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Macha Gharibian, un piano et une voix, entre New York et l’Arménie

Jeune pianiste et chanteuse d'origine arménienne, Macha Gharibian a sorti à l'hiver 2013 un premier album remarqué, "Mars", subtil et aérien, imprégné de jazz et d’influences de ses racines, et porté par son jeu épuré et sa belle voix grave. Elle a répondu aux questions de Culturebox avant son concert ce vendredi soir à Paris, au Studio de l'Ermitage.
Article rédigé par Annie Yanbekian
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Macha Gharibian
 (Richard Schroeder)
Immergée dans la musique depuis son enfance (son père a cofondé l’inclassable groupe Bratsch, pionnier de la world made in France), Macha Gharibian a suivi une formation de pianiste classique. En 2005, lors d'un séjour à New York, elle a été marquée par des rencontres décisives avec des jazzmen comme le trompettiste Ralph Alessi, le pianiste Jason Moran et le saxophoniste Ravi Coltrane. Depuis, elle s’est tournée vers le jazz, avec détermination.

Tout en prêtant main forte aux groupes Papiers d'Arménie (l'autre formation de son père) ou les Ogres de Barback et en collaborant à des projets théâtraux, Macha Gharibian s’est créé un style, un jeu et une écriture très personnels. L'album "Mars" constitue l’aboutissement de ce processus. Elle l'a enregistré avec un vieil ami, le contrebassiste Théo Girard, fils d'un autre membre de Bratsch. Et elle a osé avec succès l'association, parfois délicate, entre piano et guitare, en l'occurrence celle de David Potaux-Razel. L'excellent batteur Fabrice Moreau a complété l'équipe du disque.

Au niveau de l'esprit, le souvenir et l'influence de New York se devinent. Macha Gharibian dédie un morceau, "Affect Stories", à Ralph Alessi - elle s'est inspirée d'une œuvre du trompettiste pour le composer. Le jazz de Macha Gharibian, introspectif et poétique, est imprégné de folk, de pop et de références arméniennes : le monument Komitas (1869-1935) pour la chanson "Kélé Kélé" et un compositeur contemporain, Khatchadour Avédissian, pour "Parmani". La pianiste a mis en musique un poème de William Blake (1757-1827), "Night", et un autre du contrebassiste William Parker. L'ensemble, cohérent et raffiné, a constitué l'une des belles surprises de l'année 2013.
L'irrépressible virage du jazz
Mercredi 8 janvier, deux jours avant son concert parisien, Macha Gharibian nous a accordé un entretien téléphonique matinal avant de filer en répétition, l’occasion de revenir sur son parcours...
 
- Culturebox : Vous avez une formation de pianiste classique. Racontez-nous.
- Macha Gharibian : J’ai commencé le piano à cinq ans. J’ai toujours voulu être musicienne. Voir mon père sur scène avec Bratsch a certainement contribué à cette ambition, même si on se demande si on aura, nous aussi, des choses à dire. Être sur scène, exprimer des choses à l’attention des gens, m’a toujours plu. Jusqu’à mes 25 ans, j’ai suivi des études classiques : conservatoire, concours, École normale de musique. Par ailleurs, j’ai aussi travaillé par le biais du théâtre. J’ai écrit de la musique pour des pièces de Simon Abkarian. Cela m’a permis de financer un projet qui me tenait à cœur depuis longtemps : partir à New York.
 
- Ce voyage s’est avéré déterminant, puisque par la suite, vous avez bifurqué vers le jazz...
- Ce séjour devait durer un mois au cours duquel j’ai suivi des cours auprès d’une école qui venait d’être créée par le trompettiste Ralph Alessi, la School for Improvisational Music (SIM). Je pouvais y suivre tous les jours des master classes de musiciens de jazz : Jason Moran, Tim Berne, Vijay Iyer, Uri Caine… J’ai eu également l’occasion de rencontrer Craig Taborn à un concert. Pour moi, ça a été une grande chance de tomber sur tous ces musiciens. J'ai prolongé l'aventure deux mois supplémentaires, hébergée par des amis. La journée, on organisait des sessions entre musiciens, et le soir, on allait au concert. Pour moi qui étais habituée à travailler seule mon piano, six à huit heures par jour, cette expérience collective de la musique, combinée à l'immersion dans la vie new-yorkaise, c'était la belle vie...


