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Al Musiqa, l'expo à la rencontre des musiques arabes, à la Philharmonie
Jusqu'au 19 août 2018, les musiques du monde arabe, de la période préislamique à nos jours, sont à l'honneur à la Philharmonie de Paris. L'exposition Al Musiqa prend une dimension particulière dans le contexte géopolitique récent. Elle rappelle la richesse, la complexité et la diversité d'une culture en interaction avec la nôtre. La commissaire nous présente quelques-unes de ses œuvres préférées.
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Al Musiqa, c'est une exploration visuelle, sonore, multi-sensorielle du monde musical arabe, qu'il soit vocal ou instrumental, des musiques préislamiques à l'électro chaâbi née dans les quartiers pauvres du Caire en passant par l'incontournable Oum Kalthoum et les appels du muezzin à la prière depuis les minarets.
Véronique Rieffel, commissaire de l'exposition, travaillait en Égypte quand en 2014, la Philharmonie lui a proposé d'organiser l'événement. Al Musiqa, dont l'idée a donc germé avant les premiers attentats de 2015, tombe à point nommé pour présenter un univers aux antipodes des stéréotypes. "J'ai commencé à travailler concrètement sur l'exposition après les attentats", se souvient la commissaire. "La question s'est posée de maintenir ou pas ce projet. J'ai estimé que c'était une raison de plus pour le faire. Quand de telles tragédies se produisent, il se dit beaucoup de choses, dans tous les sens, et il est important d'avoir des points de repère. Il faut sortir d'une appréhension purement sociologique, politique et religieuse pour parler aussi de phénomènes et faits culturels et les resituer sur un temps long."
Al Musiqa propose un voyage savoureux, ponctué de couleurs, d'images, de vidéos, de sons, de chansons, d'objets mais aussi de senteurs. La scénographie est signée Matali Crasset. On peut imaginer le casse-tête qu'a dû représenter le choix des œuvres face à un sujet aussi vaste et complexe. L'excellent catalogue de l'exposition s'impose pour approfondir cette découverte.
Parmi les œuvres et installations les plus notables, on citera l'impressionnant mur de portraits, d'Anouar El-Sadate à Dalida, réalisé par Chant Avedissian, artiste arménien du Caire, l'étonnante galerie d'instruments de musique ou encore ce fascinant "jardin numérique" qui se transforme sous nos pieds. Des motifs géométriques arabes à la création numérique, il n'y a qu'un pas. "Le propos de l'exposition consiste aussi à démontrer que les musiques arabes ne sont pas des musiques exotiques, lointaines, mais qu'il y a énormément de rapprochements à faire avec nos codes esthétiques et culturels", souligne Véronique Rieffel.
Les musiques classiques et populaires, religieuses et profanes, rurales et urbaines sont à découvrir au fil de l'exposition grâce à des scopitones, des salles dédiées au raï et à l'électro où résonnent de superbes musiques (ne ratez pas l'installation Love & Revenge où fusionnent en beauté sons du passé et du présent), et bien sûr via un casque fourni à l'entrée qui permet de découvrir un énorme patrimoine. Les enfants peuvent expérimenter des percussions. Plus loin, un qanoun, cythare sur table, est mis à la disposition des curieux. Interdit en revanche de toucher au beau "piano oriental" créé par le Libanais Abdallah Chahine dans les années 60 et dont l'arrière-petite-fille a fait une bande-dessinée (il est présenté dans une vidéo).
Nous avons demandé à la commissaire de l'exposition Véronique Rieffel de nous parler de quelques œuvres et installations qui lui tiennent à cœur.
"Ces tambours montrent à quel point musique et arts visuels sont liés. Ils descendent du ciel, interpellent, forment comme une espèce de ronde, ce qui fait aussi penser à la danse. Cela évoque également la façon de rythmer un espace, comment la musique peut être présente même dans le silence. Placée dans la première salle de l'exposition, c'est une œuvre introductive intéressante : on est dans le désert, le désert c'est le silence, mais c'est du silence que viennent le son et le verbe. Ces tambours permettent toute cette émergence. D'emblée, il s'agit de regarder un peu en l'air parce qu'il y a beaucoup de choses à voir en hauteur dans cette exposition, comme le minaret qui se transforme en muezzzin à certains moments."
