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The Ellipse, passionnante fresque sonore du violoniste Régis Huby, un temps fort de D'Jazz Nevers

Quinze musiciens, une combinaison d'instruments acoustiques et électriques, une floraison de timbres et de couleurs, une suite musicale intense pour raconter une histoire de rencontres, une histoire artistique et personnelle, celle de son compositeur Régis Huby. À la tête de cet ardent orchestre, le violoniste a enchanté cette semaine le public de D'Jazz Nevers.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Régis Huby (assis à la gauche de la scène) dirige l'ensemble The Ellipse à D'Jazz Nevers, au Théâtre municipal (13 novembre 2018)
 (Maxim François)

Régis Huby possède l'art secret de raconter des histoires. Il le démontre dans The Ellipse, une pièce en trois mouvements sous-titrée "Music for large ensemble" (un clin d'œil assumé à une pièce de Steve Reich), un hommage en grand format aux rencontres musicales de sa vie. L'œuvre a été créée le 7 décembre 2017 au Théâtre 71 de Malakoff lors d'une résidence de trois ans du violoniste.

Depuis cette création, il y a eu quelques changements dans l'effectif de l'orchestre mais The Ellipse continue l'aventure sur les scènes de France, dont celle de D'Jazz Nevers le 13 novembre dernier.

"L'un des points importants de la constitution de cet orchestre, c'est les gens qui le composent", nous confie Régis Huby avant le concert. "Je parle d'ellipse en référence aux orbites, à des trajectoires. C'est comme si on était tous en orbite, autour de la musique, et qu'à certains moments on se retrouve, on participe d'un point du noyau d'énergie. Dans cet orchestre, il y a des gens que je côtoie depuis 25, 30 ans. J'étais au collège avec Catherine Delaunay [ndlr : clarinette]. Je travaille avec Guillaume Roy [violon alto] depuis 25 ans. C'est un peu comme une famille. Et il y a aussi des gens avec qui je travaille pour la première fois, comme Pierrick Hardy [guitare]. Dans l'orchestre, beaucoup d'entre nous collaborent les uns avec les autres dans différents projets."

Une architecture sonore sophistiquée

Mardi 13 novembre, au théâtre municipal de Nevers, édifice séduisant, à taille humaine, récemment rouvert après travaux, c'est à un chatoiement de timbres, vibrant dans une architecture sonore sophistiquée, au service d'une narration intelligente et maîtrisée, qu'est convié le public. The Ellipse, ça parle donc de rencontres artistiques. Et l'œuvre reflète "ces connexions entre nous, ces parcours où l'on se rencontre, s'éloigne, se retrouve", annonce le violoniste sur scène au début du concert, évoquant "un rêve devenu réalité".

Tout au long de cette pièce d'environ 1h15 naviguant entre musique de chambre et big band puissant, Régis Huby dirigera l'orchestre, faisant des signes de la main, souriant parfois, toujours concentré, depuis sa place à la gauche de la scène, à l'extrémité d'un arc de cercle formé avec un violon alto, un violoncelle, un trombone, une clarinette basse, une clarinette, un saxophone soprano et une flûte. Derrière eux, s'alignent les claviers du piano et du Rhodes, une guitare acoustique, deux contrebasses, une batterie, une guitare électrique, un marimba et un vibraphone. Cette architecture circulaire reflète les mouvements narratifs de la partition.

"L'improvisation connecte les choses"

La pièce démarre sur un leitmotiv entêtant au vibraphone, peut-être un écho à la course du temps. Régis Huby a divisé sa partition en trois mouvements ayant pour thématique le passé, le présent (la partie la plus courte) et le futur. Ces mouvements - comme toutes les phases qui les composent - sont connectés et s'enchaînent avec beaucoup de subtilité. Il y a toujours au moins un instrument pour assurer les transitions, donnant une sensation de continuité à l'ensemble. "L'improvisation connecte les choses. Parfois, l'écriture se densifie. À certains moments, on ouvre une clairière pour laisser place à l'improvisation, ou quelquefois, il y a une trame écrite sur laquelle une improvisation se développe", nous a expliqué le violoniste.

