Thomas Savy, un album bleu, jazz, blues
Né le 11 novembre 1972 à Paris, Thomas Savy se souvient avoir débuté la clarinette basse vers ses 15 ans, après quinze années de clarinette classique. Il a fini ses études au Conservatoire national supérieur de Paris en classe de jazz. Au début des années 2000, il a entamé une carrière de sideman avant de réunir, pour son premier projet personnel, un casting de choix en 2004 : Michael Felberbaum à la guitare, Pierre de Bethmann aux claviers, Stéphane Kerecki à la contrebasse et le Canadien Karl Jannuska à la batterie.
Avec ce groupe nommé Archipel, le clarinettiste basse a sorti en 2006 un premier album éponyme. En 2010, un autre projet intitulé "French Suite", réalisé en trio, lui a valu une nomination comme "Révélation" aux Victoires du jazz en 2010.
Dix ans après la formation d'Archipel, Thomas Savy a réuni ses vieux amis sous la bannière "Archipel 2". La suite de l'aventure s'appelle "Bleu". Un disque aux climats intimistes et mélancoliques.
- Thomas Savy : J'ai fait le premier "Archipel" après avoir beaucoup joué en sideman et avoir connu quelques expériences en leader dans des clubs. Pour "Archipel", j'avais réuni un groupe qui comptait à la fois des gens que j'aimais bien, qui jouaient bien, et qui jouaient bien ensemble. J'avais beaucoup réfléchi avant de former ce casting et au final, j'étais très content parce que ça fonctionnait plutôt bien. Au moment de la sortie du premier disque, on a fait quelques concerts et j'en garde un très beau souvenir. Je connais les musiciens depuis très longtemps. Je connais Michael Felberbaum depuis 1990, il habitait en face de chez mes parents. J'ai rencontré Stéphane Kerecki quand il est rentré au conservatoire en 1995. J'ai connu Pierre de Bethmann dans dans clubs, puis Karl Jannuska quand il est arrivé à Paris... On a également beaucoup joué ensemble dans différentes circonstances. Je viens de participer à l'enregistrement du dernier album de Pierre. On partage nos vies, en fait. C'est agréable d'engranger de l'expérience et de vieillir comme ça.
- Comme des vieux amis, en fait...
- Oui, et en sachant exactement quoi écrire pour mettre à l'aise les sidemen dans un projet, afin qu'il s'y épanouissent et trouvent leurs marques. C'est le rôle d'un directeur de projet. Avec cet orchestre, quand je demande telle ou telle chose à Michael à la guitare, je sais exactement comment ça va sonner, je connais son son depuis 25 ans. Il y a des liens d'amitié, extra-musicaux, très forts. On se connaît, on vieillit, on a eu des enfants... - Et du coup, vous leur avez confié quelques compositions du disque...
- Ils en ont écrit trois (Karl Jannuska, Stéphane Kerecki et Michael Felberbaum, ndlr). J'ai écrit six morceaux de l'album et ajouté un standard (de Thelonious Monk, ndlr). Je connais bien la façon d'écrire de Stéphane et Michael. L'album "Bleu" est un projet sur le blues. Les morceaux sont des blues ou bien tournent autour de cette forme. J'avais envie de confier des morceaux aux autres par crainte de ma propre monochromie ! Je craignais qu'on tourne en rond ! J'espérais que les copains apporteraient un éclairage différent, et c'est le cas.
- Pour les internautes qui ne vous connaissent pas encore, pouvez-vous rappeler l'origine du nom de votre projet, "Archipel" ?
- C'est un truc à double ou à triple détente. D'abord, j'ai passé énormément de temps sur l'archipel des Glénans où j'ai été moniteur de voile. C'est un endroit qui m'a marqué énormément. J'y ai eu des attaches très fortes, j'y ai perdu des gens. Apprendre à faire de la voile est une des choses qui a le plus compté dans ma vie. Par ailleurs, j'ai toujours été fasciné par l'Atlantique, j'ai passé toutes mes vacances dans le sud-ouest, au bord de l'Atlantique. Quand j'y suis, j'ai l'impression d'être branché sur le triphasé, c'est chez moi ! "Archipel", c'est donc ça, avec aussi l'idée du voyage, du bateau, du risque contrôlé, de la confiance entre les gens. D'autre part, comme on peut le lire dans le livret du CD, un archipel c'est un ensemble d'îles. Des îles différentes qui fonctionnent ensemble, à l'image de cet orchestre.
