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Michel Petrucciani, 20 ans déjà : avant un hommage à Paris, son fils Alexandre se souvient

Le 6 janvier 1999, le pianiste Michel Petrucciani s'éteignait à l'âge de 36 ans. Pour le vingtième anniversaire de sa disparition, son fils Alexandre se souvient de ce père parti trop tôt. Samedi 9 février, un concert-hommage se tient à la Seine Musicale, aux portes de Paris, en présence de nombreux musiciens dont le saxophoniste Joe Lovano, le batteur Aldo Romano et le pianiste Jacky Terrasson.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Michel Petrucciani (photo datée de 1994)
 (Leon Morris / Getty Images)

Qui de mieux qu'Alexandre Petrucciani, son fils, pour évoquer le souvenir du pianiste disparu il y a vingt ans ? Né le 15 mai 1990 aux Lilas, le jeune homme habite aujourd'hui à Tours. Comme son père, il est né avec l'ostéogénèse imparfaite, connue sous le nom de "maladie des os de verre" du fait de leur fragilité excessive, et qui perturbe la croissance. Il avait 2 ans quand ses parents se sont séparés, 8 ans et demi quand son père est décédé.

Il a grandi avec un demi-frère de trois ans son aîné, Rachid, le premier enfant de sa mère, que Michel Petrucciani aurait aimé adopter. Ses parents étant restés très proches après leur divorce, Alexandre Petrucciani reste marqué par des souvenirs entre Paris et New York, son père ayant mené l'essentiel de sa carrière aux États-Unis. Avec son frère, il prépare un documentaire sur Michel Petrucciani.

Alexandre Petrucciani a participé à l'élaboration de l'hommage organisé samedi 9 février à la Seine Musicale. Il y prendra la parole. Le concert sera précédé de la remise des trophées annuels de l'Académie du Jazz.

Michel Petrucciani et son fils Alexandre
 (Jean Ber / Collection ChristopheL / AFP)
- Culturebox : Vous allez monter sur scène samedi à la Seine Musicale, au début du concert en hommage à votre père. Que devenez-vous ? Faites-vous de la musique ?
- Alexandre Petrucciani : Je m'occupe principalement de l'héritage de mon père. Je fais aussi de la musique, mais de mon côté. Je n'ai pas vraiment le niveau professionnel. J'aime bien composer mais je n'ai suivi aucun parcours scolaire musical. Quand j'étais petit, je voulais faire du violon pendant un temps. Mon père m'a alors inscrit au conservatoire. Or à l'époque, en première année, on ne faisait que du solfège, pas d'instrument. Ça m'a dégoûté instantanément, j'ai arrêté la musique. Je crois que les choses ont changé depuis dans les conservatoires.

- Votre père a-t-il essayé de son côté de vous transmettre son amour pour la musique ? A-t-il tenté de vous donner des cours ?
- Quand j'ai voulu commencer le violon, il était tout content. Il a demandé à Didier Lockwood, avec qui il était très ami, de me prêter son violon d'enfant. Alors mon père m'a donné un petit cours informel, on a un peu joué avec ce violon, il m'a montré les doigtés, ça s'est arrêté là. Mon père n'avait suivi aucune formation de violoniste mais il pouvait jouer les premières notes assez correctement.

Quel père était-il ? Plutôt complice ? Plutôt sévère, à l'ancienne ?
- Non, il était extrêmement gentil, à l'écoute, assez rigolo. [ndlr : il rit] Il était un petit peu immature, en fait ! Il faisait des blagues à mon niveau ! Il me passait de la mousse à raser et un rasoir sans lame, et on faisait semblant de se raser ensemble. C'est le genre de chose qu'il m'apprenait ! Mais il n'était pas laxiste. Il était extrêmement rigoureux, il faisait en sorte que l'on soit des enfants gentils, polis, mon frère et moi.

- En tout cas, il n'a pas tenté de faire pression sur vous...
- Pas du tout. Il voulait que je sois ingénieur ! Mais il nous a toujours dit : "Vous ferez ce que vous voulez. Je serai content."

- On peut s'étonner qu'il n'ait pas tenté de vous transmettre sa passion vu que lui-même était issu d'une famille de musiciens...
- Il essayait peut-être à sa manière. Il jouait tout le temps quand on était chez lui. On était dans le salon qui était adjacent à une salle ouverte de musique où il avait son grand piano. Chaque fois qu'on était là, il jouait du piano, "Looking Up", "Colors", "Training"... C'était des moments uniques, un trésor. Mais pour nous, c'était tellement habituel qu'on n'avait pas conscience de ce que ça représentait.
De la même façon, il m'était difficile de me rendre compte que mon père était une grande star. Je savais qu'il était reconnu pour sa musique. Mais savoir et comprendre, ce n'est pas pareil. Mon père était accessible, ouvert, très sociable. Quand les gens venaient le voir, la plupart du temps il parlait, rigolait avec eux, signait des autographes sans problème. Ce qui était plus extraordinaire à mes yeux, c'est ce qu'on faisait. On avait été déjeuner en haut des tours jumelles... On était retourné à New York juste avant le décès de mon père, à Gramercy Park, à côté de l'Empire State Building. Mon père y avait acheté un appartement un an plus tôt. New York était très accessible pour moi en fauteuil roulant. Les trottoirs étaient très plats, larges, sans pavés. Il était prévu que je m'y réinstalle mais ça n'a pas pu se faire du fait du décès de mon père.