"J'aime beaucoup cette œuvre de Miguel Chevalier, l'un des rares artistes d'Al Musiqa qui ne soient pas originaires du monde arabe. C'est un plasticien qui travaille au Maroc. Il est très inspiré par les arts de l'islam. Pour lui, l'art islamique, avec ses motifs qui se répètent à l'infini, est très proche de l'abstraction et de la création numérique. Je trouve vraiment très beau ce tapis magique, numérique, ce jardin un peu mouvant. Les motifs interagissent différemment en fonction du nombre de personnes. Dans un espace d'exposition, j'aime qu'on se sente à l'aise, qu'on puisse se promener, déambuler, passer du temps, écouter des sons différents, sentir des odeurs, il y a des effluves de jasmin dans l'exposition. J'aime faire partie de l'œuvre, qu'elle ne soit pas extérieure à moi mais que je puisse interagir avec elle."
"J'aime beaucoup ces œuvres de Najia Mehadji. C'est beau et hypnotisant. J'ai beaucoup discuté avec l'artiste qui préfère laisser aux gens la liberté d'interpréter ces œuvres comme ils le ressentent. Elle m'a expliqué que certaines personnes y voyaient des coquillages..."
"Cette œuvre me tient à cœur car j'aimais beaucoup l'artiste marocaine qui a été tuée dans les attentats de Ouagadougou il y a deux ans. Leïla Alaoui se trouvait là-bas pour un reportage sur les femmes et les jeunes filles. On est très heureux de montrer cette série des "Marocains", enrichie d'images inédites que détenait sa famille. Son entourage nous a beaucoup aidés à monter ce projet. On peut aussi entendre des musiques que j'ai choisies avec sa famille et ses amis. Il s'agit de musiques gnawas que Leïla écoutait et aimait beaucoup. Je connaissais Leïla et je tenais à lui rendre hommage. Elle avait une personnalité tellement solaire. Elle vivait entre le Maroc, le Liban et la France. Les expositions de musique peuvent être très peu visuelles. Or j'estime qu'il faut pouvoir voir des choses. Les artistes originaires du monde arabe montrent souvent de la musique dans leurs œuvres plastiques, tellement la musique est centrale."
"Ce mur d'instruments est très beau. Une exposition, c'est toute une équipe qui se déploie derrière la commissaire, je ne suis pas toute seule. Je trouve vraiment extraordinaire le travail des conservateurs de musée, des convoyeurs, des socleurs qui ont réalisé ce mur. J'ai été moi-même surprise de le découvrir. Je ne pensais pas que ce serait aussi beau."
"S'il y avait une œuvre à retenir, ce serait celle-là, que j'aime énormément et qui m'a été prêtée par le Mathaf [ndlr : musée arabe d'art moderne au Qatar]. Cinquante-quatre images forment une sorte de mur, ode à l'âge d'or du monde arabe, de l'Égypte, une Égypte joyeuse, rayonnante, puissante, sensuelle, fière de sa culture. C'est comme ça qu'on a envie de voir le monde arabe et l'Égypte aujourd'hui. Pour moi, c'est une sorte de mur des motivations ! Il y a des icônes plus belles les unes que les autres, mais il y a aussi des inconnus : l'homme qui lit son journal, la petite famille réunie autour du poste de radio qui vient d'arriver au foyer, les gens qui jouent à la tawla, le backgammon égyptien... Les noms des artistes sur les portraits ne sont pas indiqués en français. J'aime l'idée de ne pas donner toutes les cartes au visiteur, de le laisser trouver par lui-même quelques informations, afin qu'il reste actif et prolonge l'exposition..."
"J'aime beaucoup ce petit coin où on entend de la musique de la période abbasside. J'imagine, quand on vient en famille, qu'on peut se poser sur le banc, regarder ses enfants jouer... Cette exposition, c'est aussi la découverte d'une autre temporalité. J'invite les gens à prendre le temps ! S'immerger dans les cultures arabes, c'est aussi s'immerger dans un temps différent. Être dans l'instant présent."
