Cet article date de plus de trois ans.

Le musicien Djivan Gasparyan, légende du duduk arménien, est mort à 92 ans

Il était le maître et la référence du duduk (ou "doudouk"), cet instrument traditionnel arménien à vent dont le son poignant, profond, identifiable au premier souffle, a fait le tour du monde. Il s'est éteint mardi 6 juillet en Arménie.

Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Le virtuose du duduk Djivan Gasparyan sur scène le 14 août 2015 à Moscou (EVGENYA NOVOZHENINA / SPUTNIK / AFP)

Le maître du duduk, comme il était habituellement surnommé, est mort mardi 6 juillet en Arménie à l'âge de 92 ans, a annoncé sur Facebook son petit-fils Djivan Gasparyan Jr, sans donner plus de détails : "Le monde vient de subir une perte inimaginable cette nuit. Pas seulement une icône, mais aussi une belle âme." 
Djivan Gasparyan était une référence mondiale et un ambassadeur de la musique de son pays. Instrument traditionnel emblématique d'un peuple, porte-voix de l'âme millénaire des montagnes d'Arménie, sous les doigts de Djivan, le duduk a résonné dans le monde entier, jusqu'à certaines grandes productions hollywoodiennes. La mort de Gasparyan a causé une émotion bien au-delà des frontières arméniennes, des artistes comme Peter Gabriel et Brian May (du groupe Queen) lui ayant rendu hommage.

Une jeunesse en Arménie soviétique

Djivan Gasparyan est né le 12 octobre 1928 à Solak, village situé à quelques kilomètres au nord-est d'Erevan, dans une Arménie sous joug soviétique. Dès l'âge de 6 ans, il étudie le duduk, un genre de hautbois à hanche double, un instrument au son d'une beauté, d'une profondeur et d'une expressivité inouïes. Son enfance est douloureuse : en 1941, sa mère meurt et son père doit partir faire la guerre. Il joue dans la rue pour quelques bouchées de pain, afin de nourrir sa sœur, son frère et lui-même, confiera-t-il en 2019 au site britannique SongLines : "J'ai appris que le pouvoir du duduk vient de l'expression que vous y mettez."

En 1947, Djiavan Gasparyan part pour Moscou avec un ensemble amateur. Il reçoit bientôt une montre des mains de Staline après un concert, mais, fauché, il la revendra. En 1949, il intègre une formation nationale de chants et danses folkloriques d'Arménie. Il collectionne les distinctions et acquiert rapidement une grande renommée dans son pays.

La consécration internationale arrive à la fin des années 1980, grâce à des artistes britanniques. Brian Eno, célèbre musicien et producteur, invite Gasparyan à Londres après l'avoir vu jouer à Moscou. Il reprend sur son label un de ses albums sorti en 1983 (Armenian Folk Tunes) sous un nouveau titre, I Will Not Be Sad in This World.



Le chanteur britannique Peter Gabriel, en pleine exploration musicale au moment d'écrire l'album Passion, la bande originale du film La Dernière Tentation du Christ de Martin Scorsese, découvre sa musique et tombe sous le charme du duduk arménien. Il intégrera cet instrument à Passion et contribuera à le faire connaître dans le monde.

Multiples collaborations internationales

Par la suite, Djivan Gasparyan enchaîne les collaborations internationales. Il travaille avec le quatuor à cordes californien Kronos Quartet, le musicien turc Erkan Oğur - pour un symbole fort de fraternisation - , le luthiste iranien Hossein Alizadeh, la légende pakistanaise Nusrat Fateh Ali Khan, mais aussi avec le compositeur canadien Michael Brook pour le label Real World de Peter Gabriel. En 2004, il participe notamment à la bande originale du film Gladiator de Ridley Scott, en collaboration avec le compositeur Hans Zimmer. Un juste retour des choses pour celui qui confiait à SongLines que dans son enfance, il écoutait avec fascination, au cinéma, les joueurs de duduk qui accompagnaient les films muets...



En 1996, Djivan Gasparyan a joué aux côtés du célèbre chanteur américain Lionel Lionel pour la chanson Now You're Gone.


En 2010, Djivan Gasparyan a accompagné sur scène la candidate de l'Arménie à l'Eurovision, Eva Rivas. Au cours de sa carrière, Djivan Gasparyan aura sorti plus de vingt albums, participé à un millier d'enregistrements et à des milliers de concerts. Il aura aussi enseigné son art au conservatoire d'Erevan, formant de nombeux dudukistes.
Djivan Gasparyan, Peter Gabriel et Brian May sur scène à Tromsø, en Norvège, en juin 2005 pour l'un des concerts de la série "46664" organisée par la Fondation Mandela. Ils jouent un extrait de la musique de La Dernière Tentation du Christ.

