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Interview Do Montebello : "Birdy Heart", un chant poétique venu du cœur

Les urgences écologiques et humanitaires la hantent. Mais au chaos du monde, Do Montebello répond par un chant d'une étonnante sérénité, celui de son splendide album "Birdy Heart". Citoyenne du monde, l'artiste française fait fi des frontières musicales, évoluant entre musique brésilienne, jazz et chanson française. Elle chante ce vendredi soir à Thiais, au Festival de Bossa Nova. Rencontre.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Do Montebello en concert au Studio de l'Ermitage, à Paris, avec le bassiste Ricardo Feijão en arrière-plan (10 novembre 2015)
 (Jean-François Mousseau)

Quatre ans après des débuts discographiques réussis avec "Adamah", Do Montebello, chanteuse aussi attachante qu'inclassable originaire d'Albi, a sorti en septembre un nouvel album, "Birdy Heart", sur le label Frémeaux & Associés. L'artiste y propose plusieurs nouvelles chansons qu'elle cosigne avec son "alter ego musical" Sergio Farias, comme elle aime à le qualifier. Ce formidable guitariste, arrangeur et compositeur met ses textes en musique en les posant dans "le panorama" idéal à la façon d'"un metteur en scène, un cinéaste", dit-elle encore de lui.

Do Montebello a également glissé quelques belles reprises dans son disque, des morceaux de Tom Jobim, Horace Silver, Joyce Moreno ou Edu Lobo, dont la chanson "Quase Sembre" (1980), à forte tonalité politique, prend une résonnance particulière dans la situation politique actuelle au Brésil. La chanteuse s'entoure enfin d'invités de prestige comme le violoncelliste Jaques Morelenbaum, le guitariste Toninho Horta ou l'accordéoniste Marc Berthoumieux. Dans "Birdy Heart", Do Montebello, qui chante avec autant de pertinence en portugais, en français ou en anglais, nous rappelle que sa première langue, c'est la poésie. Loin des fracas d'un monde à la dérive, son disque introspectif, intimiste et profond irradie d'une étonnante sérénité, une lumière intérieure qui réconforte.

Le 10 octobre dernier, Do Montebello, entourée d'une "dream team" franco-brésilienne, a enchanté l'Alhambra, à Paris. Elle se produit ce vendredi soir à Thiais, dans le Val-de-Marne, dans le cadre du Festival de Bossa Nova.


- Culturebox : Birdy Heart, c'est qui, ou c'est quoi ? Pouvez-vous m'expliquer cette image, ce personnage de "l'oiseau-cœur" ?
- Do Montebello : Dans toutes les cultures du monde, on associe l'âme à un oiseau, ou à une plume, à sa légèreté... En Égypte, au moment du passage dans l'au-delà, on soupèse l'âme afin de déterminer son poids de légèreté plutôt que de lourdeur... J'ai eu envie d'imaginer où elle pouvait se nicher dans une vie humaine. Tous les poètes parlent de l'âme, beaucoup d'expressions y font référence. Je me suis dit que si on ne voit pas cette âme, elle, nul doute qu'elle nous voit. Elle sait. Je la vois comme un oiseau lumineux, rieur, transgresseur et coquin qui sait très bien se jouer de nous, de nos états, de nos émotions.

Je me suis dit : "Pourquoi ne pas imaginer qu'elle se niche dans le cœur, derrière notre cage thoracique..." Dans sa chanson "Les pas", Claude Nougaro disait : "Par les persiennes de mes côtes, mon cœur tout là-bas te voyait." Il y a cette idée, peut-être, d'une entité vivante qui serait nichée là, aussi légère et secrète qu'un oiseau. "Birdy Heart", c'est cette dualité : malgré cette cage, mon oiseau-cœur vit là. Ce qui est curieux, c'est qu'il pourrait parfois s'envoler avec une chanson d'amour... mais non ! Il reste, il n'a pas envie de s'enfuir parce qu'il est heureux de chanter là. On est pris dans cette ambivalence.
- Cette thématique est-elle le fil conducteur du répertoire de votre album ?
- Oui. Dans les chansons que j'ai choisies, comme celles que j'ai écrites, on trouve cette ambivalence, cette dualité dans laquelle nous nous trouvons. J'ai choisi des thèmes qui évoquent une chose et son contraire. Nous sommes pris entre l'ombre et la lumière, entre le chaud et le froid... Et nous sommes pris dans la matière, dans un corps, et l'âme se trouve dans ce corps.