- Votre père avait-il des centres d'intérêt en dehors de la musique et de sa famille ?
- Les blagues, les amis, la fête, les filles ! C'était un homme normal. Il aimait beaucoup faire rire, être avec ses amis. Je pense qu'il avait besoin d'être toujours entouré. Il détestait la solitude.

- Vous êtes né avec le handicap dont souffrait votre père. À un moment, lui en avez-vous voulu d'avoir pris le risque de vous le transmettre ?
- C'était une décision commune de ma mère et de mon père. Il y a des moments où on en veut à nos parents de nous avoir fait exister. Mais ces moments sont fugaces et arrivent à tout le monde. Qui n'a pas dit : "Pourquoi je suis là, qu'est-ce que je fous dans cette vie de m... ?" Après, quand on naît comme ça, il y a effectivement des choses difficiles, dont les opérations. Mon père n'en a pas fait, à Orange il était plus isolé, ses parents n'avaient pas l'expérience de cette maladie. On ne lui a pas mis de broches dans les os afin qu'il soit plus droit, etc. À moi, si. Quand on est un enfant, c'est très effrayant d'aller au bloc opératoire, d'être endormi, d'avoir peur de ne jamais se réveiller. C'est plus la peur que la douleur qui m'embêtait. J'ai eu une trentaine d'opérations entre mes 2 ans et mes 18 ans. J'ai une phobie de l'opération. Les relations sociales et sentimentales peuvent être difficiles aussi. Le monde des enfants est très rude, sélectif. Mon enfance n'a pas toujours été évidente. Mais je n'ai jamais eu de difficulté à me faire des amis. Je le dois peut-être à mon père. Les gens étaient curieux de me connaître du fait de qui j'étais, et de fil en aiguille, ils apprenaient à me connaître, moi, en tant qu'Alexandre. Je n'en veux pas à mes parents.

- Que pensez-vous avoir hérité de votre père ?
- Sa joie de vivre. Peut-être sa force de caractère. Ma mère aussi en a beaucoup. Je pense qu'il m'a aussi transmis une certaine distance par rapport à la vie. Quand on regarde toujours du bas vers le haut [ndlr : par rapport à sa taille, au fait d'être en fauteuil], on se retrouve en position d'observateur, avec une distance qui nous permet d'analyser les gens, de savoir s'ils vont bien ou pas. Mon père était très fort pour ça. C'est presque un truc de survie, quand on a un handicap, d'être capable de cerner les gens très vite et surtout de pouvoir les "accrocher". Quand vous ne courez pas, ne marchez pas vite, il faut que les gens aient envie de rester avec vous.
- Étiez-vous présent quand votre père est décédé ?
- Pas du tout. Ce qui est très bizarre, c'est qu'environ une semaine plus tôt, on fêtait Noël à New York. C'était sûrement le meilleur Noël de ma vie. On était à New York, on était allé à Toys R Us, on faisait des batailles de boules de neige dans le parc en face de la maison, on était en famille... Quand je suis revenu en France, j'ai appris qu'il était tombé malade mais je ne m'attendais pas du tout à ça. C'est ma mère, en larmes, qui me l'a annoncé. J'étais en train de réviser une dictée pour l'école. Mon père avait été hospitalisé à New York pour une pneumonie, il a fait un arrêt cardiaque dans la nuit. Quand je l'avais vu, il allait bien mais il était essoufflé, fatigué, il avait pris pas mal de poids à l'époque. Mon père, qui était assez hypocondriaque, avait dit à ma mère au téléphone : "J'ai pas mal toussé, je ne me sens pas bien, je pense que je vais mourir." Elle avait essayé de le rassurer : "Mais non, ça va aller, tu vas t'en sortir." Mon père avait parlé à d'autres gens et leur avait dit : "Je vais m'en sortir, je vais mieux."

Ça a été vraiment un choc. À la base, j'ai du mal à réaliser la mort, à réaliser que je ne reverrai jamais quelqu'un. La mort de mon père était dure à ce moment, et ça l'est encore aujourd'hui. Chaque jour, il me manque comme s'il était mort hier. C'est une peine qui ne s'en va jamais, qui reste en vous. On l'oublie parfois, puis elle revient. Ça vous marque à jamais. Il n'a été présent qu'un tiers de ma vie et il a pourtant influencé ma vie entière. Et du fait de sa notoriété, c'est difficile de faire un deuil. Les gens vous parlent de lui, vous rappellent son souvenir, tous les jours.

Concert hommage à Michel Petrucciani
1re partie : remise des trophées annuels de l'Académie du Jazz
Samedi 9 février 2019, Paris, Seine Musicale (auditorium), 20H
Avec Joe Lovano (saxophone), Jacky Terrasson (piano), Lenny White (batterie), Géraud Portal (contrebasse), Philippe Petrucciani (guitare), Aldo Romano (batterie), Flavio Boltro (trompette), Géraldine Laurent (saxophone), Franck Avitabile (piano), Laurent Coulondre (orgue), Lucienne Renaudin-Vary (trompette)...

À écouter et voir aussi
L'hommage musical à Michel Petrucciani à la Maison de la Radio, en fil conducteur de l'émission-concert célébrant les 10 ans de l'émission Open Jazz sur France Musique (18 décembre 2018)

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