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"Nous sommes toujours confinés" : la difficile reprise des concerts de musiques actuelles

Cinq mois après le déconfinement, l'incertitude et les mesures sanitaires freinent la reprise dans le secteur du spectacle vivant musical. 

Article rédigé par Manon Botticelli
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
La salle Pleyel, à Paris.  (JACQUES SARRAT / SYGMA)

"De l’activité, ça je peux vous dire qu’on en a ! Quand on doit annuler des concerts, il faut des gens pour le faire et pour rembourser le public… Mais ça ne nous rapporte rien". Thierry Langlois est "tourneur" ou producteur de tournées : il produit et organise les tournées d'artistes. Comme beaucoup de ses confrères, le directeur d’Uni-T, également délégué du syndicat Prodiss, a dû mettre ses spectacles en pause. "Une grosse majorité des concerts prévus à l’automne ont été reportés ou annulés une bonne fois pour toutes", souffle-t-il. Globalement, le Prodiss estime que 76 % des dates de concert prévues entre septembre et décembre 2020 ont déjà subi le même sort. "Nous sommes toujours confinés", estime Olivier Darbois, président du Prodiss et directeur de la société de production Corida (Catherine Ringer, Christine & The Queens, PNL...), qui a également redéployé ses tournées sur 2021.

Concerts debout interdits

En théorie, les salles de spectacle sont pourtant autorisées à rouvrir depuis juin dernier. Dans la pratique, les conditions d’accueil des spectateurs freinent la reprise des tournées. D'abord parce que le public doit être obligatoirement assis, alors que le spectacle à jauge debout représente 50% de l’activité du secteur. Certaines salles ne sont tout simplement pas équipées pour. C’est le cas du Trabendo, à Paris, toujours portes closes. "La situation est déprimante, on est fermés depuis le mois de mars", avance son cogérant, Alexis Bernier.

"Il y a aussi un aspect culturel", ajoute Cyrille Bonin, directeur du Transbordeur (Villeurbanne) et membre du comité salles du Prodiss. "Le Transbordeur est une salle de musiques actuelles, avec du hard-rock, du métal, du hip-hop... Les spectateurs sont debout, les uns sur les autres, en sueur. Je ne suis pas sûr que faire un concert avec de la distanciation physique ait un intérêt". "Sur certains styles musicaux, faire un concert debout est aussi important que d’avoir un bon système son ou un bon éclairage", confirme Thierry Langlois.

Le casse-tête des zones 

Ensuite, la situation n'est pas la même dans tous les départements. Les mesures de distanciation physique dans les zones rouges obligeraient les salles à accueillir des spectacles à jauge réduite. Problème, cela signifierait fonctionner à perte : "Les jauges imposées en zone rouge ne nous permettent pas la tenue d'un concert d'un point de vue économique", avance Thierry Langlois.

Dans ce cas, pourquoi ne pas sauver quelques spectacles en zone verte ? Pas si facile, nous expliquent les producteurs. "Quand on crée un spectacle, on lisse les coûts de production sur l’ensemble des dates de la tournée", développe le patron d'Uni-T. Quelques concerts annulés menacent ainsi le financement de la tournée entière. "Cela fait des cassures dans la tournée et ce sont des coûts qu’on ne peut plus supporter", détaille-t-il.

D’autant que l’instabilité de la situation sanitaire, et la possibilité qu'un département passe subitement en zone rouge, augmente le risque chez les producteurs. "On n’est pas à l’abri qu’un préfet interdise au dernier moment tous les rassemblements parce que la situation se dégrade sur son territoire", ajoute Thierry Langlois, "ce qu’on dit un jour n’est pas la vérité du lendemain." "Économiquement", abonde Olivier Darbois, "il est devenu trop risqué de prendre des risques".

"Financièrement, c’est le cauchemar"

Uni-T essaie en ce moment de "sauver" la tournée de Pomme, voix montante de la chanson française, "stoppée net" en mars. Elle devrait redémarrer en octobre, avec des concerts debout reconfigurés en assis, et de grosses dates, comme l'Olympia, qui pourraient être scindées en deux. Le Trabendo, de son côté, a accueilli cet été des petits concerts sur une terrasse sous-louée. "Mais ça ne rapporte rien du tout, dans les 300 euros par soirée, c’est une goutte d’eau", lance le codirecteur de la salle.