Peter Gabriel, Brian May, Artyom Minasyan et Didier Malherbe lui rendent hommage

Le musicien Artyom Minasyan, virtuose du duduk qui mène sa carrière entre Paris et Erevan, a rendu hommage mercredi, auprès de Franceinfo Culture, à Djivan Gasparyan, "un grand maître du duduk, qui a écrit des morceaux instrumentaux, chanté aussi. Il nous a transmis énormément de choses. C'est la référence pour tous les dudukistes. C'est grâce à lui que le monde connaît cet instrument."

Peter Gabriel a rendu un hommage émouvant à Djivan Gasparyan sur son site et sur les réseaux sociaux : "En Arménie, on dit que lorsque le duduk est bien joué, tout le monde pleure. Le grand maître de l'instrument était Djivan Gasparyan. C'était un compagnon délicieux, avec un grand sens de l'espièglerie et j'aimais cette âme qui se déversait de lui quand nous avions la chance de le voir ou de jouer avec lui. Un soir aux studios Real World, il s'est levé dans la salle à manger au milieu du repas et a dit : 'Je joue ça pour ma mère.' Pas un œil sec dans la pièce. Lorsqu'il portait son duduk à ses lèvres, il jetait un sort à tous ceux qui écoutaient. Merci Djivan."

Sur Instagram, le guitariste de Queen Brian May s'est dit "si triste" de la disparition de Djivan Gasparyan, "le maître du beau duduk, l'unique instrument à vent qui semble porter une tristesse dans son âme. J'ai eu l'honneur de travailler et jouer avec Djivan à plus d'une occasion (...). C'était un homme aimable et généreux. Il avait toujours l'air en paix avec lui-même et avec le monde."


Didier Malherbe : souvenirs d'Arménie avec Djivan


Le jazzman français Didier Malherbe (Hadouk Trio, Gong), joueur de duduk, a rendu hommage mercredi soir, auprès de Franceinfo Culture, à Djivan Gasparyan, "un homme merveilleux, extrêmement chaleureux". "Il a été important pour l'enseignement de son instrument dans son pays. Aujourd'hui, en Arménie, il y a beaucoup d'excellents joueurs de duduk. Djivan avait aussi une voix très belle, très émouvante. Il avait cette chanson sur sa mère, Mayrig, qui faisait pleurer les deux tiers du public ! Il était très émotionnel. Je me rappelle d'une répétition au Bolchoï avec lui, où il a fait pleurer le personnel du théâtre avec cette chanson !"
Didier Malherbe et le guitariste Patrice Meyer auprès de Djivan Gasparyan en 2001

"J'ai appris le duduk par moi-même, pour avoir un contact personnel avec l'instrument. Je me suis entraîné avec des disques et il y avait évidemment ceux de Djivan. Après la sortie du premier album du Hadouk Trio, j'ai été invité au premier festival international du duduk, en 2001 Ça coïncidait avec l'anniversaire de l'adoption du christianisme comme religion d'État [ndlr : en l'an 301]. On était peu nombreux à venir de l'étranger. J'avais fait le voyage avec le guitariste Patrice Meyer. Le premier jour du festival, on a joué à Gyumri après avoir répété deux ou trois jours avec Djivan. Le lendemain on a joué à Erevan où il faisait très chaud, c'était l'été. Puis Djivan nous a invités, Patrice Meyer et moi, dans sa maison à une dizaine de kilomètres d'Erevan. Il nous a accueillis de manière princière. C'était un bon vivant, il aimait beaucoup faire la fête, il était bonne franquette ! Il ne parlait pas français, il parlait très mal l'anglais, alors on avait du mal à communiquer. On parlait par gestes, ou avec l'aide des amis.

En 2002, il m'a invité à faire une tournée avec lui en Russie où il était très célèbre. On a joué au Bolchoï, au conservatoire Tchaïkovski de Saint-Pétersbourg... J'ai des souvenirs incroyables. Il conduisait en pleine nuit à bord de sa Mercedes où nous avions pris place... Je me souviens qu'il nous a accompagnés en voiture à l'aéroport. Il aimait conduire sa Mercedes mais il grillait les feux rouges ! Mais il était hors d'atteinte, c'était un héros national !"

Hommages officiels à Erevan

Enfin, la diplomatie arménienne a également rendu hommage mardi au musicien disparu, via son compte Twitter officiel en anglais : "Nous sommes profondément désolé d'apprendre que le musicien et compositeur de renommée mondiale Djivan Gasparyan est décédé (1928-2021). Toute la Nation se souviendra toujours de vous avec affection, maître du duduk."

De son côté, le Premier ministre Nikol Pashinian a exprimé "sa profonde tristesse" dans un message relayé par le site Armenews.com : "Tout au long de sa carrière artistique, le célèbre maître a répandu la gloire du duduk arménien en se produisant sur de nombreuses scènes célèbres, en présentant les sons de la musique arménienne dans des films, en coopérant avec des compositeurs populaires et des musiciens de renommée internationale. Notre Nation et la communauté musicale mondiale considéraient Djivan Gasparyan comme un intellectuel arménien exceptionnel et le classaient parmi les Grands de l’art mondial, et nous étions fiers de lui et nous nous en inspirions."


Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.