- Qu'avez-vous appris de cette expérience new-yorkaise ?
- Avant d’arriver à New York, je ne connaissais aucun des musiciens qui allaient être mes professeurs. Ils ont été très accessibles, ouverts, bienveillants. C’est quelque chose que je n’ai pas forcément retrouvé à mon retour à Paris où les gens ont beaucoup d’a priori à l’égard des musiciens qui viennent du classique. À New York, il y avait quelque chose de très sain dans l’approche de la musique, de la pédagogie et dans la manière de prendre soin des autres. Tout en étant fidèle à la tradition du jazz, il y a cet esprit de pousser les gens à creuser leur propre chemin. À mon arrivée à New York, j’ai abordé le jazz directement par l’improvisation, moi qui ne savais alors pas lire une grille de standard. J’avais une approche de l’improvisation par le biais du théâtre mais je ne possédais pas le langage harmonique. Les professeurs m’encourageaient, me poussaient. Ils me disaient : "Fais confiance à ton oreille, fais confiance à ton envie !" En France, le mode d’enseignement est plus conservateur. À mon retour, je me suis mise à travailler les standards et j’ai eu la chance de suivre des cours, en conservatoire municipal, auprès d’Emil Spanyi, un pianiste d’origine hongroise.

- Quelles sont vos grandes influences musicales ?
- Grâce à Bratsch, je n’ai jamais eu peur de faire des mélanges improbables ! Mes influences sont multiples. Il y a bien sûr la musique arménienne, et plus largement toutes celles du Caucase, mais aussi des Balkans. J’écoute énormément de musiques de l’Est, de Serbie, Macédoine, Turquie, Grèce… Côté jazz, New York m’a énormément inspirée dans sa part moderne, avec son ouverture au mélange des genres et son côté urbain. Côté pianistes de jazz, ceux qui m’ont le plus influencée sont Oscar Peterson, Art Tatum et Kenny Barron. Je suis très attirée par leur côté "swing viril", si j'ose dire !
 


- Et en musique classique ?
- Rachmaninov est ma grande référence. Sa musique ne cesse de me faire de l’effet, elle reste habitée et provoque toujours une grande émotion. Je ne m’en lasse pas. Quand je travaille le piano, je m’échauffe toujours avec Bach, une étude de Chopin ou du Rachmaninov, même si depuis la sortie de "Mars", le temps me manque pour approfondir ce travail. Comme je me suis tournée vers le jazz, après certains concerts, je suis toujours étonnée quand des gens viennent me dire qu’ils "entendent de la musique classique" quand je joue. À  New York, j’ai réalisé que toutes mes influences - musique romantique, moderne, arménienne… - jusque-là cloisonnées en moi, se sont mélangées ! Je me surprenais à voir une gamme orientale surgir au milieu d’une improvisation…

- Quand la pianiste que vous êtes s'est-elle muée en chanteuse ?
- Le chant est venu vers 20 ans. Auparavant, à partir de mes 18 ans, j’avais pris des cours de théâtre. À cette époque, je me demandais si je voulais plutôt être musicienne ou comédienne.  Après mon retour de New York, j’ai continué de travailler pour le théâtre. Un metteur en scène qui avait eu l’occasion de m’entendre chanter m’a demandé de le faire sur scène. Par la suite, j’ai chanté avec mon père qui m’accompagnait à la guitare. J’ai aussi participé à son autre groupe, Papiers d’Arménie. À cette époque, bien que ne me sentant pas chanteuse, je gagnais ma vie en tant que telle ! Aujourd’hui, je me considère pianiste et chanteuse.

(Propos recueillis par A.Y.)
 

En concert à Paris le vendredi 10 janvier 2014, 20H30
Studio de l'Ermitage
Infos et réservations ici

Macha Gharibian : piano, chant
Théo Girard : contrebasse
David Poteaux-Razel : guitare
Ariel Tessier : batterie
L'album "Mars" est sorti le 22 janvier 2013 (Bee Jazz/Abeille Musique). Le titre est un clin d'oeil à la planète rouge qui apparaît au second plan de ce cliché pris au théâtre des Bouffes du Nord. Macha Gharibian explique : "Il y a l'idée du printemps, du renouveau, de l'exploration, puisqu'on a envoyé sur Mars une sonde partie pour un chemin sans fin, vers des endroits insoupçonnés, déstabilisants, surprenants..."
 (Photo : Nicolas Apicella)

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