  Et puis, chez moi, l’écriture comme le son ou l’enregistrement sont une seule et même chose.  

Vos livres et vos dessins sont bourrés de références : vos journées de dessinateur-musicien-écrivain sont aussi riches en pensées sur les grandes figures de l’art et de la littérature ?

Cela vient d’une manière très naturelle. Récemment, j’ai dessiné une page dans laquelle je parle des décors de La ruée vers l’or de Chaplin. C’est quelque chose que j’ai en tête depuis des années, depuis 20 ou 30 ans. Et j’y pense souvent. Pourquoi le film a-t-il d’abord été tourné en décors naturels ?  Et pourquoi tout a dû être refait en studio ? Qu’est-ce que ça a donné comme qualité particulière au film ? A quoi ça me fait penser ? Une série d’associations d’idées m'apparaissent...

Dans vos dessins comme vos livres, vous parvenez  à raconter des choses assez complexes en quelques traits ou quelques lignes. C’est compliqué de faire simple ? 

C’est lié à une technique et une économie interne. J’aime bien ce qui a l’air simple pour évoquer des choses complexes, plutôt que l’inverse. C’est quelque chose que je pratique depuis l’adolescence. La musique dite pop, par exemple, peut être une musique savante ou expérimentale, tout à la fois. Qu’est ce qui fait que la mélodie, ou simplement trois notes, percutent autant le cerveau de celui qui l’écoute ? C’est une science, comme en cuisine quand on fait réduire les petits oignons dans le fond de la casserole. Les sciences de l’économie de la cuisine et de la chanson sont assez proches finalement. C’est ce qui fait aussi les grands films ou livres, chaque oeuvre est le résultat de sa propre économie.

Votre  4e roman, annoncé pour janvier chez Actes Sud s’inspire de la figure de Harpo Marx, faut-il en déduire qu’il sera moins autobiographique que les précédents et notamment Mont Blanc qui évoquait directement la perte de vos parents dans l'incendie du tunnel du Mont Blanc?

Ce livre ne sera même pas du tout autobiographique !  Il y avait déjà Harpo Marx dans un de mes livres, on le retrouvait comme un fantôme dans un salon de l’hôtel Algonquin de New York. Au final, dans mes livres à teneur autobiographique, je parle assez peu de moi et je parle surtout de ce que je vois et de ceux que je vois. Ce qui est surtout autobiographique, c’est de parler des autres, ceux qu’on a croisé en vrai dans la vie ou ceux qu’on a croisé de manière fantasmatique à travers leurs oeuvres. C’est aussi important de parler de son père, ou de ses amis, que de parler d’un livre ou d’un artiste. Là, c’est Harpo Marx qui a pris l’espace. Et je m'aperçois après coup que l’histoire que je raconte fait finalement écho avec ma propre histoire. Le livre commence avec un accident de voiture dans lequel Harpo, qui se trouve en France, en Ardèche, perd la mémoire. Il devient amnésique et ne sait plus qui il est. On va voir comment il reprendra le chemin de sa vie.

Harpo, et plus généralement les Marx Brothers, vous intéressent depuis longtemps...

Je suis très attaché au cinéma burlesque, Chaplin, Buster Keaton, les Marx Brothers, et Harpo particulièrement m’a toujours touché. Il ne parle pas, dans les films, il est toujours musicien et on ne sait pas s’il est idiot ou suprêmement  intelligent. Tellement intelligent qu’il n’aurait pas besoin de parler, qu’il comprendrait instinctivement toutes les situations avant de les résoudre, parfois involontairement. Cela me plaisait de le faire vivre dans un long et curieux épisode en France .

Et pas n’importe où en France, en Ardèche...

J’ai eu la chance grâce à des amis de découvrir la Haute-Ardèche avec ses paysages et ses atmosphères. Des endroits qui pourraient rappeler des paysages qu’ Harpo a probablement connu à ses débuts quand il faisait des tournées théâtrales un peu miséreuses dans l’Amérique profonde. Dans la région du Mézenc, il y a quelque chose qui rappelle cette atmosphère, un peu moyenâgeuse et un peu western. C’est un endroit magique et hautement romanesque. Le regard peut se promener à l’infini et j'imaginais assez bien une sorte de vagabond errant là au milieu. Il se trouve qu’il aura la chance de rencontrer un écrivain bienveillant dans le village de Borée et cet épisode ardéchois va au final influencer la filmographie des Marx Brothers et donc l’histoire du monde par rebond !

Couverture du roman Harpo de Fabio Viscogliosi (Actes Sud)

En parallèle à la sortie de ce livre et de ce disque, vous publiez vos dessins sur les réseaux sociaux, tous les jours, c’est une simple façon de partager votre travail ou une contrainte imposée pour trouver des idées ? 

Non, c’est simplement pour témoigner de mon travail, au jour le jour. C’est un peu impudique parce que je montre vraiment le dessin que j’ai réalisé le matin même, sans filtre. Je prends le terme “publier sur votre journal” au premier sens du terme. Je pourrais le faire avec la musique mais il se trouve que les réseaux sont plus appropriés aux dessins. Quand j'étais au collège, j'aimais déjà faire des journaux en photocopies que je distribuais autour de moi. Pour moi, la création est liée à la publication, la diffusion. Ce n’est pas pour accumuler tout seul chez moi et m’asseoir dessus. Pour que ce geste prenne du sens, j’ai besoin de le partager, et puis c’est aussi un rapport d’honnêteté, montrer mon travail au fil du temps.

Parmi ces dessins, il y a une série particulièrement intéressante de petites histoires dessinées en six cases, qui naviguent elles aussi entre visions intimes et références historiques à l’art et à la littérature….

Ça a commencé, comme souvent, par des dessins, puis très vite je me suis pris au jeu d’en faire de plus en plus, avant qu’un éditeur me propose d’en faire un livre (L’Association), il devrait sortir courant 2020. C’est vrai que la publication au quotidien est stimulante, parce qu’il y a des réactions à vif. C’est important, ça fait du bien ces respirations car, écrire ou dessiner, c’est tout de même une longue traversée en solitaire.

L'album Rococo de Fabio Viscogliosi est sorti chez Objet Disque

Le livre Harpo est prévu pour janvier 2020 chez Actes Sud

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