- Le titre "Bleu", c'est à la fois une allusion à la mer et au blues...
- La première thématique, "l'archipel", est devenue une bi-thématique avec l'histoire du blues. C'est comme faire un disque de standards. Soit on réinvente totalement la façon de jouer ces standards, et dans ce cas on est un génie comme Keith Jarrett, Miles Davis et John Coltrane. Soit on prend une forme telle qu'elle est, sans y toucher. Et à l'intérieur de cette forme ultra-classique, on essaye de faire quelque chose qui soit quand même différent. Je pense que c'est tout aussi révélateur de la personnalité des acteurs d'un projet que quand ils font table rase et créent une structure totalement nouvelle. - Êtes-vous content du résultat ?
- Fier comme un pou, de vous à moi ! Je suis très content. C'est un truc que je voulais faire depuis très longtemps, qui a tourné dans ma tête pendant des mois. Et du coup, quand j'écris, ça va très vite, parce que le boulot est déjà fait en amont sans forcément que je m'en rende compte, c'est un processus complètement incontrôlé et obsessionnel. À un moment, je me dis : "Allez, crac, j'écris !" Et puis c'est réglé. Mais j'essaye de casser le truc qui ferait trop cliché, trop classique.
- Comment le groupe s'est-il senti en se reformant après toutes ces années ?
- C'est sûr qu'en dix ans, on a tous considérablement progressé et évolué. En même temps, je n'étais pas surpris car on ne s'était jamais perdus de vue. C'est vrai que ça a fonctionné mieux. Tout concourait à ce que le résultat soit meilleur que le premier jet. Si le premier disque était réussi sous certains aspects, quand je le réécoute aujourd'hui, il sonne vraiment pour moi comme "un premier album". Le deuxième "Archipel" est beaucoup plus serein, tranquille. On n'a plus rien à prouver, on a des enfants, on continue à bosser. On a toujours du doute, de l'envie et des exigences, mais on a quand même acquis quelques certitudes. Pas trop quand même car la certitude est proche de la connerie à un certain degré... Quand on a 25 ans, on est un jeune loup, impatient, fougueux, énervé. Quand on a 40 ans, on est en pleine possession de ses moyens techniques, mais on est un peu moins pressé. Et on se rend compte que moins on est pressé, plus on va vite.
- Est-ce qu'il y aura un "Archipel 3" ?
- J'espère bien !
- Quelle a été votre réaction quand vous avez appris votre nomination aux Victoires du jazz ?
- J'étais très heureux. Je ne suis pas blasé, ça fait plaisir d'être invité à la fête avec le sérail ! Je suis très content, on va voir des images d'"Archipel" à la télévision, sur le service public, c'est vraiment bien. Et je suis ravi de vivre tout cela avec la clarinette basse, un instrument que j'adore. En termes de tessiture, c'est le registre d'un violoncelle. J'y ai adapté des choses que j'avais apprises à maîtriser en jouant du saxophone et des standards. Je suis un clarinettiste avec une culture de saxophoniste, ça me laisse le champ libre car je n'ai pas un tas de pas références sonores qui me viennent à l'esprit. J'essaye toujours de pousser plus loin cet instrument dans ses retranchements. La clarinette basse n'est pas un instrument facile, mais c'est celui sur lequel je me sens le mieux, le plus libre.
(Propos recueillis par A.Y. le 9 juin 2014)
> Thomas Savy joue ce jeudi 12 juin aux Victoires du Jazz 2014, à partir de 20H30
Parc floral de Vincennes
Accès à partir de 19h30 au tarif habituel de 5,50 euros
La deuxième partie de la cérémonie a lieu vendredi 13 juin au Parc floral et sur Culturebox
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