"Financièrement, c’est le cauchemar", confie Thierry Langlois. "Zéro rentrée d’argent depuis mars, avec une entreprise de 10 salariés, le loyer et des frais qu’il faut payer", calcule-t-il. Après six mois d’arrêt, des spectateurs à rembourser et des dates qui continuent de s’annuler, la facture est lourde pour l'ensemble du secteur, estimée par le Prodiss à 176 millions d’euros de pertes nettes en 2020.

200 millions d'euros pour 2021 et 2022

Pour répondre à la crise, le gouvernement a promis que 200 millions d’euros du plan de relance iront à "la filière musicale dans son ensemble (spectacles et concerts, musique enregistrée, ect…)". Cette somme sera confiée au Centre National de la Musique (CNM), chargé de la répartition."C’est le grand espoir pour sauver les entreprises du secteur de la casse de 2020", souligne Olivier Darbois. "Mais il faut que cet argent soit distribué aux bons acteurs au bon moment", estime le président du Prodiss alors que le syndicat milite pour que l’ensemble de l’enveloppe soit attribuée sur 2021.

Le plan de relance devra d’abord être voté au Parlement, dans le cadre de la future loi de finances 2021. Sur l’enveloppe, 170 millions devraient être débloqués pour 2021, le reste en 2022, précise Jean-Philippe Thiellay, président du CNM. "On ne va pas compenser toutes les pertes, ce n’est pas possible. Mon souci, aujourd’hui, est d’éviter les faillites et dans un deuxième temps de permettre un redémarrage", avance-t-il.

Au moins 2 millions d'euros seront en plus consacrés aux auteurs et compositeurs.

Jean-Philippe Thiellay, président du CNM

à franceinfo Culture

Jean-Philippe Thiellay rappelle également que jusqu’ici, le CNM a "aidé environ 1000 structures, ce qui a aussi permis d’indemniser 3 000 artistes". L'organisme estime que 63 millions d’euros ont déjà été versés ou sont en cours de versement. A cela s’ajoute un mécanisme de compensation des pertes liées à la distanciation doté de 40 millions d'euros, mis en place dès octobre et qui fonctionnera comme une avance. Il permettra d'"encourager les producteurs à organiser des spectacles en zone rouge même avec la distanciation" et donc avec une jauge réduite. 

"On n'a aucune visibilité"

Le Trabendo, par exemple, a reçu une aide de 35 000 euros, complétée par une enveloppe de 11 000 euros venant de la mairie de Paris. Pour l’instant, le CNM n’a pas enregistré de faillite, mais le Prodiss estime que la moitié des entreprises du secteur sont menacées d'ici la fin de l'année.

Même si l'on ne peut pas autoriser tous les rassemblements, il nous semble anormal que le spectacle vivant soit confiné plus longtemps que l'aérien, le rail, la restauration ou le cinéma. Pourquoi a-t-on pu rouvrir si vite la gare Montparnasse et pas l'Olympia ?

Matthieu et Gérard Drouot, président et directeur de Gérard Drouot Productions

Les Echos

"Le vrai problème, c’est qu’on n'a aucune visibilité", déclare Alexis Bernier, qui estime que la reprise d'une activité normale ne sera pas possible pour la salle "avant le printemps 2021" ."On repousse encore des tournées le plus loin possible sur 2021 parce qu’on ne sait pas ce qu’on va faire, c’est épuisant", témoigne Thierry Langlois. Cyrille Bonin résume : "Nous avons été les premiers à fermer et nous seront les derniers à rouvrir."

"On vit les choses tristement", confie Alexis Bernier. "Notre métier n’est pas de quémander de l’argent de l’Etat mais de faire découvrir des talents et de les faire prospérer. Il y a un moral très ébranlé et une peur qui va s’installer pour les entreprises si 2021 ne redémarre pas comme on l’espère", estime Olivier Darbois.

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