La playlist de l'exposition
Al Musiqa, voix et musiques du monde arabe
6 avril - 19 août 2018
Philharmonie de Paris
221, avenue Jean-Jaurès, Paris 19e
Véronique Rieffel, commissaire de l'exposition, travaillait en Égypte quand en 2014, la Philharmonie lui a proposé d'organiser l'événement. Al Musiqa, dont l'idée a donc germé avant les premiers attentats de 2015, tombe à point nommé pour présenter un univers aux antipodes des stéréotypes. "J'ai commencé à travailler concrètement sur l'exposition après les attentats", se souvient la commissaire. "La question s'est posée de maintenir ou pas ce projet. J'ai estimé que c'était une raison de plus pour le faire. Quand de telles tragédies se produisent, il se dit beaucoup de choses, dans tous les sens, et il est important d'avoir des points de repère. Il faut sortir d'une appréhension purement sociologique, politique et religieuse pour parler aussi de phénomènes et faits culturels et les resituer sur un temps long."
"Du temps de la naissance de l'islam, on faisait de la musique"
Les attentats ont-ils eu une incidence sur le contenu de l'exposition ? "Il y a peut-être eu une influence, avec l'idée de ne pas être dans quelque chose d'uniquement contemporain", confie Véronique Rieffel. "Cette approche contemporaine possède un socle très ancien. Du temps de la naissance de l'islam et bien avant, on faisait de la musique. Il n'y a pas cet interdit que certains mouvements marginaux, rigoristes, voudraient laisser penser."Al Musiqa propose un voyage savoureux, ponctué de couleurs, d'images, de vidéos, de sons, de chansons, d'objets mais aussi de senteurs. La scénographie est signée Matali Crasset. On peut imaginer le casse-tête qu'a dû représenter le choix des œuvres face à un sujet aussi vaste et complexe. L'excellent catalogue de l'exposition s'impose pour approfondir cette découverte.
Parmi les œuvres et installations les plus notables, on citera l'impressionnant mur de portraits, d'Anouar El-Sadate à Dalida, réalisé par Chant Avedissian, artiste arménien du Caire, l'étonnante galerie d'instruments de musique ou encore ce fascinant "jardin numérique" qui se transforme sous nos pieds. Des motifs géométriques arabes à la création numérique, il n'y a qu'un pas. "Le propos de l'exposition consiste aussi à démontrer que les musiques arabes ne sont pas des musiques exotiques, lointaines, mais qu'il y a énormément de rapprochements à faire avec nos codes esthétiques et culturels", souligne Véronique Rieffel.
Les musiques classiques et populaires, religieuses et profanes, rurales et urbaines sont à découvrir au fil de l'exposition grâce à des scopitones, des salles dédiées au raï et à l'électro où résonnent de superbes musiques (ne ratez pas l'installation Love & Revenge où fusionnent en beauté sons du passé et du présent), et bien sûr via un casque fourni à l'entrée qui permet de découvrir un énorme patrimoine. Les enfants peuvent expérimenter des percussions. Plus loin, un qanoun, cythare sur table, est mis à la disposition des curieux. Interdit en revanche de toucher au beau "piano oriental" créé par le Libanais Abdallah Chahine dans les années 60 et dont l'arrière-petite-fille a fait une bande-dessinée (il est présenté dans une vidéo).
Nous avons demandé à la commissaire de l'exposition Véronique Rieffel de nous parler de quelques œuvres et installations qui lui tiennent à cœur.
1
Les tambours suspendus au dessus de l'entrée de l'expo : "Douroub" de Nja Mahdaoui
2
Un jardin interactif sous nos pas : "Arabesques numériques" de Miguel Chevalier
3
Une série photographique inspirée par les derviches tourneurs : "Mystic Dance" de Najia Mehadji
4
Des portraits qui défilent sur un écran noir, par une artiste disparue dans un attentat : "Les Marocains" de Leïla Alaoui
5
Un mur d'instruments dans une vaste vitrine
6
Un mur de portraits : Icons of the Nile (icônes du Nil), de Chant Avedissian
7
Un discret espace de repos et d'écoute de musiques arabes
La playlist de l'exposition
Al Musiqa, voix et musiques du monde arabe
6 avril - 19 août 2018
Philharmonie de Paris
221, avenue Jean-Jaurès, Paris 19e
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