J'ai ressenti le besoin de travailler sur ce disque dès la sortie d'"Adamah". J'ai eu envie de m'interroger : c'est quoi, la vie d'un homme ? C'est quoi, la vie, si tant est qu'on puisse penser que l'âme est éternelle et que c'est à travers elle que nous accédons à d'autres niveaux d'état ? J'ai voulu simplement poser mon regard sur ce qui, tant dans les compositions que dans les reprises, interroge sur ce grand paysage qu'est notre intérieur.

J'ai voulu un album très silencieux. Les êtres attendent des années avant d'aller vers le silence de leur écoute.


- "Birdy Heart" est en effet un disque au climat très introspectif, intimiste.
- J'ai voulu un album très silencieux. Nous vivons dans des villes-vacarme. Certains poètes, auteurs, peintres, se mettent au silence. Je ne peux pas ne pas aller, à un moment, dans la nature pour y puiser de la beauté et réfléchir sur mon travail d'artiste. Ce qui est intéressant, c'est que les êtres attendent des années avant d'aller vers le silence de leur écoute : ils ont l'impression que ce silence est lié à la mort, alors que c'est lié à la vie. J'ai la sensation que plus on écoute son intériorité dans le silence, plus on a des chances de trouver la joie, la lumière. C'est le contraire de la dispersion. Quelque chose nous attend là, profondément à l'intérieur, et qui nous aime jalousement.

- Dans votre premier album "Adamah", vous vous mobilisiez pour l'environnement et des questions humanitaires comme celle des migrants. Quatre ans plus tard, que ressentez-vous ?
- "Adamah" traduisait déjà une urgence dans les chansons "Terra", "Hilda Francisco Acena". Dans "Birdy Heart", mon regard reste rivé à l’humain et il ne relève aucunement du hasard que d’avoir fait le choix d’un clip sur le thème "The Volcano" où il est question de migration liée à la guerre et à sa folie meurtrière. Aujourd’hui, je ressens un clivage doublé d’une quasi surdité entre les "acteurs" - un terme qui me fait sourire - politiques et la communauté scientifique qui tire la sonnette d’alarme pour ne pas dire le tocsin depuis des années quant à la situation engendrée par le réchauffement climatique. La planète agonise de mille manières mais la survie humaine ne semble pas ou peu importer au monde affairiste et celui des lobbies davantage centrés sur la rentabilité insatiable. Traîner des deux pieds pour la mise en œuvre de solutions écoresponsables, c’est un peu comme si devant l’urgence, on s’offrait le luxe de fermer les yeux en se disant "on va réfléchir" !