De fait, tout au long de la pièce, des séquences de dialogues improvisés surgissent : piano et flûte, trombone et clarinette basse, guitare acoustique et vibraphone, violon et alto...
Régis Huby, Guillaume Roy, Atsushi Sakaï et Guillaume Séguron en répétition à D'Jazz Nevers (13 novembre 2018)
 (Annie Yanbékian / Culturebox)

"J'avais envie d'un orchestre d'individus"

"Ce dont j'avais vraiment envie, c'était d'un orchestre d'individus. Je veux que les gens, en l'écoutant, aient à la fois un son d'orchestre et puissent entendre et repérer chacun des instruments qui le composent. Ce qui est compliqué avec l'orchestre, c'est que tout le monde puisse exister, prendre la parole tout en formant quand même une masse de quinze musiciens. Il faut donc travailler à la fois sur le son de l'individu dans l'écriture et sur le timbre de l'orchestre dans son architecture", souligne Régis Huby.

En termes de sensation, The Ellipse évoque des figures circulaires. Lors de certaines phases collectives de l'orchestre, on pourrait aussi penser, parfois, au mouvement de l'océan, avec son impétuosité, sa puissance, ses crescendos, ses moments apaisés - en surface -, ses réactions mystérieuses. "Dans l'écriture, tous les claviers - marimba, piano... - sont tout le temps imbriqués. On l'est tous, de toute façon. C'est une écriture très compliquée et on doit absolument pouvoir s'entendre les uns et les autres. Il suffit qu'il y en ait un qui bouge un peu pour que tout le monde tombe."

On le croira volontiers en observant, lors du concert à D'Jazz Nevers, ces superpositions de rythmes complexes, ces enchevêtrements de phrases mélodiques et rythmiques, ces répétitions confinant parfois à la transe.

Régis Huby n'en est pas à sa première œuvre pour formation nombreuse. Par le passé, il a écrit un programme pour un octet comprenant trois chanteurs dont Lambert Wilson ("Nuit américaine", 2005), puis un autre, "All Around" (2010) pour la chanteuse et actrice Maria Laura Baccarini, qui intégrait onze musiciens. Pour "The Ellipse", il élargit l'effectif à quinze.
Le salut final à l'issue du concert au Théâtre municipal de Nevers (13 novembre 2018)
 (Maxim François)
Différentes formations ont inspiré le violoniste au moment de composer pour cet orchestre : "L'Ensemble Modern [ndlr : formation chambriste contemporaine allemande], l'Ensemble Ictus [basé à Bruxelles] et des travaux de certains musiciens de l'autre côté de l'Atlantique. Les compositeurs américains aiment bien ce genre d'ensembles. J'utilise d'ailleurs le terme de large ensemble un peu en référence à Steve Reich : dans sa pièce 'Music for 18 Musicians', l'orchestre sur scène a une architecture, ils sont tous totalement imbriqués, quelqu'un fait des signaux, il y a une forme de direction comme la nôtre."

À l'issue de la performance, le public de D'azz Nevers acclame les musiciens, conscient d'avoir participé à un moment d'exception, un concert parfaitement sonorisé (à condition tout de même de ne pas avoir pris place dans les tout premiers rangs à l'extrêmité des rangées, face aux puissantes enceintes placées en bord de scène sur chaque côté, où certains crescendos étaient décoiffants), et dans l'écrin délicieux d'un Théâtre municipal ragaillardi par sa cure de jouvence. Conformément à la tradition de D'Jazz Nevers, le concert a été suivi, au foyer, d'un débat permettant au public de dialoguer avec Régis Huby. Des instants qui donnent encore plus de saveur à ces festivals à dimension humaine.

Prochaines dates pour The Ellipse : Sénart (26 janvier 2019), Sète (12 février), Lisieux (2 mai), Cherbourg (3 mai)

L'équipe actuelle de The Ellipse
Régis Huby : violon, composition
Guillaume Roy : violon alto
Atsushi Sakai : violoncelle
Guillaume Séguron : contrebasse à archet
Matthias Mahler : trombone
Sylvaine Hélary : flûte
Jean-Marc Larché : saxoiphone soprano
Catherine Delaunay : clarinette soprano
Pierre-François Roussillon : clarinette basse
Olivier Benoît : guitare électrique
Pierrick Hardy : guitare acoustique
Bruno Angelini : piano, Fender Rhodes, électronique
Illya Amar : vibraphone
Claude Tchamitchian : contrebasse
Michele Rabbia : percussions, électronique
Sylvain Thévenard : ingénieur du son

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