- Alors qu'il y a plus de motifs de se révolter et de s'inquiéter que de se réjouir, comment réussissez-vous ce magnifique paradoxe de glisser tant de paix, de sérénité, de lumière dans près d'une heure de musique ?
- Je crois qu'on y arrive en ayant bien à cœur que dans chaque être humain, il y a un besoin qui, parfois, n'ose pas se dire ou se transgresse. On est tous constitués de la même façon, y compris les personnes qui pourraient nous paraître absolument sordides : il y a quelque part, en chacun de nous, un besoin d'être aimé et un besoin d'aimer. Dans ma musique, ce qui est très important, c'est de me rapprocher au maximum de l'amour que je reçois de la musique et l'amour que je lui chante. Elle me donne son amour, j'essaye de lui donner mon chant. C'est fondamental. On pourrait imaginer que je suis quelqu'un de doux, mais en vérité, je suis capable d'une grande puissance et de grosses colères. Ce n'est pas le sujet. Ce qui compte, c'est de revenir toujours à ce fondamental de la vie humaine : aimer.
- Quand vous écrivez un texte, qu'est-ce qui détermine qu'il sera en portugais, en français ou en anglais ? L'inspiration vous vient-elle de la même manière que pour "Adamah", quand certains mots vous étaient venus à l'esprit et avaient déclenché votre processus d'écriture ?
- Ce qui m'importe beaucoup quand j'écris un texte, c'est qu'il y ait une musique dans les mots. Il faut que ça coule, que ça résonne, qu'il y ait quelque chose qui égrène des notes... J'ai presque envie de dire que je me sens traversée. J'ai envie de dire que ce n'est jamais moi qui choisis, mais que quelque chose s'impose à moi de manière péremptoire. Je n'ai pas le choix. Paul Valéry disait que le premier vers était un don des Dieux. Il l'a dit au pluriel, c'est très joli. Moi, j'ai envie de dire : "Le premier vers, c'est comme un état de grâce." C'est quelque chose d'incroyable.

Je suis très reconnaissante, car les mots "In spite of this rib cage, my birdy heart lives there" [ndlr : "malgré cette cage thoracique, mon oiseau cœur y vit", quasiment les premiers mots de la chanson "Birdy heart"] me sont venus d'un coup, en anglais. J'avais donné un concert à L'Européen, à Paris, en mai 2014. Et à la fin juin 2014, j'ai reçu cette phrase. J'ai vu l'image, subitement. C'est le premier thème qui m'a été soufflé pour choisir les autres thèmes qui composeraient le disque. C'est à partir de ces simples mots qu'est venu tout l'album. J'ai été très touchée en les recevant. Je tenais quelque chose qui allait m'emmener très loin. Pour Sergio Farias, qui compose les musiques à partir de mes textes, la musique de "Birdy Heart" est également venue d'un coup, sans effort. Il a eu la sensation d'avoir été nourri de quelque chose. Il m'a dit : "Do, cette chanson, c'est une bénédiction."

Le violoncelle enchanteur de Jaques Morelenbaum

Jaques Morelenbaum, célèbre violoncelliste, compositeur, arrangeur et producteur carioca, qui a travaillé avec des légendes du Brésil comme Tom Jobim et Caetano Veloso, figure parmi les invités de marque de "Birdy Heart". Il apporte une contribution pleine de grâce et de beauté sur plusieurs morceaux du disque.

"Pour des morceaux comme 'Outrenoir', qui est un hommage à Pierre Soulages, je sentais qu'il fallait la participation de Jaques Morelenbaum. Ça ne pouvait être que le violoncelle. Et quel violoncelle ! On a enregistré à Rio la partie violoncelle du disque. C'était formidable. Chez Jaques Morelenbaum, il y a une profondeur... J'ose dire qu'il est à la dimension d'un Pablo Casals [ndlr : légendaire violoncelliste espagnol]. Quand je vois son archet, j'ai la sensation que c'est un être humain. On sent que c'est sa main qui se prolonge dans l'archet, et qui va chercher la note... J'ai été subjuguée par le travail, le son de Morelenbaum. Dans 'Outrenoir', c'est comme s'il faisait émerger la peinture de Soulages. Ce que j'adore chez ce peintre, c'est que dans tout ce noir que l'on peut regarder, en fonction de comment on se déplace, il y a de la lumière qui émerge d'une manière formidable. C'est ce que veut dire cette chanson. Malgré l'adversité, rien n'est impossible à des personnes qui s'aiment, l'amour transgresse tout. Et ce que Jaques met au service de ce texte, c'est de l'amour ! Il a mis tellement d'amour dans ce morceau ! Je n'ai pas de mots pour exprimer ce qu'a été ma rencontre avec Jaques Morelenbaum. C'est quelqu'un qui peut tout jouer. J'ai découvert une très, très belle personne. C'est rare. C'est la classe absolue."

Do Montebello en concert
Vendredi 30 novembre 2018 à Thiais (94), Festival de Bossa Nova, 20H30
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